Corinne LEPAGE : discours prononcé lors de l’Université de Rentrée « Les vrais clivages politiques … (sont) entre ceux qui croient que les rustines suffiront à permettre la poursuite du modèle et ceux qui pensent qu’il faut en changer »

((/images/cap21.jpg))%%% __Corinne Lepage: Que doit-on attendre d’un mouvement politique au XXIème siècle ?__%%%  » Comment doit-il s’inscrire dans la construction d’un nouveau modèle de développement compatible avec la finitude de nos ressources physiques et naturelles ?%%% Pour répondre à ces questions, il faut comprendre combien le fond et la forme sont liés et combien notre capacité à faire évoluer notre système démocratique conditionne notre capacité à répondre aux enjeux immenses et multifactoriels auxquels nous sommes confrontés.%%% Nous avons fondé le MODEM parce que nous avions l’intuition que notre affranchissement d’une structure antérieure et conventionnelle était une formidable chance de renouveler à la fois les responsables, les méthodes et le projet et répondait à l’attente exprimée par des millions de nos concitoyens lors de l’élection présidentielle.%%%

Non seulement nous n’avons pas le droit d’échouer mais encore avons nous le devoir de l’exemplarité et de l’éthique dans nos modes de fonctionnement interne, dans l’exercice de nos responsabilités politiques. Démocrates, nous avons à construire une démocratie interne exemplaire qui puisse, non seulement donner envie à nombre de nos concitoyens de nous rejoindre ou à tout le moins de nous soutenir, mais encore servir d’expérimentation pour une amélioration du fonctionnement global de la démocratie. Soyons créatifs et révolutionnaires au sens où l’entendait Pierre Mendès-France: « La République doit se construire sans cesse car nous la concevons éternellement révolutionnaire, à l’encontre de l’inégalité, de l’oppression, de la misère, de la routine, des préjugés… »%%% Notamment, l’e-démocratie, le mandat unique, la transparence dans les modes de fonctionnement, la collégialité, l’expression de votes voire d’opinions minoritaires, l’association de la société civile aux débats des partis politiques voire davantage sont devenus des données indispensables dont nous devons être les promoteurs.%%% Il ne s’agit pas de questions subsidiaires ou superficielles ; il s’agit de questions essentielles non seulement pour parvenir à trouver les meilleures solutions mais encore pour les rendre effectives et opérationnelles. Il n’y a pas les chefs et les autres, les politiques et les autres. Le système hiérarchique va progressivement laisser la place à une société en réseau dans laquelle l’échange devient la règle. Il est illusoire et dangereux de penser que les partis politiques échapperont à cette mue.%%% Car, ne nous y trompons pas, nous sommes une génération de transition entre l’ancien et le nouveau monde et les vrais clivages politiques ne sont plus entre gauche et droite mais entre ceux qui croient que les rustines suffiront à permettre la poursuite du modèle et ceux qui pensent qu’il faut en changer. Je vous propose de nous inscrire résolument dans cette seconde voie et d’en être les artisans. L’opposition à un homme n’a pas d’intérêt. Seule compte l’opposition à un modèle de société obsolète et en échec, à un projet de société inique, aux valeurs archaïques que sous tend ce projet.%%% Notre premier travail, celui qui est le plus urgent, est précisément de définir notre projet qui ne peut se limiter à des valeurs en apparence partagée par tous. Ce projet pourrait être celui d’une écolonomie sociale de marché, largement ouverte sur des systèmes de coopération, un système permettant la coexistence d’un capitalisme redevenu entrepreneurial et le développement d’une économie sociale et solidaire. Ecolonomie, car il est désormais illusoire de penser qu’une croissance même verte est compatible avec nos capacités.%%% L’extrême gravité de la situation climatique démontre que notre aveuglement et notre cupidité nous entraînent à la catastrophe, mais, à la différence du cataclysme financier, personne ne sera là pour renflouer le système ! Il est donc indispensable de prendre conscience de l’enfermement planétaire et d’inventer le modèle d’une évolution soutenable assurant une reconversion industrielle inévitable, l’essor de nouvelles activités et un mode d’organisation différent.%%% C’est la raison pour laquelle le sujet des nouveaux indicateurs et du changement de comptabilité publique que j’appelle de mes vœux depuis 10 ans et que le rapport Stiglitz va ouvrir au débat est si fondamental. Continuer à comptabiliser comme un progrès ce qui est une décroissance de notre capital naturel est une aberration qui nous coûte déjà très cher et peut nous anéantir. Mais la sortie de la société du pétrole et la décarbonisation de l’économie sont très onéreuses et doivent être financées dans un système financier mondial en crise et dans des économies en récession et plombées par la dette publique. C’est la raison pour laquelle le basculement d’une fiscalité assise sur le travail et l’investissement vers une fiscalité assise sur la pollution et l’utilisation des ressources naturelles non renouvelables est indispensable. Je fais partie de ceux qui osent affirmer, malgré une opinion publique hostile, la nécessité d’une contribution climat énergie à un niveau qui assure une rentabilité des investissements dans l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.%%% Mais, deux observations majeures doivent être faites : · cette contribution doit être intégralement reversée en fonction de critères sociaux et écologiques, permettant aux plus modestes de pouvoir s’équiper pour réduire effectivement leurs dépenses énergétiques. Une extension sociale du système de prime à la casse incluant le chauffage et l’isolation devrait être envisagée.%%% · La cohérence doit être assurée. Il est absurde de prévoir une taxe carbone et dans le même temps décider d’indemniser EDF des réductions de vente d’électricité dues à l’utilisation par des usagers de compteurs intelligents permettant de réduire la consommation de 15%.%%% On ne peut que déplorer la cacophonie gouvernementale, l’impréparation, bref, la politique de gribouille qui caractérise la gestion de ce sujet majeur et qui présente à nouveau la réflexion écologique comme une purge et non comme une amélioration.%%% La question du financement est d’autant plus préoccupante que les banques sont en passe d’imposer leurs choix aux pouvoirs politiques et leur volonté en termes de sortie de crise. En effet, après a voir été sauvées par le contribuable, elles retombent dans les travers qui ont conduit à la crise. La question des bonus, certes importante sur le plan éthique, est un hochet qui cache le vrai sujet souligné par Daniel Lebègue: la démultiplication des transactions rapides qui détournent des sommes énormes du financement de l’écolonomie. La fiscalité devrait être la réponse appropriée à ce comportement irresponsable. Mais, ce n’est qu’une partie du sujet; la lutte contre la corruption, les détournements restent des sujets majeurs.%%% Il va de soi que si le politique n’impose pas à la finance les règles du jeu que l’intérêt général commande, nous n’avons aucune chance de nous en sortir. Copenhague est un enjeu majeur mais il est avant tout financier. La taxe Tobin verte proposée par Vincent Peillon est une excellente initiative que je soutiens et que je soutiendrai devant la commission environnement dont j’assume la première vice-présidence au parlement européen. Il faudra aller beaucoup plus loin ; une taxe carbone européenne est nécessaire qui permettra d’imposer les produits importés et assurer ainsi une limite au dumping environnemental. Car, l’Europe doit assurer le rôle de leader sur le changement climatique faute de quoi l’Humanité risque d’aller à sa perte. Elle ne peut le faire qu’en mobilisant des moyens propres à assurer une relance économique au niveau communautaire.%%% La question de l’abandon des subventions publiques aux activités polluantes (probablement 5MDS d’euros en France) pour assurer le financement de la reconversion industrielle et l’essor de l’économie verte doit également être posée. Plus que jamais, la cohérence des politiques publiques, l’évaluation préalable des conséquences des choix et l’arrêt de notre nouvelle pathologie, la réformite, qui, selon l’OCDE, nous coûte 1 point de PIB par an sont indispensables. Il n’en reste pas moins que la question du financement du développement du sud et de la lutte contre la pauvreté sont aussi un enjeu majeur. En effet, le volet social de l’évolution soutenable ne peut pas rester le parent très pauvre du projet. L’augmentation de 25% du chômage, la précarité des jeunes, des femmes, encore accrue avec les menaces qui pèsent sur la retraite des mères sont intolérables. Que dire de la politique d’intégration qui est en panne ? Plutôt que d’ajouter l’adjectif positif à la laïcité, il faudrait mieux l’utiliser pour l’intégration. L’accroissement des inégalités et a fortiori la philosophie qui en fait la promotion ne sont pas supportables et ne sont plus supportées. Le changement de paradigme est donc inévitable et urgent.%%% Mais il est irréaliste de nourrir quelque espoir d’y parvenir dans une société où les libertés publiques sont inexistantes et même menacées. Cette transformation ne peut se faire que dans une société qui promeut justice et liberté. Nous tournons de plus en plus le dos à ce modèle. Nous sommes une société où le contrôle social ne cesse de progresser et les espaces de liberté de se réduire. La bataille qui se joue sur le contrôle d’internet est à cet égard essentiel. HADOPI pose les bases d’un contrôle du net bien plus qu’il ne protège la création. Pour cette raison, j’ai choisi de publier un livre intitulé « entre colère et espoirs » sur internet, en téléchargement gratuit, en même temps qu’il sera édité et distribué sous un format classique.%%% C’est une modeste contribution à ceux qui défendent la liberté sans méconnaître les droits de la propriété intellectuelle. Mais HADOPI n’est qu’une première étape avant LOPSI II et HERISSON qui permettront de fliquer les internautes et par exemple de suivre sur le net tous les messages qui contiendront…au hasard, le nom de Sarkozy.%%% Et que dire de la suppression des juges d’instruction, sans aucune autonomie des parquets qui permettra évidemment d’éviter l’ouverture d’information et l’instruction d’affaires qui dérangent… Ainsi, le classement de l’affaire Pérol serait-il définitif s’il n’y avait plus la faculté de se constituer partie civile auprès d’un juge d’instruction ? Comment peut-on imaginer meilleure preuve par neuf les effets du choix du pouvoir ? Avec cette réforme, nous changeons de régime en parfaite violation non seulement de la Constitution mais des principes fondamentaux de notre République. Faut-il rappeler l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution… ».%%% Lorsque la communication remplace la réalité, lorsque nous sommes sommés de regarder tous dans la même direction les mêmes images, nous sommes mûrs pour un régime autoritaire.%%% Plus que jamais parlons à l’intelligence de nos concitoyens plutôt qu’à leurs tripes, parlons en mode actif et non en mode passif !%%% Inventer un nouveau modèle, être responsable à l’égard de nos descendants, promouvoir la démocratie de notre temps. Quel projet plus enthousiasmant ?%%% Certes, nous ne le porterons pas seuls. Mais il va de soi que le choix d’alliances éventuelles ne peut être médiatique et doit être programmatique.%%% Il est évident qu’une alliance avec l’UMP n’est pas envisageable compte tenu de ses choix et du barnum improbable que constitue la majorité présidentielle. Pour autant, nous avons payé cher notre autonomie et ne devons pas avoir pour ambition d’être la béquille du PS comme l’UDF l’a été en son temps pour l’UMP. Définissons notre projet, essayons de rassembler autour de lui, puis voyons de quel projet nous sommes les plus proches. Nos concitoyens n’attendent plus rien des appareils. Ils attendent des rapprochements autour de projets porteurs de rêves et de solutions.%%% Pour ma part, je défendrai une voie autonome qui n’exclurait pas une alliance avec un rassemblement initié sur les bases de ce qui a fait le succès d’Europe écologie : l’ouverture, un projet autour d’une évolution soutenable, une vision de l’avenir ; ce rassemblement aurait pour vocation de réunir tous ceux qui espèrent encore dans la politique et croient dans la nécessité d’un autre modèle que celui, affligeant, que nous offrent les appareils. Ni à droite, ni à gauche, mais devant nous.%%% Oui, je crois que l’alliance de la démocratie, de la justice et de l’écologie est le projet porteur de sens pour ce XXIème siècle. « %%% Corinne Lepage Seul le prononcé fait foi