» Lutte contre la pauvreté : virage à gauche mais sans objectifs ambitieux  » par Karima DELLI

Le site de __[Karima Delli|http://blogs.rue89.com/karima-delli/2012/12/12/lutte-contre-la-pauvrete-virage-gauche-mais-sans-objectifs-ambitieux-229172|fr]__  » Dans mon dernier billet, je demandais à Jean-Marc Ayrault de faire « un vrai cadeau aux pauvres », à l’occasion de la conférence de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Le Premier ministre a présenté les grandes orientations du futur plan gouvernemental, qui sera adopté par le comité interministériel de lutte contre l’exclusion le 22 janvier prochain. L’un des premiers objectifs de cette conférence était de « changer de regard » sur la pauvreté pour « changer de pratique », d’en finir avec le discours culpabilisant de la droite sur l’assistanat et de remettre la question de la réduction des inégalités au cœur de l’action gouvernementale.

De ce point de vue, la conférence a été un véritable succès. En témoignent d’ailleurs les propos désolants de l’UMP et du Front national au sortir de cette conférence. Le changement est réellement là, et cela fait du bien, en particulier pour tous ceux qui se battent au quotidien, et depuis des décennies parfois, aux côtés des personnes vivant dans la misère et la précarité. Mais au-delà des discours, quelles sont les mesures concrètes annoncées par le Premier ministre ? __L’objectif : 1,6 million de pauvres en moins d’ici 2020__ La première chose qui m’a marquée, c’est une absence. L’absence d’objectif chiffré en matière de réduction de la pauvreté. Le gouvernement a fait le choix de la prudence, afin de ne pas se retrouver dans la situation de Nicolas Sarkozy qui avait annoncé tambours battants qu’il allait réduire la pauvreté d’un tiers avant la fin de son quinquennat, et donc de ne pas susciter d’espoir qu’il serait par la suite incapable de tenir. Pourtant, la France a pris des engagements européens en la matière. L’Union européenne s’est fixé pour objectif de sortir au moins 20 millions de personnes de la pauvreté d’ici à 2020, et la Commission européenne, dans ses recommandations par pays, a donné à la France un objectif de 1,6 million de personnes pauvres en moins d’ici 2020. C’est un objectif modeste mais réaliste, et il est peu compréhensible que le gouvernement ne se le soit pas encore approprié. __Avoir un emploi ne protège plus contre l’exclusion__ Le Premier ministre a pris pour point de départ la précarisation de l’emploi, et le nombre croissant de travailleurs pauvres. Oui, avoir un emploi ne protège plus contre l’exclusion, c’est une réalité qui frappe aujourd’hui plus de 8% des Européens. Il a ensuite rappelé la nécessité de s’adresser aux personnes les plus éloignées de l’emploi, et de les accompagner tout au long de leur parcours vers l’emploi, en prenant en compte toutes les dimensions de la vie de ces personnes : formation, santé, logement, qui sont autant d’éléments indispensables à un parcours d’inclusion. Il est nécessaire d’associer les entreprises et les administrations à ce changement de méthode, mais aussi de donner les moyens au service public de l’emploi, aux collectivités locales, aux associations, aux structures d’insertion par l’activité et à tous les acteurs de la chaîne de l’insertion d’apporter des réponses personnalisées et adaptées à chaque parcours de vie. __Logement : quelle vision à long terme ?__ Comme l’a rappelé Christophe Robert, le délégué général adjoint de la Fondation Abbé Pierre, 3,6 millions de personnes sont mal logées ou sans abris en France, résultat de l’insuffisance des politiques publiques du logement depuis trente ans. Le Premier ministre a annoncé des solutions à court terme pour répondre à l’urgence : en plus des 1 000 places déjà débloquées pour cet hiver en hébergement d’urgence, le gouvernement va débloquer 4 000 nouvelles places en hébergement d’urgence, et 4 000 en centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), ainsi qu’un budget équivalent pour l’accès au logement à travers l’intermédiation locative, la prévention des expulsions et l’accompagnement par les associations. C’est nécessaire, mais ce n’est que le premier volet. Pour l’instant, le gouvernement n’offre aucune visibilité à moyen et à long terme sur la nécessaire transformation du secteur de l’hébergement et de l’accès au logement préconisée par l’excellent rapport remis par Alain Régnier et Christophe Robert à la ministre du Logement, et auquel j’avais contribué. Jean-Marc Ayrault a rappelé l’objectif de construire 150 000 logements sociaux par an, mais n’a pas précisé la part des logements très sociaux. Celle-ci devrait être d’au moins 40% si l’on souhaite répondre aux besoins des personnes les plus fragilisées (huit millions de personnes en situation de logement précaire, selon le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre). La hausse du niveau intermédiaire de la TVA risque d’obérer fortement la capacité du secteur du logement social à atteindre ces objectifs. Enfin, le Premier ministre a annoncé la mise à l’étude d’une garantie universelle des risques locatifs, mais rien pour prévenir concrètement les expulsions à travers la mise en place d’un moratoire des expulsions dès la fin de la trêve hivernale. Pourtant, certaines des mesures proposées dans le rapport du groupe de travail ne coûtent rien, comme la réalisation de diagnostics territoriaux à 360° afin d’évaluer la réalité des besoins département par département, en s’appuyant sur la typologie européenne ETHOS, et pouvoir ainsi fixer des objectifs précis aux préfets. __70% des travailleurs pauvres ne demandent pas le RSA__ Le gouvernement est en train de prendre conscience de l’ampleur du problème du non recours aux droits, notamment au RSA activité : cinq à six milliards d’euros ne sont pas distribués chaque année. Loin du discours démagogique sur les fraudeurs et les assistés, on découvre aujourd’hui que 70% des travailleurs pauvres qui pourraient bénéficier du RSA activité n’en font même pas la demande. Pour répondre à ce problème, le Premier ministre a annoncé le lancement d’une campagne d’information sur ce que l’on doit considérer comme des droits, une simplification des démarches administratives et un accompagnement personnalisé des personnes bénéficiaires. Mais la revalorisation annoncée du RSA socle est faible. Du propre aveu de Jean-Marc Ayrault, pour qui l’objectif devrait être de rattraper le décrochage survenu depuis dix ans entre le revenu minimum et le salaire minimum, il faudrait une augmentation de 17% dès 2013 pour revenir à 50% du smic, comme c’était le cas lors de la création du RMI en 1988 jusqu’au début des années 2000 (c’est aujourd’hui 43%). Au lieu de cela, nous aurons une première revalorisation d’à peine 2% en septembre 2013, ce qui représente à peine 12 euros par mois, et une augmentation d’à peine 10% en cinq ans. Il faudra attendre 2022 pour rattraper le retard accumulé depuis dix ans. Le Parlement européen recommande pour sa part, dans son rapport sur le rôle du revenu minimum dans la lutte contre la pauvreté adopté en 2010, que ce revenu soit fixé au moins au niveau du seuil de pauvreté, soit 60% du revenu médian. On en est encore loin. __La garantie jeunesse, une proposition européenne qui a fait ses preuves__ Enfin, le président de la République a voulu faire de la jeunesse la grande priorité de son mandat. Suivant les recommandations de la Commission européenne, et une proposition portée par les écologistes au Parlement européen depuis 2009, Jean-Marc Ayrault a annoncé la mise en place d’une garantie pour la jeunesse. Concrètement, il s’agira d’une allocation équivalente au RSA (450 euros par mois) avec un contrat d’insertion d’un an renouvelable, passé entre un jeune et le service public de l’emploi pour l’accompagner avec des offres d’emploi, un contrat de génération ou emploi d’avenir, ou des mesures de formation. Ce dispositif devra concerner, à son rythme de croisière, 100 000 jeunes par an. Il ciblera en particulier les jeunes sans qualification et sans emploi. Mais sa mise en place n’est prévue qu’en septembre 2013 et dans seulement dix territoires pilotes, alors que cette mesure a déjà fait ses preuves dans plusieurs pays de l’Union (Autriche, Finlande, Suède). Au final, l’ensemble de ces mesures ne devrait pas coûter plus de 2,5 milliards d’euros supplémentaires, une goutte d’eau à côté des 20 milliards d’euros de crédit d’impôt accordés aux entreprises sans contrepartie, au nom de la sacro-sainte compétitivité. A l’instar de Patrick Viveret, qui intervenait comme grand témoin dans la conférence, je conclurai en disant qu’il nous faut aujourd’hui reconsidérer la richesse dans notre pays au-delà de la richesse monétaire. Il y a une urgence à agir face à cette véritable bombe à retardement que sont les inégalités car, comme le disait Gandhi : « Il y a assez de bien dans le monde pour les besoins de tous mais pas assez pour l’avidité de chacun. » «