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« Vers une politique française de l’égalité » Rapport du groupe de travail « Mobilités sociales » dans le cadre de la « Refondation de la politique d’intégration » Fabrice DHUME et Khalid HAMDANI

Excellente conférence à laquelle j’ai assisté ce soir, à Nice à l’hôtel Splendid avec Khalid HAMDANI et Jean-Luc PRIMON.

Voici  à la suite le rapport dont il est l’auteur avec Fabrice DHUME après de nombreuses séances de travail avec un groupe de plus d’une cinquantaine de les-rsonnes venant de différents horizons politiques, syndical, professionnels … etc.

Voici la présentation de la Conférence :

Mobilité sociales, Vers une politique française de l’égalité 

Le rapport remis au Premier Ministre Jean-Marc Ayrault, par Khalid Hamdani,  avait provoqué une vive  polémique, notamment par ses propositions courageuses. Il posait à travers la question des mobilités sociales, la question des discriminations au travail mais aussi à l’école. Ce rapport s’est concentré entre autres sur les processus qui font aujourd’hui obstacle à une recomposition collective positive de la société française. Une dynamique de recomposition qui sache conférer à tous ses membres de fait une place d’égale légitimité et d’égale dignité. Le rapport s’interroge sur les frontières concrètes et symboliques de la société française qui empêchent et contraignent les mobilités, la confiance, les identifications positives à une société inclusive.

Khalid Hamdani sera accompagné de Jean-Luc Primon Maitre de conférence à l’Université de Nice Sophia-Antipolis, et président de l’observatoire des discriminations en région Provence Alpes Côte d’Azur.

Et voici le rapport en entier ( 93 pages ) :

Rapport au ministre de l’Emploi, du travail, de la formation professionnelle et du dialogue social, et à la ministre déléguée à la réussite éducative

Fabrice DHUME et Khalid HAMDANI

Novembre 2013

Sommaire

Introduction………………………………………………………………………………………………….. 3

I.Eléments d’un nécessaire cadre politique ……………………………………………………… 5

« L’intégration », une mauvaise base pour (re)fonder une politique publique……….5

Quel est l’enjeu d’une telle politique publique ? ………………………………………………. 6

Travailler le sentiment d’appartenance : un Nous inclusif et solidaire ………………… 7

Travailler sur les frontières de la société : pour une égalité concrète et vérifiable … 9

II.Ce que nous enseigne l’histoire …………………………………………………………………… 12

Les années 1970 : l’invention du « problème de l’immigration » …………………………12

Les années 1980 : émergence de nouveaux acteurs et requalification politique du problème ………………………………………………………………………………………………………15

Les années 1990 : de la normalisation vers la reconnaissance ? ……………………….. 17

Les années 2000 : un changement de cap politique avorté ………………………………. 20

De grandes constantes et répétitions, malgré les variations de l’histoire ………….. 25

III.Ce que nous savons des processus…………………………………………………………….. 27

Le rapport de la société française à l’immigration : la fabrique de minorités ……. 27

Ce que nous savons des processus de discrimination …………………………………….. 32

Ce que nous savons des processus de ségrégation …………………………………………. 42

Expérience de la discrimination et rapport à la société française …………………….. 45

IV.Ce que nous avons appris de l’action antidiscriminatoire …………………………… 51

Les limites d’une absence de politique publique …………………………………………… 51

Intérêts et limites de quelques approches ……………………………………………………..53

Quelques conditions de pertinence des programmes d’action conceptualisés … 62

V.Ce que nous préconisons ………………………………………………………………………….. 65

Une approche politique de la question. 20 principes pour fonder une politique publique ……………………………………………………………………………………………………………………65

Une approche stratégique de l’action. 7 leviers transversaux pour organiser l’action publique ………………………………………………………………………………………………………69

Une stratégie spécifique dans le domaine scolaire et universitaire …………………. 72

Une stratégie spécifique dans le domaine de l’emploi et du travail ………………….80

VI.Bibliographie et indications de lecture …………………………………………………….. 83

Annexes …………………………………………………………………………………………………….. 90

Lettre de mission du groupe de travail « Mobilités sociales » …………………………..90

Liste des participants au groupe de travail ………………………………………………….. 93

Auditions et contributions spécifiques ………………………………………………………… 94

Rapport du groupe « Mobilités sociales »

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Introduction

Par une lettre de mission en date du 31 juillet 2013, le ministre de l’Emploi, du travail, de la formation professionnelle et du dialogue social, Michel SAPIN, et la ministre déléguée à la réussite éducative, George PAU-LANGEVIN, ont confié à Fabrice DHUME et Khalid HAMDANI le soin de diriger l’un des cinq groupes de travail interministériels appelés à contribuer à la « refondation de la politique d’intégration ». Ce groupe thématique, intitulé « Mobilités sociales », s’est penché particulièrement sur les enjeux relatifs aux domaines de l’éducation, de la formation, de l’insertion professionnelle, du travail et de l’emploi. Il a réuni une cinquantaine de personnalités qualifiées représentant les administrations publiques, les partenaires sociaux, les publics jeunes et parents d’élèves, des acteurs du monde du travail et de l’école, et des chercheurs.

Le groupe a travaillé avec un parti-pris conceptuel et méthodologique quant à la thématique des « mobilités sociales », parti-pris qui a eu des incidences pratiques sur notre travail. En efet, nous avons choisi d’entendre, à travers cette appellation, non pas un concept dur devant organiser et définir les travaux du groupe, mais une thématisation globale, et de circonstance dans ce dispositif interministériel, susceptible d’articuler les préoccupations et domaines de compétences des ministères concernés. On ne s’étonnera donc pas de ne pas trouver dans les pages qui suivent ni une définition de la mobilité sociale ni une réflexion spécifiquement articulée de cette notion.

Nous sommes partis du postulat que des mobilités au sens large existent dans la société française, quoi qu’on en dise. Aussi ne s’agit-il pas d’occulter par un discours misérabiliste les formes diverses de déplacements, de trajectoires (ascendantes et descendantes, géographiques et sociales, etc.) ou de résistances aux déterminismes et aux assignations, y compris identitaires. Il ne s’agit pas non plus d’aborder les questions avec une quelconque dramatisation, en laissant par exemple entendre, comme cela est souvent le cas, que « l’ascenseur social est bloqué ». Que les inégalités sociales, éducatives, économiques et politiques se renforcent et se durcissent dans bien des domaines est une réalité – même si, d’un autre côté, ces inégalités se transforment et sur certains plans peuvent aussi s’atténuer. Mais le discours sur « l’ascenseur social » relève du mythe1. Et ce mythe national, non seulement a fait long feu, mais plus profondément contribue à minimiser l’importance des rapports sociaux (ou des systèmes de domination, de ségrégation et de stratification, si l’on préfère).

La société française est fortement clivée. Les données récentes des études internationales comparatives – telle PISA2, pour ce qui concerne l’école -, montrent une société – ou en l’occurrence un système scolaire – nettement plus inégalitaire que d’autres. Ces inégalités relèvent de divers grands rapports sociaux – de classe, de sexe, et d’ordre ethnico-racial3, notamment – qui agissent souvent simultanément et de manière croisée. C’est là nous semble-t-il l’objet principal d’une réflexion relative à l’intégration – terme ici entendu au sens sociologique de processus social qui fait qu’une société tient malgré et/ou avec ses clivages. De multiples mouvements et transformations mettent à l’épreuve la capacité d’une société – la société française comme toute autre société – à se renouveler dans ses références pour se recomposer avec ces changements. Les migrations (nationales ou internationales, émigration et immigration) ne sont qu’un des phénomènes qui entrent ici en jeu. Et donc, hormis les singularités des processus

1 Ces images de « l’ascenseur social », en fonctionnement ou en panne, réduisent la question des inégalités et des discriminations à une question de « destin » individuel et font, en creux, reposer sur les individus, considérés un à un, la responsabilité de leur « non intégration » ou de leur « échec ». Cette approche brandit comme des emblèmes des réussites individuelles et les donne en modèle au corps social ce qui exonère ledit corps social de ses responsabilités.

2 PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) est un programme d’analyse comparée des efets des systèmes éducatifs de l’OCDE (organisation de coopération et de développement économique).

3 Parler de rapport ethnico-raciaux ne signifie pas que l’on accrédite l’existence d’« ethnies » ou de « races », tout au contraire. Les dimensions dites ethnique et raciale des relations sociales ne sont pas des propriétés primordiales des individus ou des groupes (en ce sens, les « ethnies » ou les « races » n’existent pas). Ce sont l’expression et le produit de rapports sociaux assignant certains individus et groupes à un statut d’altérité et de minorité, ces statuts sociopolitiques étant définis en référence à une « origine » (dans le cas de la catégorisation ethnique) ou à une « nature » (dans le cas de la catégorisation raciale), l’une et l’autre étant présumées diférentes, fondamentales et primordiales. (En ce sens, les groupes ethniques et raciaux issus de ces processus d’assignation/identification existent, car ces processus ont des efets concrets : le racisme produit des groupes raciaux…).

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migratoires, on aurait tort de focaliser sur cette dimension sans voir qu’elle est souvent équivalente et/ou entretient des liens étroits avec d’autres processus de clivages et d’inégalités.

Plutôt que de nous attacher aux mobilités proprement dites, nous nous sommes concentrés sur les processus qui font aujourd’hui obstacles à une recomposition collective positive de la société française. C’est-à-dire une dynamique de recomposition qui sache conférer à tous ses membres de fait une place d’égale légitimité et d’égale dignité, et qui sache produire une identification et un attachement sufsants pour permettre à cette « communauté nationale » de faire face ensemble aux multiples défis auxquels elle est confrontée. Dit autrement : nous avons travaillé spécifiquement sur les frontières de la société française, sur ces mécanismes à la fois concrets et symboliques qui empêchent et contraignent les mobilités, la confiance, les identifications positives à une société « inclusive » (selon le terme du rapport de Thierry Tuot).

Le contexte est néanmoins compliqué, et il requiert un courage politique certain. En efet, au moment même où le groupe a travaillé, dans une logique coopérative attentive à la pluralité interne des points de vue et des désaccords, nous avons assisté à de nouveaux et malheureux épisodes d’une stratégie politico-électorale qui instrumentalise sans cesse les questions ici travaillées. D’autre part, alors même que le groupe de travail s’organisait, nous avons assisté à la fragilisation de l’une des organisations dont sont issus plusieurs membres qualifiés de ce groupe de travail : le collectif « Vivre ensemble l’égalité » de Lormont. Ce collectif est le fruit d’une véritable expérience politique de jeunes concernés par les discriminations. Or, cette expérience, appuyée par le Centre social local dans un remarquable et trop rare travail d’éducation populaire, s’est vue menacée par la mutation imposée de la directrice du Centre social par sa tutelle, parce que d’aucuns ont eu peur que ces questions politiques soient concrètement travaillées. Force est donc de constater que les rares initiatives de construction politique et citoyenne de jeunesses sur cette question sont sapées par les institutions publiques mêmes qui seraient censées les soutenir et les valoriser. Ce sont précisément de telles logiques qu’il s’agit d’inverser, si nous voulons que notre société puisse assumer avec fierté sa devise commune, dans laquelle la liberté et la fraternité s’articulent avec l’égalité politique.

***

Nous remercions toutes les personnes qui ont contribué à cete analyse : les membres du groupe de travail « Mobilités sociales », ainsi que les personnes qui ont apporté leur expertise dans le cadre des auditions ou par des contributions spécifques. Elles sont citées en fn de rapport. Nous espérons que cete rédaction est fdèle à notre travail collectif.

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I. Eléments d’un nécessaire cadre politique

 « L’intégration », une mauvaise base pour (re)fonder une politique publique

Le gouvernement souhaite engager, selon ses termes, une « refondation de la politique d’intégration ». Cette ambition se heurte à deux problèmes préalables, ou plutôt elle nécessite de clarifier d’emblée deux points sémantiques à haute répercussion politique :

• Toute « refondation » suppose d’identifier précisément quelles sont les « fondations » préexistantes – s’il en existe. Or, l’histoire des dernières décennies peut faire douter qu’il existe des bases solides et claires sur lesquelles on pourrait simplement s’appuyer. Il existe de fait une pluralité de « référentiels » politiques qui cohabitent sans plus d’organisation et qui sont en concurrence. Par ailleurs, les bases sur lesquelles reposent de fait les politiques et actions publiques de ces dernières décennies posent de trop nombreux problèmes pour que l’on puisse les considérer comme susceptibles de servir de socle légitime et pertinent. L’enjeu sera donc ici de préciser quelles peuvent être selon nous des bases et une perspective à la fois pertinentes – car adaptées aux enjeux politiques de l’époque – et praticables – car il y a bien une politique et une action publiques à conduire. Et le défi est considérable.

• Parmi les référentiels politiques en présence, celui dit de l’« intégration » est sans conteste l’un de ceux qui dominent depuis plusieurs décennies. Ce terme n’est donc ni neutre ni adapté. Il est chargé d’un poids historique et politique paradoxal, à tel point que de nos jours ce terme incarne le problème lui-même qu’il s’agit d’affronter – nous préciserons cela. Intégration est le nom d’une mésentente, qui commence par ceci : il n’y a en réalité jamais eu en France de politique d’intégration ; mais le mot a cependant été épuisé en servant de faire- valoir à une politique d’assimilation.

Pour ces raisons, ce terme est aujourd’hui impropre à représenter une volonté forte des pouvoirs publics, de renouvellement des cadres de la politique et de l’action publiques concernant la manière d’appréhender la pluralité de la société française et d’agir sur ses lignes de clivage pour développer du « vivre ensemble ». Au-delà d’une simple question de sémantique, ces enjeux sont cruciaux, parce que les mots sont importants et que ces termes ont des efets concrets. Cela constitue de fait le premier niveau de proposition que nous formulerons pour fonder une politique pertinente et praticable.

En efet, la politique publique doit être sufsamment claire et lisible en termes de « référentiel » pour permettre aux divers acteurs de se situer et de se saisir des cadres globaux. Le brouillage de référentiels et le fou des mots est extrêmement préjudiciable à une politique publique pertinente. Il est une habitude, en vogue et dans l’ère du temps, qui consiste à mobiliser ou à convoquer, chacun à sa façon, des termes supposés communs pour légitimer l’action («république», «nation», «modèle français», etc.). L’un des problèmes de cet usage – qu’il soit stratégique ou fétichiste – est que l’invocation de ces termes ne fabrique pas du commun et ne suft pas non plus à représenter la communauté. Les processus de clivages sont trop puissamment à l’oeuvre et depuis trop longtemps pour pouvoir être simplement cachés par des mots rassembleurs. Et peut-être d’ailleurs, ces mots deviennent-ils paradoxalement de moins en moins rassembleurs et de plus en plus le visage même des clivages. Ces formes de brouillage et de masquage des enjeux, qu’ils soient ou non volontaires et conscients, placent les acteurs dans des contradictions douloureuses, et elles contribuent à compliquer un enjeu – celui de « faire société » – alors même qu’il s’agit de favoriser une dynamique productive de commun.

Dans cet enjeu et cette époque, le terme d’« intégration » est porteur d’une charge particulière. Historiquement, ce concept forgé en sociologie est une manière de répondre à une question politiquement cruciale : celle de la manière dont une société tient malgré des antagonismes et des processus de différenciation importants. Mais, repris dans les

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politiques publiques françaises depuis la fn du 20ème siècle, ce terme a connu une distorsion considérable. En efet, cette notion politique adresse, malgré ses dénégations, un message très explicite d’assimilation : on conditionne l’accès à la citoyenneté à une adaptation préalable des populations, en même temps que l’on vise les défauts supposés de ces populations, vues comme toujours-étrangères et donc sans cesse à « intégrer ». En pratique, l’injonction d’« intégration » n’a pas de fn et les personnes et les groupes qui en sont la cible font chaque jour l’expérience d’une précarité de leur condition politique : ils ne sont jamais vraiment considérés comme légitimement et normalement français, et ils sont sans arrêt exposés au risque d’être soupçonnées de n’être « pas intégrables », d’« infidélité à la Nation », de « communautarisme », etc.

Ce schéma inquiet et soupçonneux n’est pas nouveau ; l’on sait, historiquement, qu’il resurgit en période de guerre, lorsque le sentiment d’adhésion à la nation est mis à l’épreuve de conflits internationaux, et que l’on convoque les figures tutélaires d’une France éternelle pour inciter à une identification sans condition ni raison. Ces questions, on le sait, se retrouvent de manière concrète par exemple dans les enjeux des curricula scolaires : lorsqu’il s’agit d’apprendre l’histoire et les « valeurs de la République », de nouveaux avatars d’un discours sur « Nos ancêtres les Gaulois » circulent et s’inventent, faisant croire aux enfants que la France a une fondation anhistorique 4. Tout cela a pour conséquence d’altériser et de mettre à distance tous ceux qui ne pourraient se revendiquer « de souche » – comme le dit le discours raciste.

Même si ce n’est pas nécessairement la volonté de ceux et celles qui la portent, le message assimilationniste que recèle la politique d’« intégration » est perçu avec beaucoup d’acuité (et souvent de violence) par celles et ceux qui en sont la cible : les personnes que l’on renvoie sans cesse à être « issues de l’immigration »5. Nul doute que ceux et celles qui ne sont pas les cibles de ce discours, mais qui se sentent au contraire du « bon côté » de l’intégration (ceux qui ne se posent pas la question parce qu’ils se sentent «naturellement» français, ou les descendants d’immigrations antérieures qui une fois « naturalisés » français ont oublié le sort alors réservé à leurs ancêtres…), ne voient pas la violence que provoque ce message, ne mesurent pas ses efets (si ce n’est son caractère) pervers. Ils en perçoivent par contre, mais souvent avec un filtre déformant, les nombreux et tragiques efets et conséquences. Ces efets et faits divers sont alors eux-mêmes construits par la politique publique, comme s’ils étaient la source du problème (violences, ethnicisation, revendications mémorielles, etc.). Ce ne sont en réalité que les « efets secondaires » d’un traitement particulièrement mal ciblé – si l’on ose cette métaphore médicale. C’est pourquoi une politique publique ayant la haute ambition de (re)fonder son approche – comme nous avons choisi de l’entendre – doit reprendre base, en définissant un cadre de principes autant que possible sans ambiguïtés, et en s’attaquant aux problèmes et aux processus de fond.

 Quel est l’enjeu d’une telle politique publique ?

Posons que nous sommes dans un contexte où les identités et appartenances des individus ne sont pas unitaires et homogènes, mais au contraire « socialement », « culturellement », « ethniquement » et linguistiquement plurielles et multiples. En réalité, cela n’est pas le propre de l’époque ; il en a été ainsi de tous temps. Cela n’est pas non plus spécifique aux questions migratoires, car c’est plus généralement le propre des «identités» que d’être irréductiblement multiples, multiréférentielles et adaptatives. L’époque est cependant singulière, parce que la question des identités s’y exprime de façon forte, et elle est devenue plus qu’en d’autres temps peut-être un enjeu

4 Dans une observation récente au sein d’une école élémentaire, nous avons constaté que des élèves apprennent parfois que « l’homme de Tautavel » aurait été le premier « Français ». Si l’on comprend que ce raccourci est une manière de situer géographiquement la présence très ancienne d’êtres humains sur ce qui est aujourd’hui le territoire « français », ce type de discours produit une représentation de la « France éternelle », déconnectée d’une histoire administrative qui est en réalité infiniment plus courte, plus variable et chaotique.

5 Récemment, avec le surgissement du paradigme de la diversité, les mêmes personnes sont réputées « issues de la diversité » ce qui est plus problématique encore, car dans la formulation précédente leur ascendance renvoyait à des êtres de chair et de sang, les immigrés, alors que dans la nouvelle formulation supposées être plus moderne ou plus « chic », leur ascendance renvoie à un objet indéfini voire à une chose, à savoir la « diversité ».

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politique. Quel que soit le rapport que l’on a avec cete question, on ne peut oublier que les enjeux de reconnaissance identitaire sont constitutifs des droits humains et des besoins sociaux fondamentaux. Prenant acte de cete situation, l’enjeu est dès lors de rendre possible l’identifcation à une communauté politique plurielle, c’est- à-dire une communauté concrètement caractérisée par des identités diverses et hétérogènes – que ce soit en raison d’une histoire faite d’immigration, de colonisation, ou tout simplement et plus généralement de la pluralité des identités sociales et politiques et des croyances morales qui traversent la société – mais néanmoins capable de s’identifier positivement à un « Nous ». Ce que nous nommerons un Nous inclusif et solidaire.

L’enjeu politique est donc double :

• Une question majeure est de favoriser un sentiment d’appartenance commun sufsant pour qu’existent : une mutualité des demandes et des obligations ; un souci partagé des autres membres de la communauté ; ainsi qu’une loyauté à la communauté et un engagement pour son maintien et son bien-être. Il n’existe pas de communauté sans sentiment d’appartenance, et c’est d’ailleurs un tel sentiment qui constitue et défnit une communauté – ce « pathos », ainsi que le nommait le sociologue Max Weber.

• Un second enjeu clé, immédiatement articulé au premier, est de travailler sur les logiques, les processus et les pratiques qui empêchent cete identifcation positive à une communauté politique. Il est aussi, pour la même raison, de travailler sur les identités alternatives, non pas pour les éliminer ou les réduire et les contenir, comme le veut la perspective assimilationniste, mais pour permettre que se construisent des compromis pratiques. Ce second enjeu nécessite de travailler les frontières sociales, c’est-à-dire tout à la fois les divisions et les hiérarchies : inégalités sociales, processus de ségrégation et de discrimination, etc.

 Travailler le sentiment d’appartenance : un Nous inclusif et solidaire

Comment susciter et cultiver un sentiment commun d’appartenance, en contexte pluriel ? Clairement, celui-ci ne peut pas reposer sur la religion ou « l’origine ethnique », du fait précisément que les religions et origines sont diverses. Mais, note le philosophe Bikhu Parekh (2002), « une culture nationale partagée (…) amène à des difcultés semblables ». La situation française est éclairante, sur ce plan, et c’est bien le défi contemporain que de réaménager les fondations jusque-là entendues dans un sens étatico-national assez étroit. Une référence morale est globalement nécessaire, mais avec ce problème qu’« une vue partagée de la bonne vie ne peut pas être la base d’un sentiment commun d’appartenance non plus, pour la bonne raison qu’il n’y a aucun moyen rationnel de résoudre les profonds désaccords moraux qui caractérisent toutes les sociétés modernes ». Autrement dit, on ne peut fonder de façon ultime ce sentiment d’appartenance ni sur une approche ethnico-religieuse, ni sur une approche strictement nationale, ni sur une approche strictement morale. Toutes trois supposent d’imposer les croyances de certains à tous, au nom d’une présumée antériorité ou supériorité.

Reformuler la question nationale

Or, et c’est une partie importante de notre problème, en France, la réponse a cette question du sentiment d’appartenance a principalement été la tentative de promouvoir une culture nationale. L’école tout particulièrement, en a été un vecteur stratégique. Les rares tentatives de changer d’approche, comme cela a été le cas dans les réflexions sur le rôle de l’école en contexte dit « interculturel », autour du rapport de Jacques Berque (1985), ont été rapidement vouées à l’échec. Elles se sont heurtées à l’hégémonie d’un discours de préséance nationale conduisant à stigmatiser l’immigration, qui a abouti au retour d’une logique nationaliste largement fondée, par implicite, sur une conception ethnique de la nation – ce que l’on peut qualifier de logique ethnonationaliste. Si, dans l’histoire, la logique nationale a été un moteur du sentiment de communauté, aujourd’hui, dans un contexte où notre société est inévitablement plurielle et multiple, la réponse nationale est non seulement insufsante, mais pour une part elle nous

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empêche plus qu’elle ne nous aide à solutionner le problème. En tous les cas, la croyance, très ancrée et fortement défendue, dans le fait que le registre national peut solutionner les défs de l’époque est aujourd’hui clairement un obstacle à la résolution du problème qui est le nôtre. On le voit sur divers plans, de la construction européenne à la défnition de l’identité commune. Car, sauf à chercher à « purifier » et hiérarchiser les appartenances – de sinistre mémoire, mais cela se rejoue sous d’autres formes aujourd’hui -, le défi est bien d’inventer et de réaliser une identification collective à une communauté qui s’accepte et se reconnaît comme étant plurielle.

Est-ce à dire qu’il faille enterrer la question de la nation ? Non. Au minimum, il s’agit de la reformuler en profondeur : sur une base « inclusive », comme une « grande nation », propose Thierry Tuot (2013). C’est en tout cas une conception ouverte qu’il s’agit d’activer ou de réactiver. Comme le dit le politologue Dominique Colas, « que la démocratie s’inscrive dans les frontières d’une nation, que l’Etat soit territoire, n’implique pas qu’un lien de sang, reçu ou versé, avec ce sol, qu’une autochtonie, soit une condition d’accès à l’espace de droits et de devoirs mutuels qui la définit » (Colas, 2004, p.217-218) Une reformulation de l’approche française de la nation est donc tout à fait possible. Et elle rendue en outre tout à fait nécessaire dans la phase de transition qui caractérise notre époque, dans laquelle doit être redéfini, comme le dit Jean Leca, un point d’équilibre entre altérité et civilité.

Prendre appui sur quelques principes… à clarifier et à appliquer

Comment faire ? Si des principes de justice sont nécessaires, ils ne sont pas sufsants ; autrement dit, la question ne se solde pas dans les seules logiques de redistribution et dans le traitement classique de la « question sociale ». Un accord minimal est en outre nécessaire, d’une part « sur la façon dont la communauté devrait être constituée et ses afaires collectives conduites » (Parekh, 2002) – c’est l’enjeu de la question démocratique -, et d’autre part sur des valeurs fondamentales. Nous pensons sur ce plan que les grandes références dont nous disposons à ce jour sont pertinentes et sufsantes pour ce faire, à condition de s’entendre sur leur usage. Les droits de l’homme (et de la femme et de la citoyenne) ainsi que les droits de l’enfant, peuvent constituer cete base morale d’accord politique minimal pour reformuler une manière de faire société ici et maintenant. Ces grands principes de droits humains constituent un postulat fort et qui en outre semble pragmatiquement accepté. Mais encore faut-il se saisir de ces droits non pas seulement comme principes, mais aussi comme normes, afin de les faire progresser en pratique (quid des droits de l’homme au regard du traitement de certains groupes définis par leur «migration» ou leur « itinérance » ? quid des droits de l’enfant à l’école ?)

Par ailleurs, le concept de laïcité est également précieux pour fonder une politique publique, car, en défnissant un cadre à la fois strict mais ouvert, il permet d’organiser la coexistence paisible de différences morales dans la société, tout en conservant la coopération sociale. Cela suppose par contre que ce concept ne soit pas instrumentalisé et « falsifié » (Baubérot, 2012), comme ces « laïcité positive » « restrictive »6 récemment brandies pour s’opposer aux pratiques qui « nous » gênent ou justifier la prééminence de certaines religions sur d’autres. Se référer de la laïcité, dans le contexte actuel, nécessite donc de nous redire au préalable à quelle condition ce concept peut être un outil pour rendre possible une commune appartenance. C’est ce qu’a fait le Conseil d’Etat (2004), qui reconnaît la pluralité des acceptions de la laïcité, tout en en circonscrivant les usages possibles : ce terme ne peut « faire l’objet de n’importe quelle interprétation. (…) la laïcité française signifie le refus de l’assujetssement du politique au religieux, ou réciproquement, sans qu’il y ait forcément étanchéité totale de l’un et de l’autre. Elle implique la reconnaissance du pluralisme religieux et la neutralité de l’Etat vis à vis des Eglises »7. N’en déplaise à certain.e.s, le sens de la laïcité est de protéger a priori la liberté de croyance et d’autoriser la manifestation publique comme privée de son appartenance religieuse, dans la mesure où cela ne trouble par l’ordre public.

6 Nous faisons ici allusion aux notions utilisées entre autres par l’ancien chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy, dont la trajectoire des discours en matière de « laïcité » est allée de la revendication d’une identité chrétienne à un usage nationaliste Cf. Stéphanie LE BARS, « La « laïcité positive » face aux risques de la laïcité « restrictive » », Le Monde, 15 avril 2011.

7 Conseil d’Etat, Rapport public Un siècle de laïcité, 2004.
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Concernant particulièrement l’éducation, le travail de reformulation fait par exemple par la Ligue de l’enseignement est un support important et conséquent. La Ligue rappelle qu’« historiquement outil privilégié de l’émancipation, la laïcité devient [pour de nouveaux acteurs utilisant opportunément le discours laïcard] instrument de rejet et de ségrégation sociale de certaines catégories de la population, transformées en boucs émissaires pour masquer les difcultés sociales. » Face à ce détournement qui a pour principale cible l’islam, « la seule issue positive est de sortir du « eux » et « nous », de moins parler des musulmans mais de parler plus avec des musulmans et de leur faire la place qui leur est due » (Ligue de l’enseignement, 2012, p.6).

Si donc, ces quelques concepts fondamentaux sont globalement déjà présents formellement dans la situation contemporaine, il s’agit d’une part d’afrmer politiquement et sans ambiguïté le sens à leur donner, et par suite de s’atacher à les rendre présents réellement. C’est-à-dire en faire des outils pratiques capables de nous aider à réguler les situations concrètes et les confits inévitables du monde social, et non les enfermer dans un statut de fétiche, qui imposerait d’en haut l’interdiction de certains usages au détriment des droits. Seule une laïcité ouverte et réflexive peut avoir la souplesse dont nous avons aujourd’hui besoin. « Il faut courageusement, écrit encore la Ligue, faire l’examen critique des prétentions hégémoniques d’une culture dont l’universalité proclamée cache souvent des tentations uniformisantes et permettre une meilleure appropriation par tous les citoyens des bases historiques, juridiques et philosophiques qui fondent la laïcité française ». A l’école, cela ne peut se solder dans l’afchage scolaire d’un discours de la « laïcité » qui raisonne comme une norme comportementale. Un travail proprement pédagogique est à faire, pour faire vivre et rendre utilisables ces outils conceptuels en les metant à l’épreuve de la réalité : les droits humains comme la laïcité n’auront de sens et n’engageront chacun dans leurs usages que s’ils deviennent des principes effectifs, vérifables en pratique, à travers les expériences sociales que nous en avons.

›› Cela signife :

  1. De poser et d’assurer partout une égale citoyenneté politique, par laquelle chaque membre de la communauté peut éprouver concrètement et symboliquement qu’il est l’égal des autres, qu’il a les mêmes droits, un traitement comparable, et des opportunités équivalentes ;
  2. D’entretenir et transmetre, dans une éducation permanente, et donc pas seulement scolaire, les références fondamentales (droits humains, droits de l’enfant) comme étant moralement obligatoires et ne souffrant pas de compromis ;
  3. De vérifer partout que ces valeurs humaines de base « tiennent » et que nous sommes capables de les mobiliser efcacement dans les situations de confits, autrement dit de les partager en pratique pour metre au travail et éprouver cete appartenance commune ;
  4. D’assurer, pour le reste, la reconnaissance neutre voire bienveillante de l’existence non problématique pour la communauté dans son ensemble de multiples différences morales et d’intérêts : c’est en France le rôle de la laïcité, qui est en outre un outil pratique pertinent pour réguler les situations ;
  5. De développer des procédures facilitant l’élaboration de compromis pratiques ou la régulation de confits, ainsi que développer l’apprentissage et l’entraînement de « compétences sociales et démocratiques » de type coopération, débat, etc. ;
  6. De favoriser un climat social pacifé et « familier », pour que chacun puisse « se sentir chez soi dans la communauté, et souhaiter en rester partie prenante », en développant notamment un discours inclusif et qui dédramatise l’altérité, et en encourageant des logiques solidaires. Travailler sur les frontières de la société : pour une égalité concrète et vérifiable

La possibilité de s’identifier positivement à une communauté politique suppose que les expériences sociales soient Rapport du groupe « Mobilités sociales » Page 9/93

sufsamment en adéquation avec les discours de principe de cette communauté. A savoir : l’égalité doit être réelle et vérifiable ; la liberté d’opinion, de religion et de croyance de même… Si tel n’est pas le cas, c’est le rôle majeur de la politique publique que d’y remédier, en rappelant les principes de droit, et en s’attaquant vigoureusement aux logiques qui produisent des inégalités et des frontières : à ces processus d’altérisation et de stigmatisation, de discrimination et de ségrégation, et plus largement aux mécanismes produisant inégalités et hiérarchies. C’est ce que nous avons nommé plus généralement : travailler sur les frontières de la société française.

Ces frontières sont, tout ensemble, extérieures – frontières nationales et, de plus en plus, européennes -, et intérieures. Car on ne peut séparer artifciellement la clôture externe d’un groupe des principes de clivages et de hiérarchies internes; ce sont généralement les mêmes principes. Comme on le voit pour le racisme ciblant l’immigration, le déplacement progressif des frontières de la France vers l’Europe s’est accompagné de la structuration d’un « racisme européen », comme le dit le philosophe Etienne Balibar. Le nouveau discours politique et les dispositifs juridiques et pratiques conduisant à ce que les Européens ne soient plus en France des « étrangers » ne règle pas le problème du racisme, qui se reformule en triant au sein des Européens – avec le racisme visant les populations dites Roms – en même temps qu’ils se relégitime vis-à-vis des populations vues comme extra-européennes. La recomposition des frontières externes va de pair avec une recomposition des frontières internes ; et pour le dire ainsi : le traitement général de l’immigration va de concert avec le statut accordé aux « immigrés » et à leurs descendants dans le pays « d’accueil ».

Il en découle qu’une politique publique travaillant sur les frontières de la société ne se fonde pas sur l’identifcation de publics-cibles. Et c’est là un véritable déf, tant les politiques et les administrations sont habituées à transformer des problèmes publics en problèmes des publics. Une politique publique sur ces questions accorde une responsabilité majeure aux institutions et organisations, publiques et privées, de garantir les règles communes et de développer une réfexivité sur leur fonctionnement et leur action, afn qu’elles ne produisent pas l’inverse de ce qu’elles devraient. En conséquence, si les divers membres de la communauté politique doivent bien entendu être incités à se « retrousser les manches », la responsabilité première se joue au niveau des politiques, des institutions et des organisations (de statut juridique public et privé)… Parler de la primauté de responsabilité des organisations instituées ne veut pas dire faire sans (ou contre) les publics. Les citoyens et les publics ont ici un double rôle, crucial : celui d’être un aiguillon impératif pour vérifier que l’égalité et la liberté sont efectives ; celui d’apporter leur expertise sur le fonctionnement réel des politiques, des institutions et des organisations. Ces dernières doivent en conséquence apprendre à travailler avec les publics – et non « sur eux ».

Pour pouvoir produire une communauté dans laquelle chacun se sent sufsamment bien, reconnu et légitime pour s’y identifer « spontanément » – se sentir normalement d’ici et membre du « Nous » – la question clé sur laquelle concentrer l’action publique est : de quelles manières chacun est-il traité par la communauté, par ses institutions, par ses membres. Autrement dit, il s’agit prioritairement de porter l’atention à la régulation voire à la sanction des expériences et situations de maltraitance, de discrimination, de ségrégation, etc. Ce sont ces situations pratiques qui doivent être à la fois la cible concrète et l’indicateur politique d’un problème de/dans la société. Ce qu’il s’agit ici de travailler, ce n’est pas la production d’un discours de fdélité à la communauté et à ses « valeurs » ou la conformation de groupes et d’individus à des normes sociales dominantes, mais bien les mécanismes et les processus produisant des frontières et des clivages rigides et illégitimes. Et particulièrement ceux-ci :

• Altérisation, processus sociopolitique par lequel l’on produit des « diférences », c’est-à-dire par lesquels on construit des groupes de populations assignées à un statut de fait « toujours-autre », qui justifie en retour de les traiter en tant qu’Autres (« Eux ») ;

• Ethnicisation, processus sociopolitique par lequel l’on produit de l’identification collective à une « origine » tenue pour primordiale et fondamentale. Ce processus se comprend d’abord comme le résultat d’un rapport social asymétrique et inégalitaire dans lequel un groupe justifie sa domination par une préséance supra- ou infra- historique (une « souche », des « ancêtres Gaulois »…) et définit d’autres groupes comme essentiellement

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diférents de par leurs « origines » supposées autres. Ce processus se comprend ensuite, secondairement, comme une forme de réaction à ce rapport social asymétrique, une contre-identification qui trouve dans le discours sur les « origines » une ressource collective pour s’afrmer – cette afrmation pouvant alors prendre des formes constructives ou destructives.

• Racialisation, terme que nous préférons à celui de « racisme », parce qu’il rompt avec la logique habituelle qui incarne le problème dans des groupes-sources (« les racistes »), et parce qu’il désigne la banalité des pratiques et des processus produisant des identités « raciales » ou des groupes sociaux définis comme « races » (donc, supposés fondés en nature). La racialisation est d’abord un processus à travers lequel un groupe dominant justifie sa domination en définissant d’autres par une nature supposée à part et censée expliquer et justifier leur place subalterne. C’est ensuite, secondairement, une contre-identification possible.

• Discrimination, processus sociopolitique par lequel l’on traite en pratique diféremment et inégalement les personnes vues comme membres de groupes moins légitimes ou de moindre qualité sociale et politique (ces groupes-types que le droit nomme en tant que catégories socialement ou cognitivement actives, dont l’usage dans la sélection et le traitement des individus et des groupes est prohibé). Par réduction : actes et pratiques spécifiques qui réalisent dans un contexte donné cette inégalité de traitement.

• Ségrégation, processus sociopolitique par lequel les groupes tenus de fait comme moins légitimes ou supposés de moindre qualité sociale et politique sont cantonnés à des espaces géographiques spécifiques, qui deviennent eux-mêmes les marqueurs d’une indésirabilité sociale.

• Minorisation, processus sociopolitique par lequel l’on construit des groupes hiérarchiquement subalternes assimilés à un statut politiquement, socialement et parfois juridiquement « mineur » – soit des « minorités » au sens non pas statistique mais en termes de rapports de domination. Ces processus reposent sur le fait de dénier aux personnes leurs qualités d’être parlant et pensant, et donc d’égal politique, en les renvoyant à une appartenance à un groupe minoritaire auquel ces personnes finissent par défaut par s’identifier.

›› Cela suppose :

  1. Une politique vigilante quant à l’identifcation des problèmes publics et quant au maintien du référentiel et du cap global, soit une politique qui veille à ne pas renverser la question dans un problème des publics et qui se donne les moyens d’évaluer et de comprendre ce qu’elle produit ;
  2. Une politique qui, en conséquence, se concentre sur la responsabilité majeure des institutions et des micro- collectivités que sont toute entreprise ou toute organisation instituée, d’adapter ses normes et ses pratiques pour veiller et agir sur les mécanismes et logiques qui (re)produisent un ordre social inégalitaire ;
  3. Une politique claire quant aux normes minimales à faire respecter, rôle que doit jouer par principe et en fait le droit lorsqu’il interdit la discrimination, le traitement raciste, etc., mais aussi la laïcité en tant qu’elle limite le pouvoir des institutions et garantit la liberté de croyance et d’opinion des individus ;
  4. Une politique ambitieuse, pérenne et conséquente, qui dispose des moyens humains, organisationnels et fnanciers pour pouvoir se déployer systématiquement ;
  5. Une politique qui s’inscrit pragmatiquement dans le réel tel qu’il est et dans la société telle qu’elle fonctionne, donc qui cherche à s’ancrer dans toutes les organisations et institutions, dans tous les dispositifs et les actes ;
  6. Une politique qui sait regarder « là où ça fait mal », et donc qui a le courage d’affronter les problèmes réels et concrets qui empêchent les mobilités sociales, en tenant les problèmes, les difcultés et les confits inévitables comme des opportunités pour penser ensemble et pour renouer les fls d’une commune appartenance à un « Nous » inclusif.

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II. Ce que nous enseigne l’histoire

Depuis les décolonisations intervenues notamment dans les décennies 1950 et 1960, et plus particulièrement depuis la fin de la guerre d’Algérie, le terme d’immigration et plus encore l’expression « issu de l’immigration » désigne implicitement d’abord les ressortissants des anciennes colonies (ou leurs descendants) – faisant fi d’une longue et complexe histoire des migrations, européennes ou sans lien historique d’ordre colonial. Cet implicite du discours public montre le poids du passé colonial dans l’imaginaire français. La décolonisation a, selon plusieurs auteurs, correspondu à un transfert en métropole, à la fois de rancoeurs et des logiques de racisme qui organisaient en partie l’ordre colonial. Aussi les modes de gestion politique des populations concernées ne sont-ils pas sans une certaine continuité, ou au moins proximité, avec la manière de gérer les « indigènes » du temps de la colonisation :

• C’est d’une part, en efet, la continuation d’un mélange entre deux discours normatifs : un discours d’assimilation puis d’intégration (avec pour horizon la pleine citoyenneté française, tenue pour norme supérieure), et un discours d’altérisation allant de l’exotisme et l’orientalisme (avec, historiquement, les expositions coloniales et autres « zoos humains ») aux formes plus subtiles d’ethnicisation.

• C’est d’autre part, le prolongement et le renouvellement dans l’histoire d’une focalisation émotionnelle et idéologique sur quelques thèmes polémiques censés témoigner des « limites de l’assimilation » ou d’un « refus d’intégration » : le statut de l’islam, particulièrement.

Disant cela, il s’agit surtout d’opérer deux choses : d’une part, dégager des axes de lisibilité de l’histoire politique des quelques cinquante dernières années, pour mieux saisir comment se posent aujourd’hui les enjeux ; d’autre part, pointer plus largement le fait qu’une politique publique sur ces questions doit impérativement prendre en considération le poids de cette histoire, ses efets politiques, et chercher autant que faire se peut à rompre avec ces héritages en partie impensés. La question n’est pas pour nous seulement mémorielle ; elle traverse les choix de politiques publiques, tant dans le domaine de l’emploi et du travail (comment traite-t-on du chômage des populations harkis ? Quel statut donne-t-on au problème des discriminations dans le monde du travail ?, etc.) que dans le domaine éducatif et scolaire (comment on a inventé et géré le « problème du voile » à l’école ? quels sont les contenus et les formes d’enseignement de l’histoire, de l’éducation civique, des religions ?, etc.).

La relecture historique que nous proposons ici a pour seul but de remettre en mémoire et en perspective certaines des bases sur laquelle les questions de l’immigration, de l’intégration, des discriminations, etc. se sont construites. Pour des raisons de facilité de réception, nous découpons cette histoire en grandes décennies – ce qui est bien sûr un choix historiographique des plus discutables. Ce séquençage ne doit pas laisser croire que chaque décennie est entièrement singulière. L’émergence de certains discours ou de certaines configurations est datable, mais ils reposent souvent sur les schémas précédents, qui se prolongent. Cette histoire est donc largement celle d’une sédimentation et d’une répétition de quelques grandes logiques, qui font ofce d’ornières et dont il s’agit à notre sens de sortir aujourd’hui.

 Les années 1970 : l’invention du « problème de l’immigration »

Ni dans l’emploi ni dans le domaine scolaire, l’immigration n’est un réel enjeu « intérieur » jusqu’au moins la fin de la seconde Guerre mondiale. C’est la période dite des « Trente glorieuses » qui fait de l’immigration un enjeu surtout économique. Dès la fin des années 1960, la question de l’immigration change de statut politique pour devenir un « problème », ce qui sera accéléré avec la crise de 1973 et un chômage de masse et pérenne. La décennie 1970 est marquée par plusieurs évolutions importantes concernant notamment les domaines du travail et de l’emploi, de la formation et de l’éducation. Ces évolutions ont des répercussions importantes qui vont jusqu’aujourd’hui, et qui constituent à ce jour certains des fondements du problème public auquel nous avons à faire face.

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La réduction d’une population à une logique économique

Malgré l’appel massif à des travailleurs étrangers entre 1945 et 1974, les « immigrés » sont d’autant plus banalisés sur cette période qu’ils sont cantonnés à une question de main d’oeuvre et de variable de gestion dans une stratégie économique. La conséquence est que l’on occulte ou réprime leurs besoins (reconnaissance, logement, formation, etc.) et leurs revendications8. A la fois sous le coup d’une transformation de l’Etat et d’une conversion progressive des hauts fonctionnaires à l’économisme9, la question de l’immigration va devenir pour l’Etat un « problème ». Mais celui- ci est toujours d’abord réduit à des considérations en termes de main d’oeuvre et de flux économiques. A ce moment, on ne « voit » pas le phénomène de l’émigration-immigration dans sa complexité et sa pluralité, car les politiques publiques ont des lunettes à la fois très instrumentales et profondément altérisantes. De là un aveuglement tenace qui va organiser les politiques publiques (et que n’invalideront souvent pas les populations elles-mêmes) – avec, par exemple, l’idée que ces populations sont destinées à « rentrer chez elles », ou encore la croyance dans une « distance culturelle » à l’égard de la société française, etc.

Une discrimination massive des travailleurs étrangers

Après la crise de 1973, les populations immigrées/étrangères, massivement recrutées pour « reconstruire la France » après la seconde Guerre mondiale, vont être la première catégorie de travailleurs à servir de régulateur de « fexibilité » à l’économie, avec une discrimination massive à leur encontre. En efet, « en quinze ans (1973-1988), les entreprises industrielles ont réduit d’environ 40% le nombre de leurs emplois occupés par les étrangers, opérant ainsi (aux moindres frais) le licenciement de plus d’un demi-million de salariés. Incontestablement, les étrangers ont payé à la crise et aux restructurations du secteur industriel un tribut plus lourd que les nationaux » (Marie, 1996). Corrélativement, le taux de chômage des étrangers a été multiplié par 4 entre les recensements de 1975 et 1990, tandis que celui des français ne l’étaient « que » de 2,75.

L’invention du « problème de l’immigration »

L’idée qu’il s’agit d’un « problème » est constitutive de cette nouvelle gestion et de ce nouveau discours d’Etat sur l’immigration, depuis la fin des années 1960. Mais ce n’est pas tout. Car pendant ce temps, le statut de la question immigrée se transforme dans les discours médiatiques et politiques. En efet, l’équation « immigration = problème », qui était un marqueur propre au discours d’extrême-droite dans les années 1960, est devenu vingt ans plus tard un schéma commun à l’ensemble de l’échiquier politique et un poncif du discours public, comme l’a montré Simone Bonnafous (1991). Les deux dimensions sont liées : le thème nouveau de la concentration des immigrés (dans les banlieues) et de leurs enfants (dans certaines écoles) – parfois sous l’argument raciste du « seuil de tolérance »10 -, va soutenir de fait la naissance d’une préoccupation ministérielle (puis scientifique) concernant les « banlieues » et aussi « la scolarisation des enfants d’immigrés ».

Une tendance à l’ethnicisation des politiques publiques

Le ministère de l’Éducation nationale a investi la « scolarisation des enfants d’immigrés » en tant que problème à partir de 1970, donc avant la crise de 1973. Il l’a fait en partie sous incitation du Conseil de l’Europe11. La mise en place de

8 Pour mémoire : des grèves de la faim contre les expulsions en 1972, la grève contre les actes racistes déclenchée par le Mouvement des Travailleurs Arabes en 1973, la grève des loyers de la Sonacotra (1975-79), puis les grèves dans le secteur automobile (Citroën et Talbot, 1982-84) sont quelques exemples qui témoignent de mobilisations souvent occultées ou minorées.

9 Ces deux mouvements étant représentés par exemple par l’émergence de nouvelles générations de hauts fonctionnaires, par le poids pris par le ministère de l’Economie, et par la création de la Direction de la population et des migrations. Cf. sur ces points les travaux de Sylvain Laurens (2009).

10 A noter que certains scientifiques accordent du crédit à cette notion : des statisticiens de l’INED, par exemple, discutent de cela lors d’un « Séminaire sur les problèmes posés par les enfants de travailleurs migrants » (Paris, décembre 1968). La prégnance de cette idée, justifie aux yeux de certains élus, des pratiques discriminatoires dans l’accès à l’école, qui, pour certaines, donneront lieu à de premières condamnations pénales pour « discrimination raciale ».

11 Conseil de l’Europe, « Résolution (70) 35 du Conseil des ministres sur la scolarisation des enfants de travailleurs migrants ».
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Classes d’initiations (CLIN), de programmes d’Enseignement des langues et cultures d’origine (ELCO), puis de Centres de formation et d’information pour la scolarisation des enfants de migrants (CEFISEM) traduisent une part des logiques qui président à la définition du « problème » : l’idée qu’il s’agit d’un public spécifque, défni par son ratachement à « l’étranger » (avec la vocation à y retourner), ayant un problème particulier de maîtrise de la langue et des codes scolaires… Les circulaires qui organisent ces dispositifs montrent une logique d’ethnicisation : en efet, les catégories de gestion passent, des années 1970 au début des années 1980, d’un référent juridique et linguistique à un référent culturaliste et ethniste, en incluant parfois la religion dans la désignation ofcielle des publics. Ceux-ci sont donc implicitement définis par une hétérogénéité à la norme scolaire.

Un antiracisme cantonné aux principes

Les années 1970 sont également marquées par une montée de la xénophobie et une longue série d’épisodes racistes (violences, meurtres, « ratonnades », attentats d’extrême-droite contre le consulat algérien à Marseille, etc.). Les pouvoirs publics se caractérisent alors au minimum par leur peu d’entrain à affronter le problème12, metant surtout en exergue un principe antiraciste. « La France est profondément antiraciste. Le gouvernement français est fondamentalement anti-raciste. Et tout ce qui ressemble au racisme, nous l’éxécrons (…). En France, de racisme il n’y en a pas, en tout cas il ne doit pas y en avoir », est la réponse du président Pompidou, en 1973 – en même temps qu’il préconisait un contrôle de l’immigration. La principale réponse de cete époque – qui se poursuit encore aujourd’hui – est le développement d’un droit répressif, avec la loi dite « Pleven » du 1er juillet 1972. Cete loi introduit pour la première fois le délit de discrimination pour le critère « racial ». Mais elle demeure peu appliquée, et cinq ans plus tard, le MRAP célèbre à sa façon cet anniversaire en dévoilant les codes employés par l’ANPE pour, dirait-on aujourd’hui, coproduire la discrimination : « 01 blanc », « Antillais s’abstenir », « Pas de 31, 32, 33 »13… De tels codes seront « redécouverts » par la sociologie dans les années 1990, montrant que les pratiques sont toujours à l’oeuvre. Ainsi, entre afrmation de grands principes et arsenal répressif globalement inappliqué, l’antiracisme de l’Etat français apparaît en décalage avec une époque de relégitimation du phénomène raciste et de banalité de la discrimination14, phénomènes qui cristallisent sur la place que l’on ne veut pas faire aux « immigrés ».

L’insertion, une lecture handicapologique à la base des politiques de l’emploi

Dans une époque marquée par une progressive conversion de l’Etat français au néolibéralisme , le référentiel politique d’« insertion », réponse à l’« exclusion », a renversé l’interprétation jusque-là admise du chômage. D’élément structurel d’une économie capitaliste (Marx parlait d’une « armée de réserve de travailleurs »), le problème du chômage a été redéfni à travers un prisme qui impute désormais aux individus la cause de leur non-emploi : les publics sont définis par leurs inadaptations et leurs manques supposés face aux « besoins de l’économie ». La généralisation de la notion d’insertion, des travailleurs handicapés (depuis 1972) aux « jeunes » (avec la création des Missions locales d’insertion au début des années 1980) puis à l’ensemble des publics de l’action sociale (avec le RMI, en 1988), a étendu cette approche handicapologique des problèmes sociaux. C’est sur cette base que va être formulé, dans la décennie suivante, le référentiel d’« intégration », qui rajoute à l’inadaptation supposée de la jeunesse l’idée d’un déficit particulier d’adaptation des populations pensées comme « issues de l’immigration ».

12 Des associations et surtout les travailleurs immigrés eux-mêmes ont dénoncé cette situation (manifestations, grève dans les usines de la Ciotat à l’initiative du Mouvement des travailleurs Algériens, etc.), avec le soutien d’une pression du gouvernement Algérien sur la France (décision de suspendre l’émigration vers la France, etc.).

13 SAGOT-DUVAUROUX Jean-Louis, « Cinq ans d’une loi », Droit et liberté, n°360, août 1977.

14 Cette banalité est connue des administrations centrales, puisque le ministère des Afaires sociales difuse une circulaire explicite : « En ce qui concerne l’enregistrement des ofres d’emploi par les services de l’Agence nationale pour l’emploi, la règle est désormais de refuser, en général, toute mention discriminatoire ». Ibid.

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 Les années 1980 : émergence de nouveaux acteurs et requalifcation politique du problème

Les années 1980 se caractérisent tout particulièrement par l’afrmation sur la scène politique de deux nouvelles catégories d’acteurs, qui modifient en partie les rapports sur l’échiquier et sur l’agenda politiques. Ces deux acteurs ont rétrospectivement joué le rôle de justification de cette prophétie autoréalisatrice qu’a été la construction du « problème de l’immigration » :

• D’une part, la montée dans l’opinion et dans les urnes (politiques, puis syndicales) d’une extrême-droite, dont les thèmes ont été « relookés » pour être mieux difusés dans l’époque : « problème de l’immigration », « droit à la diférence », « préférence nationale », etc.

• D’autre part, l’afrmation des enfants d’immigrés, très largement en réaction à la violence raciste et aux incessantes discriminations et harcèlement (policier, particulièrement) dont ils sont l’objet. L’évènement marqueur de cette émergence d’un nouvel acteur politique est la première « Marche pour l’égalité et contre le racisme » de 198315.

Cette nouvelle donne a eu plusieurs conséquences sur la définition des enjeux de l’action publique.

Une représentation biaisée des acteurs et une dépolitisation du problème

Dans l’imaginaire collectif, la nouvelle focale sur les « jeunes » (c’est l’un des thèmes phares de la campagne du candidat socialiste F. Mitterrand) a conduit à faire croire à une passivité politique et militante de la génération précédente, celle des « immigrés ». On a ainsi contribué à enfermer ces derniers dans un statut instrumental et un mythe de la « docilité » au travail, tandis qu’on accentuait l’image d’une jeunesse « remuante », justifant par là tant les discriminations à l’emploi que des politiques sécuritaires. Toutes les générations, cependant, ont été renvoyés à une altérité intrinsèque, chacune à sa manière, comme en témoignent avec persistance les catégories du discours publics : on ne cesse de parler des « issus de l’immigration ». C’est ici encore une logique d’ethnicisation, qui se traduit de manière exemplaire dans la reformulation des exigences portées par la Marche de 1983 : à une demande de non- discrimination et de reconnaissance en tant qu’Egaux, les pouvoirs publics et les médias ont répondu par une double catégorisation, ethnique et jeune, comme l’illustre la requalification du mouvement en « Marche des Beurs ».

Du côté des acteurs assimilés au racisme, également : l’amalgame usuel entre ce phénomène et l’extrême-droite a servi à imputer le problème à un nouvel arrivant sur la scène politique. On a ainsi cherché à le disqualifier moralement, avec pour efet de dédouaner la société française d’une analyse en profondeur de son rapport à elle-même (la conception ethnonationaliste qu’elle se fait du « Nous », les racines historiques et politiques du racisme, etc., tous ces éléments qui rendent la société française particulièrement perméable aux logiques de racialisation).

Une approche culturalisante du « racisme »

Dans le domaine scolaire, les années 1980 voient la tentative, avortée, d’introduire une approche multiculturelle, avec le rapport de Jacques Berque (1985). La traduction de ces principes par l’administration est ambiguë, car le problème est associé, dans les circulaires, à la présence d’« élèves étrangers » dans l’école, dont on fait des « supports »16 pour répondre à « un objectif d’ouverture sur d’autres cultures ». Cete culturalisation des publics fabrique de la distance, là où l’on voudrait inciter à leur reconnaissance. Cete logique se prolonge jusqu’aujourd’hui dans ce qu’il est convenu d’appeler une « pédagogie couscous », modèle toujours très prégnant dans l’intervention éducative.

Par ailleurs, le discours d’une association telle SOS-Racisme, née en 1985, qui substitue à la demande d’égalité des

15 En réaction à la mort de plusieurs jeunes suite à des interventions policières au Minguettes (Vénissieux), entre 1979 et 1982, l’association SOS avenir Minguettes a initié la première « Marche pour l’égalité et contre le racisme », partie de Marseille le 15 octobre 1983 et arrivée à Paris le 3 décembre avec un défilé réunissant près de 100.000 personnes.

16 Selon le terme de la circulaire n°86-120, « Accueil et intégration des élèves étrangers dans les écoles, collèges et lycées », BO n°13 du 3 avril 1986. Rapport du groupe « Mobilités sociales » Page 15/93

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« Marches » un discours de fraternité et de protection (cf. le slogan « Touche pas à mon pote »), accentue la dépolitisation du problème. Au lieu de constituer en problème public l’expérience incessante des pratiques de discrimination et de racialisation, on définit le racisme comme un enjeu de « mentalités » à changer, avec pour horizon la communion dans les « valeurs de la République ». Ce faisant, on traite le racisme non pas comme une question politique (quel ordre de la cité ?), mais comme le signe d’un défaut de socialisation nationale. Cela conduit à réduire le phénomène à une question d’inadaptation morale, supposée être l’apanage de certaines catégories de populations « distantes » avec les codes et les normes dominantes : les classes populaires, les milieux ruraux et les « jeunes des banlieues ». Et cela conduit à tenir dans l’ombre ou à biaiser plusieurs éléments clés du problème : la réfexion sur les normes nationales et le lien entre nationalisme et racisme, le « racisme des élites » ou encore le rôle réel des institutions publiques telles que l’école dans la (re)production des phénomènes.

La « discrimination positive à la française » et ses effets pervers

Une autre grande caractéristique des politiques publiques des années 1980, est bien sûr la formulation du problème dit des « banlieues ». La défnition même des zonages et des dispositifs, de la politique d’éducation prioritaire comme des politiques de la ville, se fait en incorporant des présupposés et des catégories ethniques. Pour définir les ZEP, par exemple, on a mobilisé des « indicateurs “déjà disponibles dans chaque secteur scolaire” (…). En 1970, la présence d’enfants étrangers avait été considérée comme un indice de manques et de besoins individuels (de ces élèves). En 1981, elle devient l’indicateur ofciel des besoins de toute la collectivité » (Morel, 2002)17. Les zonages sont cependant d’emblée retraduits, par un jeu de bonneteau, dans des critères socio-économiques statistiquement mesurables, avec un discours privilégiant la « question sociale ». Tandis que les dispositifs financés par le FAS (études « assistées » puis Animations éducatives périscolaires (AEPS), actions de préformation, d’alphabétisation ou « d’adaptation linguistique »…), eux, visent plus explicitement les populations « immigrées ».

Ainsi se renouvelle un couplage dont on trouve la trace déjà précédemment (dans le discours syndical à l’égard des luttes immigrées, par exemple), mais qui va devenir le schéma ofciel : d’un côté, un discours qui déspécife l’immigration en l’assimilant à la question sociale, et de l’autre des mesures et dispositifs qui reposent sur un présupposé d’altérité en alimentant le statut de « problème » de l’immigration. Ce compromis stratégique, rétrospectivement qualifé de « discrimination positive à la française »18, a permis aux pouvoirs publics de ne pas nommer ni regarder les mécanismes d’ethnicisation et de racialisation. Mais en se décrétant aveugle à ces questions taboues, l’on a surtout été aveugle au rôle des politiques et des dispositifs publics dans leur (re)production, et l’on a occulté l’enjeu crucial de la régulation de ces phénomènes. Une autre conséquence de cette manière de subsumer implicitement la question ethnique19 à celle, sociale, a été d’imputer la première à la subjectivité des individus, et ainsi de « no[yer] les individus, victimes ou auteurs du racisme, dans la même équation des difcultés du vivre ensemble dans les banlieues » (Poli, 2005).

La dramatisation stratégique du thème de l’immigration

La seconde moitié des années 1980 a connu une « innovation institutionnelle » lourde de conséquences sur notre question. En efet, la première « cohabitation », à partir de 1986, a mis un frein net à une logique de la reconnaissance d’une société « multiculturelle », alors qu’elle était à peine suggérée. Cette question a fait l’objet

17 La circulaire du 1er juillet 1981, dans ses annexes techniques, propose de retenir le critère du « pourcentage de classes élémentaires ayant plus de 30% d’étrangers ou non francophones [ainsi que] le pourcentage global d’élèves étrangers ou non francophones dans les collèges et les SES ». MEN, Circulaire n°81-238 du 1er juillet 1981.

18 Précisons qu’une politique de discrimination positive stricto sensu, comme celle pratiquée en Inde ou aux Etats-Unis d’Amérique, comporte une dimension politique et vise un objectif patriotique à savoir l’appartenance commune à la nation. Objectif qui semble couronné de succès, aux Etats- Unis, du point de vue de l’attachement patriotique des Noirs ou afro-américains.

19 Pour rappel, lorsque nous parlons de « question ethnique », cela renvoie strictement au fait que des processus fabriquant des assignations et des identifications « ethnique » et/ou « raciale » sont concrètement à l’oeuvre – alors que l’on voudrait au contraire bannir ces catégories ou éviter qu’elles ne soient structurantes de la communauté politique.

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d’une intense dramatisation et d’une utilisation stratégique du thème comme vecteur de clivage, à des fins électorales : la Gauche se voit accusée d’importer, à travers son discours sur le « multiculturalisme », un « modèle anglo-saxon » contraire à la « tradition française ». Aussi la fin de la décennie est-elle marquée par un durcissement des politiques migratoires, des politiques de la nationalité et du discours nationaliste. Cela aboutira, en 1989, à la formulation ofcielle du nouveau référentiel politique, « l’intégration ».

Le Haut conseil à l’intégration, institué en 1989, aura pour première mission de formuler, comme le dit Patrick Weil (1991), une « nouvelle synthèse républicaine » fondée sur un « consensus indicible » entre la Gauche et la Droite : l’idée que l’immigration et la jeunesse des quartiers populaires sont un « problème ». La transformation de la question de l’immigration en « problème » trouve là son aboutissement paradoxal : pour produire un consensus sur une question hautement polémique, l’on a entériné ofciellement le statut de « problème national » d’une partie de la population, au détriment de la reconnaissance des processus sociologiques d’identification à l’oeuvre – dont la demande d’égalité et de non-discrimination était pourtant le signe le plus patent. On a refabriqué ofciellement de l’altérité, dans le sens où « les discours sur l’intégration viennent mettre de la distance là où il y a de la ressemblance » (Réa et Tripier, 2008, p.63). Autrement dit, pour résoudre l’impossible équation de l’époque (la question du « Nous » doit être traitée, mais l’on ne peut prendre le risque de la traiter) on l’a reformulée en se concentrant sur « Eux » et en accroissant les conditions préalables à la reconnaissance d’une pleine citoyenneté politique.

 Les années 1990 : de la normalisation vers la reconnaissance ?
Depuis la fin des années 1980, donc, « l’intégration » s’impose comme une réponse « évidente » à une longue série de

problèmes, tous finalement amalgamés par au moins trois présupposés peu interrogés :

• Ce serait principalement l’altérité intrinsèque résultant de la migration (l’efet soit d’une « diférence culturelle » soit d’une « crise d’identité sociale et culturelle des jeunes issus de l’immigration » qui seraient tiraillés « entre deux cultures », selon les interprétations), qui expliquerait les conflits et tensions travaillant la société française et s’exprimant par des comportements inadaptés des « jeunes issus de l’immigration ».

• « L’intégration » qui avait fonctionné pour les immigrations antérieures serait aujourd’hui « bloquée » du fait de « l’efritement du pouvoir intégrateur des grandes institutions que sont l’école, l’armée, les syndicats, les églises sous le boutoir de l’évolution de la société, de la crise économique » (Join-Lambert, 1994, p.517). (Mais elle le serait aussi, entend-on dire de manière moins ofcielle, par la « diférence » spécifique de populations que l’on ne cesse implicitement de penser en fonction d’une « appartenance » à une religion, l’islam, vue à la fois comme exotique et antagonique).

• L’égalité juridique formelle existe ; par contre « la lutte contre le racisme, la xénophobie, les discriminations, qui peut en France s’appuyer sur un arsenal juridique bien armé se heurte à un « racisme ordinaire » difus et difcile à combattre ; un changement de logique serait loin de garantir une meilleure efcacité et comporterait des risques de déclin de l’unité nationale », autrement dit une autre approche de ces questions que l’égalité formelle équivaudrait à « une consécration des minorités (…) contraire à nos traditions (…) [et] également dangereuse pour notre pays » (HCI, 1991, p.19).

Ces présupposés et sentiments d’évidence ont été soutenus par une part des sciences sociales, lesquelles ont nettement légitimé et contribué à ce débat ayant pour trame de fond et pour horizon « l’identité nationale ». La décennie 1990 va d’abord se charger de traduire le nouveau référentiel politique, fondé sur ces implicites qui stigmatisent dans l’immigration un potentiel de fragilisation de la société française et du « modèle français ». Cela se fait à travers, d’une part, le maintien d’une haute politisation du thème, et d’autre part, une technicisation des réponses de la politique de la ville et de l’intégration, contribuant à leur insu à ethniciser les rapports sociaux.

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Les effets politiques du « modèle français d’intégration »

L’idée générale qui se dégage à l’époque est que, l’intégration étant « en crise », l’Etat devrait prendre en charge une « politique d’intégration » définie en référence à un « modèle français d’intégration ». On forge pour l’occasion les contours de ce « modèle », avec plusieurs conséquences de cette nouvelle doctrine. Le Haut conseil à l’intégration, dans son premier rapport cité ci-dessus, repousse le fait de traiter de front la problématique des discriminations, de la xénophobie et du racisme, selon le double argument : que l’égalité formelle existe, et qu’une autre approche serait un danger en impliquant la reconnaissance des minorités. Cette opération par laquelle on écarte ofciellement l’interrogation sur la façon dont la société française et ses institutions traitent les populations vues comme immigrées ou issues de l’immigration a durablement marqué la politique publique20.

Cette doctrine a un second efet, qui se manifeste rapidement dans le contexte européen : elle incite l’Etat à durcir le référent unitariste de la nation, comme en témoigne la modifcation constitutionnelle de 1992, insérant dans l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, cete formule : « La langue de la République est le français ». Cette modification présentée comme contextuelle aura des conséquences structurelles ultérieures sur les arbitrages du Conseil constitutionnel, tant sur le statut des langues régionales que sur la (non-)reconnaissance des langues minoritaires. Du point de vue pragmatique, cela a tout compte fait contribué à rendre plus compliquée la reconnaissance d’une société plurielle, et à accentuer la tension entre un discours de représentation idéalisée de la France et l’expérience réelle que ses membres peuvent avoir au quotidien.

Les ambiguïtés de la « politique publique d’intégration »

Plus largement, la définition de « l’intégration » donnée par le Haut conseil se présente comme un partage des responsabilités entre « société d’accueil » et « immigrés ». Mais en-deça d’un discours de principe, cet engagement réciproque est biaisé – à l’instar des divers « contrats » qui se généralisent à cette époque dans les politiques sociales et d’insertion : la responsabilité des institutions est de fait réduite à une « aide à l’intégration », ce qui fait reposer sur les gens la responsabilité première et dernière de « s’intégrer ». La déclinaison administrative et pratique de cete politique va accentuer cete logique, dans une injonction croissante à s’intégrer, et dans la formulation de pré-requis (moraux, linguistiques21, cognitifs, etc.) de plus en plus exigeants à la reconnaissance d’un statut de citoyenneté. Cette injonction est d’autant plus exponentielle, au gré des enjeux politiques, que comme cela avait été souligné dès cette époque « l’intégration est sans fin », sauf à se solder dans une assimilation nationale. Bien qu’il ait d’emblée refusé le terme d’assimilation, le HCI tenait en efet la participation politique et l’acquisition de la nationalité française pour la quintessence des « signes de réussite de l’intégration » (HCI, 1991 : 18-19).

Selon cette conception, l’enjeu normatif est donc moins directement la neutralisation de l’altérité que le fait que l’on exige, spécifquement pour les populations vues comme issues de l’immigration, un degré de « participation à la société française » que l’on n’exige pas en tant que tel des membres présumés légitimes de la communauté. Cette exigence spécifique, renforcée par les dispositifs particuliers (périscolaire, linguistique, etc.) a donc contribué à produire de l’ethnicité et de l’altérité. Cela s’est traduit, dans une grande part de l’action publique, par une entreprise de normalisation, reposant sur l’idée que toute marque de « diférence visible » est le signe d’un potentiel « refus d’intégration ».

20 Au point que l’on retrouve le même argument, par exemple en 2008, dans les discussions de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), pour justifier de ne pas nommer « racisme » le sort réservé aux « Roms et gens du voyage ». La commission s’interroge (CNCDH 2008, p.31-32) : « Peut-on parler de racisme ? », et discute de savoir si le traitement qu’ils subissent est « lié aux origines et à l’identité culturelle même de ces personnes, plutôt qu’à leur mode d’habiter ». S’appuyant sur l’argument que « les Gens du voyage ne peuvent être assimilés à une minorité en raison de la diversité des situations (…), et surtout du fait que le droit français ne reconnaît pas la notion juridique de minorité », l’on écarte de fait la qualification de racisme.

21 Ces logiques se poursuivent, comme le montre le référentiel FLI, qui postule qu’il « serait nécessaire de parler d’abord la langue pour ensuite s’intégrer » (Bruneau et alli, 2012), ce qui est à la fois politiquement discutable et sociologiquement tout à fait hasardeux.

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Un durcissement nationaliste

De la fin des années 1980 jusqu’au milieu des années 2000, on assiste à la cristallisation médiatique et politique de certains thèmes polémiques utilisés pour renouveler les clivages sur l’échiquier politique : insécurité et violence, islam et foulard, etc. Ces thèmes sont toujours, implicitement ou explicitement, associés aux populations vues comme issues de l’immigration et au « problème des banlieues ». A travers eux, on donne un visage « étranger » aux logiques supposées anomiques de la société française.

D’où, le lien entre la médiatisation et la politisation de ces thèmes, et un durcissement tendanciel22 de la législation sur l’immigration et l’accès à la nationalité. Celle-ci s’est accompagnée de la formulation progressive d’une doctrine de la « contrepartie » qui ira s’afrmant jusqu’aujourd’hui : la limitation de plus en plus drastique des politiques d’immigration d’un côté, aurait pour pendant une politique « d’accueil » et « d’intégration » de l’autre. Or, comme le relève Véronique De Rudder (2001, p.25), cette articulation est pernicieuse, car « l’idée même de contrepartie signifie qu’aucun principe ni devoir d’hospitalité n’est reconnu en la matière ». Et donc que « l’intégration » signifie tout autant une précarité politique des populations concernées.

L’institution scolaire, de par sa fonction idéologique pour l’Etat, a été très largement investie par ces polémiques sur les « violences à l’école » ou le « foulard islamique ». Cette dernière a été construite médiatiquement depuis 1989, à partir de quelques conflits dans des écoles et collèges d’Epinal et de Creil. Sa trajectoire est celle de la transmutation de conflits locaux en afaire d’Etat. Les cas singuliers qui initient cette série de conflits à répétition ont en efet été immédiatement surinterprétés et investis d’un combat idéologique, au détriment d’une analyse des dimensions locales du conflit – ce qui faire dire malicieusement à Valérie Amiraux (2009) que c’est justement une « afaire qui n’en est pas encore une ». Par étapes successives – 1989 (premières exclusions), 1990 (premières grèves d’enseignants), 1994 (première circulaire ministérielle), jusqu’à 2003-2004 (commission Stasi puis loi) -, on assiste à une longue entreprise politique d’instrumentalisation et de déviation du thème de la laïcité. Cela aboutira à l’idée d’un impératif arbitrage national par la loi, alors qu’au départ la réponse politique avait été de favoriser des compromis locaux . En effet, au départ, la jurisprudence du Conseil d’Etat pose que la laïcité n’implique en aucun cas de limiter la liberté pour les élèves de manifester dans l’établissement scolaire leurs convictions religieuses du moment que cela se fait dans le respect d’autrui, des règles usuelles de l’école, et que cela ne constitue pas un trouble à l’ordre public 23. Entre 1989 et 2004, donc, l’entreprise politique intégrationniste a su imposer une inversion de l’interprétation de la « laïcité », justifiée par une logique de soupçon à l’égard de l’islam.

L’émergence tardive d’une politique antidiscriminatoire par la voie européenne

Alors que la politique française est occupée à donner corps au référentiel «d’intégration», le thème des discriminations apparaît progressivement, y compris dans les rapports publics : depuis celui, inaugural, de l’IGAS sur L’insertion des jeunes immigrés dans l’entreprise (Join-Lambert et Lemoine, 1992) jusqu’au rapport du Haut conseil à l’intégration de 1998 consacré à la Lute contre les discriminations. Tous ces discours publics ont cependant en commun de ramener les discriminations à un simple « frein » à l’emploi ou à l’intégration, ce qui a contribué à donner à la question un tour peu concret et très éthéré.

La base politique et pratique de la « lutte contre les discriminations » emprunte en réalité plus à l’impulsion et l’injonction européennes. La stratégie politique de la lute contre les discriminations proprement dite émane de l’usage tactique du droit européen par les lutes féministes24. La base organisationnelle de la politique publique,

22 Les alternances politiques ont conduit à des reflux de ces logiques de durcissement (sous la Gauche), mais reflux toujours partiels, qui ne sont jamais arrivés à rompre avec une tendance globale à la difusion du schéma ethnonationaliste.

23 Avis rendu par l’assemblée générale du Conseil d’Etat, n°346.893, séance du 27 novembre 1989.

24 Notamment, à travers la fameuse afaire « Gabrielle Defrenne vs Sabena » (1976), qui a conduit l’hôtesse de l’air à faire reconnaître le caractère contraignant des textes fondateurs de l’Union européenne (en l’occurrence, l’article 119 du Traité de Rome de 1957), et par voie de conséquence a permis de faire condamner sur cette base les discriminations salariales et de carrières entre hommes et femmes alors en usage chez son employeur comme plus largement dans l’aviation civile.

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quant à elle, s’est développée à partir de l’enjeu européen d’organiser un espace socio-politique commun : depuis 1995, la Commission européenne est de plus en plus incitée à faire des propositions sur les questions de racisme et de discrimination. Elle a initié la définition d’une orientation commune des partenaires sociaux pour la reconnaissance des discriminations et du racisme dans l’entreprise, à travers la Déclaration de Florence25. Par ailleurs, le traité d’Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, intègre le principe antidiscriminatoire dans les fondements de la Communauté européenne, et confie au Conseil, sur proposition de la Commission, le rôle de prendre des mesures (article 13).

La traduction de cet engagement, en France, a été prudente et limitée : le patronat n’a pas investi la question. A ce moment, seules deux centrales syndicales ont réellement amorcé un travail, en commençant par initier des recherches sur le racisme dans l’entreprise et l’action syndicale à son égard (la CGT avec une équipe de l’URMIS, la CFDT avec une équipe du CADIS26). La publication de ces travaux, ainsi que la sortie de plusieurs études et publications autour de 1997, à la faveur de l’« Année européenne contre le racisme » va contribuer à justifier que l’Etat français se saisisse de cette question. C’est la déclaration en 1998 de Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité, en conseil des ministres, qui donne le départ formel de la reconnaissance de l’existence en France de discriminations raciales et de la responsabilité de l’Etat (avec d’autres, et notamment les partenaires sociaux) en la matière – double responsabilité, en fait : dans la production des discriminations, et dans leur endiguement. De cette histoire découle un héritage aux efets durables : la focalisation prioritaire sur les questions d’emploi et de travail – l’Education nationale faisant pendant ce temps mine d’ignorer cet enjeu, elle ne reconnaîtra formellement cette priorité que dix ans plus tard (circulaire de rentrée de 2008).

En outre, il faut souligner que l’orientation politique globale hésite dès le départ, entre le paradigme anti- discriminatoire, celui de l’intégration, et aussi celui de la sécurité – les Commissions départementales d’accès à la citoyenneté (CODAC), mises en place par le ministère de l’Intérieur en 1999, tirent typiquement la problématique vers les présuppositions de défaut de citoyenneté et d’enjeux d’insécurité. Jean-Michel Belorgey, chargé par la ministre de l’Emploi et de la solidarité d’un rapport public (1999), préconise notamment l’articulation d’une politique d’intégration et d’une politique de lutte contre les discriminations.

A compter de cette date et jusqu’au milieu des années 2000, l’Etat va initier une « politique de prévention et de lutte contre les discriminations », qui combine selon des proportions variables dans le temps : une production normative (loi du 16 novembre 2001…), une commande publique d’études et de recherches (travaux du Groupe d’études et de lutte contre les discriminations (GELD), programmes d’études principalement dans le domaine de l’emploi, l’insertion et l’apprentissage), des programmes expérimentaux (politique de la ville, services publiques de l’emploi), des programmes de formation des agents, surtout intermédiaires à l’emploi, des outils et dispositifs (parrainage…), et une institutionnalisation de l’administration de cette politique (transformation du FAS en FASILD27) ainsi que du traitement des plaintes (114-GELD, CODAC en 1999, puis COPEC en 2003…)28.

25 Déclaration sur la prévention de la discrimination raciale et de la xénophobie et la promotion de l’égalité de traitement sur le lieu de travail adoptée lors du Sommet du Dialogue social à Florence, le 21 octobre 1995.

26 Respectivement : URMIS, Unité de recherche « Migrations et sociétés » du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; CADIS, Centre d’analyse et d’intervention sociologiques de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

27 Respectivement : FAS, Fonds d’action sociale (pour les travailleurs immigrés et leurs familles), puis FASILD, Fonds d’action et de soutien à l’intégration et à la lutte contre les discriminations.

28 Le « 114 » est un numéro vert mis en place par le gouvernement en mai 2000, consacré aux « victimes et témoins de discriminations raciales », et géré par le groupement d’intérêt public, le GELD, chargé de combiner une mission d’études et le développement d’une action publique de lutte contre les discriminations. Les plaintes de nature discriminatoire sont alors renvoyées sur les CODAC (Commissions départementales d’accès à la citoyenneté) chargées d’y répondre localement par une médiation qui s’est avérée peu efcace, partiale et menée au détriment d’une logique de droit. Après une tentative de « relance », ces CODAC ont été remplacées par les COPEC (commissions pour la promotion de l’égalité des chances).

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 Les années 2000 : un changement de cap politique avorté

La transformation du Fonds d’action sociale (FAS) en FASILD (Fonds d’action et de soutien à l’intégration et à la lutte contre les discriminations), par la loi du 16 novembre 2001, semble marquer une inflexion globale du cadre politique, symbolisée par le nouveau nom de l’établissement public : non plus la réalisation de l’intégration, mais le « soutien à » celle-ci, et surtout la reconnaissance ofcielle de l’enjeu majeur d’un travail sur les processus de discrimination qui traversent la société française. Le début de la décennie 2000 se fait donc sous le signe d’une articulation entre deux référentiels de politique publique : intégration + lutte contre les discriminations. Mais cela ne va pas durer, et l’on observe rapidement plusieurs glissements.

Une technicisation et une dépolitisation de la question des discriminations

Le cadre politique à peine formulé, les administrations ont été chargées de décliner une action publique fondée sur un nouveau référentiel peu maîtrisé, et selon des choix de gouvernance peu questionnés. Avec plusieurs conséquences :

• Le rôle pionnier des représentants et militants syndicaux dans la lutte contre les discriminations (recherches, programme Aspect29,…) semble être resté en déshérence. La reprise en main (en mots) de la question par les entreprises a vu paradoxalement le retrait des centrales syndicales concernées , qui se sont finalement remobilisées autour de l’Accord national interprofessionnel relatif à la diversité dans l’entreprise (2006).

• La logique expérimentale qui apparaissait initialement nécessaire a cédé le pas à un impératif de productivité : fournir des « résultats », des « outils », de la « transférabilité ». Cela a favorisé d’une part l’émergence d’une sphère marchande de consultance (puis, d’ofcine de lobbying) largement spécialisée dans la difusion d’outils symboliques (labels, chartes…), au détriment d’un investissement long dans la transformation des institutions, de leurs normes et de leurs logiques sélectives.

• Cela a d’autre part favorisé la mise en avant de quelques acteurs, entreprises ou territoires qui avaient plus tôt et surtout plus visiblement que d’autres investi la question. On a souvent préféré le résultat communicable au détriment d’une stratégie de diffusion à la fois extensive et intensive, qui était nécessairement de longue haleine et moins aisée à communiquer. L’un des efets de cela est qu’une grande majorité des acteurs, publics et privés, ne se sont jamais engagés dans cette politique.

• Le choix d’une déclinaison top-down a conduit à réduire le problème des discriminations à une représentation assez éthérée et stéréotypée du problème. Les pouvoirs publics ont souvent pu apparaître comme « donneurs de leçons », alors même qu’ils peinaient à inscrire la question au sein de leurs propres administrations.

• Cette entrée par « en haut » a ouvert la voie à une technicisation de la question, qui va de concert avec une occultation de l’expérience des personnes discriminées : la lute contre les discriminations s’est vite réduite à initier puis faire fonctionner des dispositifs et des outils (parrainage, banques de stages, plans de lutte contre les discriminations, etc.).

• Cette entrée a en outre conduit à privilégier une consensuelle prévention, au détriment de l’idée de lute contre les discriminations, laquelle supposait un usage ofensif du droit et une construction politique de l’expérience des discriminés.

• En conséquence, l’approche techniciste s’est rapidement retournée contre les groupes subissant la discrimination ainsi que contre une approche politique de la question : les personnes évoquant leur expérience des discriminations se sont vues accuser, jusque dans les rapports publics censés « capitaliser les bonnes pratiques », de « victimisation ».

29 Le programme ASPECT (Action Spécifique Pour l’Egalité des Chances au Travail), conduit en Rhône-Alpes par ISM-Corum, est l’un des premiers programmes français impliquant les partenaires sociaux (1999-2001). CGT, CFDT, FO, CFE CGC, CFTC, MEDEF, CGPME et UPA ont notamment signé en juin 1999 une déclaration commune sur les discriminations raciales dans le monde du travail et cherché à sensibiliser les représentants du personnel dans les entreprises pour développer le dialogue social sur ce thème.

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• Cette approche culpabilisante témoigne plus généralement de la dépolitisation du référentiel : on a minimisé le fait que la discrimination se réfère au droit d’abord comme principe général et politique de justice (avoir en réalité les mêmes droits que n’importe qui d’autre, être traité également comme des citoyens), en traitant les revendications d’application d’un droit commun comme si elles étaient des demandes exceptionnelles et exorbitantes.

• Parallèlement, on a réduit le droit au traitement judiciaire et à la technique juridique. Cela a conduit à maintenir le droit comme un terrain de spécialistes (juristes, avocats, associations de victimes, etc.), eux-mêmes souvent peu formés à la spécificité de ces problématiques.

• Sur le plan de la tactique judiciaire, l’usage du droit a été restreint : on a minoré l’intérêt d’un usage des juridictions civiles (prud’hommes, tribunal administratif, etc.) qui ofrent depuis 2001 un aménagement de la charge de la preuve, et on a peu utilisé l’efet symbolique de la possibilité d’une publicité des condamnations (alors même que l’on constatait que les organisations qui se sont engagées l’ont notamment été suite à des condamnations fortement publicisées).

• L’approche technique des discriminations a en outre conduit à mettre l’accent sur le problème de l’accès à (l’emploi, la formation ou l’apprentissage), en occultant très largement les dimensions internes des rapports de travail, du fonctionnement quotidien des institutions, etc. Cette focale réduisant la discrimination à un enjeu d’accès a eu trois conséquences :

– d’une part, elle a rendu légitime de se concentrer sur les secteurs dans lesquels la question se posait en apparence principalement comme un problème d’accès extérieur à une ressource (emploi, stages, logement…), tandis que d’autres secteurs semblant donner à tous un égal accès a priori ont été écartés des préoccupations – c’est le cas pour l’institution scolaire ;

– d’autre part, cette entrée s’est rapidement trouvée réduite à un enjeu implicitement supérieur, celui du résultat (avoir un emploi ou un stage), au détriment de l’égalité, de la justice et de la légalité des processus de sélection. Cela a conduit à réduire le problème à un simple « frein » à l’emploi, et donc à privilégier une logique d’insertion (autrement dit le report sur les publics de la responsabilité de s’adapter aux desiderata des employeurs…) ;

– enfin, elle a ouvert la porte à un glissement du référentiel vers l’idée « d’égalité des chances » en réduisant la question des discriminations à une problématique des opportunités d’accès (emploi, stages, grandes écoles, etc.) au lieu de difuser une mise en question des normes de sélection.

• L’absence quasi systématique de formation des responsables et des cadres, dans la plupart des institutions censées appliquer cette nouvelle politique, ont conduit ceux-ci à convertir leur discours sans nécessairement interroger ni les logiques ni les pratiques de l’action publique. Les institutions clés d’une politique répressive (Justice, Police, Gendarmerie…) n’ont guère été formés – sauf quelques expérimentations rares, limitées et peu légitimées (à l’exemple de l’Ecole nationale de police de Marseille). Cela a souvent amené à reproduire les logiques de sécuritaires ou intégrationnistes préexistantes, accompagnées d’une adaptation formelle du discours.

Une progressive banalisation de la problématique

Les effets de la territorialisation de la politique publique. Dès 2000, la lutte contre les discriminations est inscrite dans la politique de la ville. Si au départ, cela peut sembler faire partie de la mobilisation globale, ofciellement justifiée par une « proximité » avec ceux qui subissent la discrimination, l’entrée par la politique de la ville devient en fin de compte l’orientation majeure, puis le seul terrain de compétence laissé à l’ex-FASILD devenu ACSE (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances) à partir de 2006. Cela conjugue deux problèmes : d’une part, la reproduction et la banalisation des catégories (« quartier sensible ») fonctionne inévitablement comme cadre de stigmatisation. Cete approche par le territoire prolonge de fait le jeu de bonneteau de la « discrimination positive à la française », ce qui affaiblit la problématique en la confondant dans un

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ciblage indirect des publics des territoires concernés. D’autre part, cela légitime la démobilisation globale des institutions, le passage au territoire ayant abouti à « donner l’impression d’une mobilisation générale et occulter l’immobilisme des grandes institutions nationales, l’école ou la fonction publique » (Doytcheva, 2008, p.137).

L’effacement de la dimension ethnico-raciale. La lutte contre les discriminations a été inaugurée, en France, sous l’angle des « discriminations raciales » (le numéro vert mis en place en 1999, le « 114 », était par exemple dédié aux « victimes et témoins de discriminations raciales »). Le discours inaugural de la ministre de l’emploi se référait explicitement à « la couleur de la peau » et même au « racisme » dans l’entreprise, sonnant comme une rupture au plan symbolique, car jusque-là l’État français avait toujours été ambivalent sur ce point (refus ofciel de nommer les rapports de race, mais contribution concrète et impensée à l’ethnicisation). L’arrivée de la HALDE, fin 2004, va légitimer un discours qui s’est peu à peu construit dans la politique de la ville : un élargissement à « tous les critères » prohibés. Si cela se comprend par l’approche légale du phénomène30, cela signifie aussi un mouvement de déspécifcation de la discrimination ethnico-raciale, faisant f de l’histoire et du fonctionnement, à la fois singuliers et articulés, des rapports sociaux dits de « sexe », de « race », de « classe », ou autres. Le transfert du champ juridique (qui tend vers la protection équivalente des critères) au champ politique conduit en pratique à une logique de « marché », chacun choisissant les critères à travailler. Sont de fait privilégiés ceux qui semblent les moins polémiques. Ainsi, les organisations concernées bénéficiant à moindre frais d’une image progressiste labellisée par les pouvoirs publics. Ce que reconnaît la HALDE dans son rapport de 2008 : les accords d’entreprise sont « en majorité en faveur de la place des personnes handicapées (62 accords) et de l’égalité professionnelle (56 accords). L’âge fait plus rarement l’objet d’accords et n’est cité que par 12% des entreprises ». La disparition de la question raciale n’a fait l’objet d’aucun commentaire, si ce n’est que l’institution « préconise une politique globale de prévention »…

Une rupture de référentiel : retour en force de l’intégration et passage à la diversité

Très tôt déjà, l’histoire de la lutte contre les discriminations en France a pu donner l’impression de n’avoir été qu’une parenthèse. En 2004, un premier bilan faisait ressortir que l’action a été plus symbolique que pratique, dans le domaine de l’emploi : « Au-delà des chartes et déclarations formelles, les partenaires sociaux, notamment le patronat, se sont peu impliqués sur ce sujet et le déni reste encore très fort » (Aubert et Boubaker, 2004, p.8). Quant à l’Education nationale, on est plus encore dans une « non-lute » contre les discriminations, comme le dit Françoise Lorcerie (2003) : la relance des CODAC, en 2001, confie aux Inspecteurs d’académie une vice-présidence de ces commissions, « afin de favoriser une mobilisation accrue des services de l’éducation nationale »31 qui n’a jusque-là pas été au rendez-vous. Il faut attendre 2008 pour que la circulaire de rentrée pose formellement l’action contre les discriminations comme priorité – et encore le fait-elle dans des termes qui brouillent le référentiel politique (racisme, citoyenneté, intégration…) et visent les élèves plus qu’ils n’incitent à regarder réflexivement l’institution. Le rapport de 2010 portant en principe sur « Les discriminations à l’école » le confirme, en s’attachant principalement aux comportements des élèves. Il parle de « dérives identitaires » et de « harcèlement entre élèves » bien plus qu’il n’interroge la politique, les pratiques, le fonctionnement et les normes de l’institution.

Le retour de l’approche intégrationniste. Pourtant, alors même que le paradigme antidiscriminatoire peine à s’inscrire dans les organisations et les pratiques, on assiste dès 2003 à une rupture ofcielle de référentiel. Le Comité interministériel à l’intégration du 10 avril 2003 marque en effet, un retour fort de la logique intégrationniste (Contrat d’accueil et d’intégration, cérémonie d’entrée dans la nationalité française,…). Il annonce en outre une nouvelle priorité : « assurer l’égalité des chances dans l’accès à l’entreprise et la fonction publique ». Dans le même temps, la lutte contre les discriminations est subsumée à l’objectif de « Réafrmer le pacte républicain », et vidée de son sens, puisque cela renvoie uniquement à la mise en place d’une conférence de consensus sur le logement, d’une Cité nationale de l’histoire de l’immigration, et d’une journée de la fraternité. Dans le Plan de cohésion sociale

30 L’interdit légal couvrait à l’époque 18 critères, aujourd’hui 20 au pénal (et 21 dans le droit du travail). 31 Circulaire interministérielle DPM/ACI 2 n° 2001-526 du 30 octobre 2001.

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présenté le 30 juin 2004 par le ministre de l’Emploi, « l’égalité des chances » devient le « troisième pilier » après l’emploi et le logement, dans lequel la lutte contre les discriminations ne figure qu’au rang de vingtième et dernier programme.

Outre cette place symbolique, les années 2000 sont marquées par la quintessence de diverses polémiques majeures, souvent construites dans la décennie précédente, et qui ont pour visée le retour en force de l’intégration, appuyée sur une logique à cheval entre moralisme et sécuritarisme :

• La polémique relative auxdites « statistiques ethniques », qui court depuis le milieu des années 1990, aboutit à la mise en place d’un Comité pour la mesure et l’évaluation de la diversité et des discriminations (COMEDD) – et d’un contre-comité, le CARSED (Commission alternative de réflexion sur les « statistiques ethniques » et les discriminations) – qui a rendu ses propositions en 2010.

• La polémique autour du « bilinguisme » des enfants nés de parents immigrés, à partir du rapport dirigé par le député Jacques-Alain Bénisti sur la prévention de la délinquance. La première version de ce rapport – avant qu’il ne soit atténué, eu égard à la polémique qu’il a suscitée – pose explicitement un lien entre un « parler patois du pays à la maison » et un présumé « risque de délinquance », et il veut imposer aux mères de « s’obliger à parler le français dans leur foyer pour habituer les enfants à n’avoir que cete langue pour s’exprimer » (Bénisti, 2004, p.9).

• La polémique relative à la laïcité, avec pour cible principale le statut de l’islam : c’est la question du « voile » et ses divers avatars ou prolongements (menu des cantines scolaires, « voile intégral »,…), etc. Le ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, annonce puis publie dans la circulaire de rentrée 2012, une interdiction aux mères d’élèves de porter le voile pour accompagner leurs enfants dans les sorties scolaires32. Cette polémique trouve des échos également dans le monde du travail sous le thème de « la religion dans l’entreprise ». Divers observateurs ont noté qu’elle a des efets concrets en termes de libération de la parole raciste.

Cete cristallisation conduit à renforcer l’altérisation et à dramatiser tout particulièrement le statut de l’islam, en le construisant en « obstacle à l’intégration » – alors que tous les travaux scientifques sur le rapport des musulmans à la société française invalident cete analyse, et que même l’Observatoire de la laïcité rappelle aujourd’hui que la situation réelle n’a rien à voir avec les fantasmagories agitées par la polémique. La circulaire de rentrée de 2012 aura cependant des efets concrets : elle « crée de fait une nouvelle discrimination, d’autant que, dans le cas évoqué, il s’agit d’un tri a priori des parents »33. Cette situation entre de surcroît en parfaite contradiction avec l’injonction qui est faite par ailleurs aux parents de s’impliquer dans le suivi scolaire de leurs enfants.

L’offensive patronale sur le thème de la « diversité ». Le retour en force de l’intégration se couple avec une autre requalification, venue, elle, des cercles d’une partie du grand patronat, de l’Institut Montaigne : le thème de la «diversité». Une longue série de rapports, depuis 200434, promeuvent de façon convergente, le passage à la « diversité ». Ces rapports ont en commun d’être concentrés sur l’étude de la mesure de la diversité dans la fonction publique ou l’entreprise, et non sur l’étude des processus de discrimination. Au-delà d’une « positivation » formelle (en regard d’une Lute contre les discriminations présentée comme approche négative), la proposition politique sous-jacente est en substance celle de remplacer une politique générale d’égalité, avec sa part de contrainte (référence de la loi), par une politique de promotion d’une élite minoritaire, centrée sur le volontariat moral et un intérêt d’image bien compris. Cette initiative patronale permet de masquer le constat établi d’un déficit d’engagement

32 « (…) les principes de laïcité de l’enseignement et de neutralité du service public (…) permettent notamment d’empêcher que les parents d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires », MEN-DGESCO, « Orientations et instructions pour la préparation de la rentrée 2012 », circulaire n° 2012-056 du 27-3-2012.

33 JARRAUD François, « L’école peut-elle participer à la campagne anti-musulmane du président ? », L’expresso, 4 mars 2011. (En ligne 🙂 http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/03/04032011Accueil.aspx

34 C. Bébéar, Des entreprises aux couleurs de la France (novembre 2004), Y. Sabeg et L. Méhaignerie, Les oubliés de l’égalité des chances (janvier 2004), L. Blivet, Ni quotas, ni indiférence : les entreprises et l’égalité positive (octobre 2004), D. Versini, Rapport sur la diversité dans la fonction publique (décembre 2004), A. Begag, La République à ciel ouvert, (décembre 2004), E. Keslassy, Ouvrir les grandes écoles à la diversité (janvier 2006), et Ouvrir la politique à la diversité (janvier 2009).

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des entreprises comme des services publics contre les discriminations, en donnant rétrospectivement l’impression que l’entreprise est le fer de lance d’une politique publique enfin volontariste. La puissance de difusion de cette idée, s’appuyant notamment sur quelques outils très stratégiques en termes de communication, telle la Charte de la diversité, terminera de brouiller les pistes et de dévier le référentiel. La refonte, en 2006, du FASILD dans l’ACSE (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances) signera cete rupture de référentiel : la combinaison entre intégration et diversité, plutôt que l’investissement de la lute contre les discriminations.

Mais, le même constat d’ensemble demeure : la lutte contre les discriminations ethnico-raciales a peu progressé ; sa légitimité a même globalement régressé. Et l’argument de la diversité cache le fait qu’il y a peu voire pas de réelle politique de diversité – si l’on entend par là une politique de reconnaissance accompagnée d’une stratégie managériale de gestion des demandes de diférenciation (dans l’entreprise, les cantines scolaires, etc.).

 De grandes constantes et répétitions, malgré les variations de l’histoire

La lisibilité du séquençage de ce récit historique par décennie a sa limite dans le fait que cette histoire se caractérise par des continuations et des répétitions. Ces quelques dernières cinquante années au moins montrent une constante : une maltraitance politique des populations vues comme immigrées et issues de l’immigration. A travers la maltraitance politique, il faut voir une mésentente, c’est-à-dire une forme de surdité politique aux questions démocratiques majeures soulevées par les populations elles-mêmes, qui ont dénoncé de façon récurrente l’inégalité de leur condition et la racialisation dont elles sont l’objet. Cette surdité se traduit dans une occultation et une disqualification des paroles, des résistances pratiques et des luttes politiques, qui fait par exemple que l’on donne rétrospectivement une image pacifiée des « pères immigrés » pour mieux dénoncer la turbulence des générations suivantes. Dans le domaine de l’emploi tout particulièrement, cet argument sert à légitimer la discrimination. Les politiques publiques d’insertion et d’intégration, dans les domaines de l’emploi comme de l’école, ont largement repris à leur compte cette forme de disqualification, d’autant plus aisément que ces politiques reposent sur un paradigme handicapologique qui impute aux individus des manques et défauts censés expliquer leur condition.

L’une des clés de cette mésentente est bien sûr dans un passé plus ancien : les rapports de colonisation et d’assimilation. Mais nous avons voulu, par ce rappel succinct et concentré sur les dernières décennies, montrer que ces processus historiques globaux sont encore à l’oeuvre de façon très pratique et circonstanciée, sous des formes et des appellations contemporaines. Ces processus sont intimement liés aux politiques publiques et aux stratégies de l’Etat à l’égard de l’immigration. De ce point de vue, le principe de séparation annoncé par le gouvernement entre « immigration », « accueil » et « intégration » veut certes détacher le sort des populations de France des stratégies de fermeture à l’égard de l’immigration, mais cela produit un point aveugle : non seulement cela n’affaiblit pas les logiques de discrimination, de ségrégation et de racialisation, qui sont précisément des manières de produire de l’altérité là où il y a de la proximité et de la ressemblance ; mais plus encore, cela les légitime dans la mesure où l’on maintient le référent politique qui sous-tend la question : l’immigration est toujours présentée comme un problème. Dans le contexte français, cette idée est intimement reliée avec la logique d’assimilation qui n’ofre pour toute réponse qu’un « idéal » (ou plutôt un fantasme), la dissolution de l’altérité dans les marques de la francité.

Ce que nous avons tenté d’indiquer dans ce rapide parcours historique est que cette stratégie ne peut qu’échouer en pratique, et nous en avons dramatiquement chaque jour les preuves sous les yeux. Cete injonction à l’intégration produit globalement l’inverse de ce qu’elle prétend faire advenir. Par la stigmatisation de l’altérité et la fétichisation de l’unité, la politique menée jusque-là fonctionne comme une prophétie autoréalisatrice : elle fabrique de l’altérité et produit des minorités ethniques sous prétexte de refuser les logiques de minorité et de combatre l’ethnicisation . C’est un problème qu’il nous faut prendre très au sérieux, car la possibilité même de construire une société où chacun trouve sa place en s’y sentant sufsamment légitime et reconnu pour pouvoir s’identifier à cette « communauté de

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destin » – comme on l’a dit dans le compromis politique avec la Nouvelle-Calédonie – dépend de notre capacité à afronter ce paradoxe et à en tirer les enseignements. La construction d’une communauté de destin suppose de voir et tirer les leçons d’une communauté d’histoire, dont les migrations, entre autres, constituent les multiples traits d’union.

›› Sans plus de pathos, car cete histoire est un héritage que les générations d’aujourd’hui n’ont pas nécessairement voulu et choisi, mais qu’il nous faut bien assumer, les conséquences à tirer sont de deux ordres, conformément au cadre politique indiqué précédemment :

• Une nouvelle politique publique doit prendre explicitement en considération cete histoire pour proposer à partir d’elle, en assumant ce passé, de nouvelles lignes directrices pratiques, un nouveau discours, et une nouvelle symbolique. Elle doit poser de façon franche et claire – donc également d’une manière discutable et évaluable – un cap à moyen et long terme fondé sur le souci de favoriser l’élaboration par tous d’un sentiment de commune appartenance. Cet objectif majeur suppose de modifer « notre » rapport à l’image d’une telle communauté, qui s’est jusque-là construite, pour des raisons historiques, sur une surévaluation et un surinvestissement de l’approche assimilationniste et unitariste. Car le maintien de ce rapport idéalisant empêche d’affronter les défs de l’époque.

• L’orientation pratique d’une nouvelle politique doit en conséquence prendre à bras le corps les problèmes récurrents qui fabriquent et durcissent les frontières (internes et externes, les deux étant par défnition liées) de la société française : la stigmatisation de l’immigration et l’instrumentalisation politique de groupes jouant le rôle de « bouc-émissaire » ; la permanence des logiques de racialisation, de ségrégation et de discrimination qui fabriquent en sourdine des hiérarchies et des clivages ; le déni et l’occultation de la parole des premiers concernés qui empêchent l’émergence d’une approche démocratique des politiques publiques ; les processus d’altérisation et de minorisation. Ce sont là, à notre sens, les clés réelles, à la fois idéales et pragmatiques auxquelles une nouvelle politique publique doit en toute priorité se consacrer.

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III. Ce que nous savons des processus

Les travaux accumulés depuis quelques dizaines d’années sur l’école, sur l’emploi et le travail, sur les trajectoires d’un univers à l’autre, et plus largement sur les processus d’ethnicisation, convergent pour établir ce fait : globalement, il n’y a pas de spécifcité intrinsèque aux populations vues comme « issues de l’immigration », si ce n’est justement que certaines d’entre elles sont vues et traitées comme toujours-étrangères. Les processus d’assimilation au sens sociologique se font avec le temps et de manière usuelle à travers les interactions sociales et l’expérience du lieu où l’on vit. Ce qui les limite par contre, ce sont les obstacles et frontières que dresse la « société d’accueil » afn de ne pas les reconnaître comme des membres légitimes et normaux de la collectivité. Les différences objectivement observables à un moment donné ne sont pas des éléments stables et primordiaux initialement importés par des populations immigrées35. Ce sont les produits de compromis en situation migratoire (pour ceux qui ont migré) et de réactions construites là où les gens vivent (donc, en France), en large part en réponse aux expériences répétées de minorisation, de stigmatisation ou de discrimination. S’il existe en conséquence des singularités de certains groupes socio-ethniques – comme le montre la recherche sur le rapport à l’école, à l’orientation, à l’emploi… – celles-ci ne peuvent être comprises comme relatives à l’immigration en général, ni même comme liée seulement aux conditions de migration spécifique de tel groupe. Les dimensions socio-professionnelles et économiques, et les rapports dits de « classe sociale » sont toujours déterminants et le plus souvent co-déterminants des situations. De ce fait aussi, il est nécessaire de considérer l’existence codéterminante de plusieurs grands rapports sociaux – dits de « classe », de « sexe », de « race », d’« âge », notamment.

›› Au-delà de considérations théoriques, qui relèvent d’enjeux de recherche et de connaissance, ces éléments ont une conséquence essentielle pour notre affaire : ils pointent vers l’idée qu’une politique publique sur ces questions n’a pas à les aborder par le présupposé (le préjugé) de la « migration », de « l’origine », de la « différence » – entendus comme des spécifcités intrinsèques et stables. Inversement, elle ne doit pas occulter les dimensions ethniques, raciales, migratoires, etc. sous prétexte de ne regarder que la « question sociale ». Elle doit s’atacher prioritairement à combatre – d’abord en son sein – des tendances lourdes à altériser et stigmatiser, à produire des inégalités et des minorités, à discriminer, ségréguer et racialiser.

 Le rapport de la société française à l’immigration : la fabrique de minorités

La référence d’un « Nous idéal »

Les discours sur « Eux » (les personnes visées par « l’intégration »), se réfèrent à une conception du « Nous » (les nationaux vus comme « les Français normaux »). Nous savons, par des travaux d’historiens et de sociologie politique, que ce « nous » national repose principalement sur un attachement afectif. Le sociologue Max Weber, au début du 20è siècle déjà, atrait l’attention sur le fait que « le concept de “nation” nous renvoie constamment à la relation avec la “puissance” politique. Il est donc évident, si tant est que “national” signifie quelque chose d’unitaire, que ce sera (…) une sorte de passion spécifique » (Weber, 1995, p.143-144). Nous savons par ailleurs que la base matérielle à laquelle cete communauté se réfère est, elle, très variable dans le temps, et que cete base matérielle est l’objet d’un récit plus ou moins mystifcateur : la représentation usuelle de la France comme « hexagone », par exemple, occulte le fait

35 En conséquence, les catégories de « culture » ou de « diférences » ne sont pas pertinentes pour rendre compte de cette réalité, non seulement car elles tendent à essentialiser des processus socio-historiques changeants et variables, mais surtout parce qu’elles amènent à imputer les efets de ces processus aux populations, alors qu’elles sont le produit au mieux des interactions si ce n’est des projections propres de la société française sur ces populations. Un discours politique qui voudrait formuler clairement les enjeux gagnerait à bannir ces termes pour privilégier un discours des processus.

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que la réalisation de cet ensemble territorial n’est que très récente et ignore de surcroît dans la représentation classique les départements d’outre-mer. La communauté nationale est toujours une communauté « imaginée » (Anderson, 2006). Cet imaginaire occulte ou altérise certains acteurs, certaines données, des pans et parts de l’histoire, pour ne retenir qu’un grand récit (un « roman national », disait-on à propos de l’enseignement « républicain » de l’histoire de France à l’école). C’est bien pour cela que l’assimilation est un mythe : « dans les faits, cette politique [d’assimilation nationale] n’a jamais réussi à éliminer les diversités. L’homogénéité des individus et des groupes à l’intérieur de la nation n’a été qu’un idéal, jamais concrètement réalisé » (Schnapper, 1991).

Que l’on se réfère à un idéal et des valeurs pour définir un Nous n’est pas en question. Mais que celui-ci soit l’aune à laquelle on cherche à juger de l’intégration des individus à la collectivité pose un considérable problème, tant politique que pratique. Ce problème est lié au fait que le discours du Nous (et de l’intégration) repose sur l’occultation des principes inégalitaires qui organisent ce récit, ainsi que sur la minimisation du caractère inévitablement pluriel et confictuel de la société. Le récit renforce la croyance dans une cohérence pacifiée, comme le montre la célébration de la « France Black Blanc Beur » consécutive à la victoire en coupe du monde de football en 199836. Par conséquent, l’on pense rarement l’histoire de France comme toujours internationale et jamais autonome – alors que cette histoire est par définition celle de migrations, et c’est aussi en partie celle de l’Algérie ou de la Tunisie et réciproquement, etc. C’est ainsi, aussi, que l’on privilégie l’histoire des « Grands de ce monde » au détriment d’une histoire populaire. La conséquence de cet oubli est double. D’abord, le référent collectif est idéal et il n’a de liens que relatifs avec l’histoire et la réalité concrètes. Ce qui, en période de crise sociétale, comme aujourd’hui, accroît les contradictions et les tensions, entre ceux qui veulent maintenir à toute force une représentation idéale et ceux qui réclament que leurs voix soient entendues et prises en compte. La reconnaissance de ces autres récits a certes avancé, dans les programmes scolaires ou par un travail muséographique (Cité nationale de l’histoire de l’immigration, etc.), mais les contradictions ou les impensés demeurent. Ensuite, ce récit mythique repose sur l’occultation de certains acteurs, sur le silence imposé à certaines voix. Il se construit donc sur la minorisation de certains groupes sociaux ; l’idéalisation de la nation française produit des minorités… en même temps que le discours ofciel nie à ces groupes toute légitimité (c’est le refus français de reconnaître les langues minoritaires, par exemple, au nom de l’unitarisme).

Cette contradiction majeure est aujourd’hui au cœur de la mésentente et des tensions de la société française : elle se lit à la fois dans le développement d’une extrême-droite qui a capté l’électorat populaire (lequel n’en peut plus d’un discours de principe des élites si éloigné de la réalité vécue), et dans la construction politique de l’immigration comme un problème, dont nous avons rappelé la généalogie. Ces deux questions ne sont pas symétriques, pas plus que l’une n’explique l’autre : ce n’est pas l’immigration qui est la cause, pas plus que l’existence de groupes ethniques n’est à l’origine du racisme. La question immigrée et la question ethnique sont des produits de cete crise politique. La résolution de cete crise passe par le changement de statut de ces questions, ce qui suppose la redéfnition d’une manière de considérer les groupes concernés (de milieu populaire, comme immigrés). Or, on l’a dit, l’instrumentalisation politique de cette histoire produit exactement l’inverse : la cristallisation d’un problème qui devient tendanciellement insoluble, parce que de plus en plus fantasmé.

Des mécanismes concrets d’altérisation et de minorisation

La production d’altérité et de minorité opère à partir de mécanismes et dispositifs concrets, tels que le jeu juridique avec les catégories de nationalité et de citoyenneté, le discours public de représentation nationale qui stigmatisent certains groupes, le traitement de la question linguistique et du plurilinguisme, ou encore l’instrumentalisation de la laïcité.

L’usage politique du lien entre nationalité et citoyenneté. Les travaux historiens et politologiques nous montrent que la société française n’a eu de cesse, dans son histoire depuis la Révolution, de distinguer « l’homme » et

36 La mise en scène de cette célébration s’est par ailleurs largement inspirée de la mythologie coloniale, la France étant censée incarner la rencontre entre les grandes « races » du monde…

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le « citoyen », de jouer du rapprochement ou de la distinction entre « nationalité » et « citoyenneté »… Cete instrumentalisation, à des fns largement électorales, conduit à faire de la nation une sorte de « club » de plus en plus sélect, dont l’entrée est conditionnée par diverses sortes de normes « culturelles », morales, linguistiques, etc. Ces normes ont pour fonction de maintenir une prééminence et une préséance de ceux qui ont le bénéfice d’être « Français », autrement dit, les membres présumés légitimes et indiscutés de ce club. Certains discours des pouvoirs publics sur la nationalité, ainsi que certains dispositifs dits « d’accueil » le traduisent explicitement, dans l’idée qu’être français se « mérite » et que c’est une dignité particulière.

Cette conception élitiste, loin de résoudre le problème de la pluralité, repousse au contraire la possibilité de trouver une solution pragmatique (car la tentation est de recourir à une logique antipolitique d’expulsion ou d’élimination des populations construites comme indésirables). Cete altérisation des populations vues comme étrangères a en même temps pour conséquence de restreindre la défnition du « Nous », comme le constatent de plus en plus de membres de la collectivité, qui pensaient leur statut de « Français » indiscutable, et qui se retrouvent dans la dramatique position de devoir (sans toujours pouvoir) faire la preuve de leur nationalité. C’est particulièrement le cas avec des membres nés dans des pays ex-colonisés, dont l’Algérie, ce qui va là encore dans un sens contraire à une logique d’apaisement des rancoeurs héritées de la colonisation. Le durcissement des règles met en cause la possibilité de réaliser la communauté elle-même.

Le problème des discours publics de stigmatisation. De nombreux travaux montrent que le racisme contemporain est clairement lié à une situation de cristallisation autour de la question de savoir qui peut légitimement faire partie du « club » que serait la nation. Les discours publics ont ici un rôle clé, car ils légitiment l’ordre et produisent de la stigmatisation.

Les effets concrets des discours sur le « communautarisme »

La dénonciation du « communautarisme » est un thème issu de l’extrême-droite, qui a colonisé les discours publics entre 1994 et le début des années 2000. Pour ce faire, il s’est appuyé sur une dramatisation des peurs liées au terrorisme « islamiste » (Dhume, 2010). Ces discours ne parlent guère de la concrétude des problèmes de la société. Ils visent au contraire à imposer, au mépris du réel, une position idéologique assimilationniste, et ainsi rendre indiscutable un durcissement policier des frontières de la société française. Les efets ne sont pas que symboliques. D’une part, on observe que le mot a un pouvoir performatif sur la réalité sociale et sur l’organisation de l’intervention de l’Etat. C’est en son nom qu’a été justifiée l’instauration de l’état d’urgence dans les « banlieues », fin 200537. C’est aussi par lui que l’on justifie les lois sur le « voile à l’école » ou la « burqa », ou encore le « débat sur l’identité nationale », etc. D’autre part, le mot joue comme un signal du rapport de force nationaliste : il pousse les populations minorisées à taire des revendications d’égalité pour ne pas justement être accusées d’avoir un comportement « communautaire » ; et il pousse les individus à surjouer les codes de l’adhésion au discours « républicain », pour ne pas être taxés d’infidélité à la nation. Ce mot empêche donc clairement de discuter des problèmes d’inégalités et de discrimination, en même temps qu’il ethnicise et durcit le référent nationaliste du débat public.

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La stigmatisation de l’immigration, de l’islam ou des populations dites Roms permet de renforcer et relégitimer le « Nous » nationaliste en stigmatisant des groupes tenus pour des « outsiders » (Elias et Scotson, 1995). Ces discours produisent de l’ethnicisation ou de la racialisation38, c’est-à-dire qu’ils créent des groupes ethniques (définis par une origine supposée primordiale et essentielle) voire des groupes raciaux (définis par une nature présumée diférente). Ils renforcent en retour l’identification des populations stigmatisées à un groupe minoritaire, qui se caractérise par un vécu commun de la stigmatisation, la discrimination, la ségrégation… Ces discours autorisent au fnal à nier les règles mêmes qui fondent la collectivité, comme on le voit concernant les « Roms » : négation du statut d’Européen et des droits afférents ; objet de harcèlement, de violences, de ségrégation ; légitimation de la destruction de biens privés ;

37 Le Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin, le justifiait ainsi devant l’Assemblée nationale : « Faut-il renoncer à l’exigence de cohésion nationale au proft du communautarisme, au risque d’accroître le repli et l’incompréhension entre nos concitoyens ? ». DE VILLEPIN D., « État d’urgence : déclaration du Premier ministre à l’Assemblée nationale », 8 novembre 2005.

38 Contrairement à une croyance commune, l’ethnicité n’est pas une qualité intrinsèque de certains groupes. C’est au contraire le produit de rapports de pouvoir. C’est une manière de fonder et justifier la distinction entre des groupes sociaux sur la base d’un discours des « origines » supposées primordiales de ces groupes, et qui définit donc les positions de « Nous » et « Eux » par des « diférences » supposées essentielles. Le discours politique ethnique est une fabrication du pouvoir, et ce n’est pas une importation autonome de quelques groupes étrangers.

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injonction contradictoire à « s’intégrer » dans le même temps qu’on empêche en pratique toute stratégie de scolarité, d’habitation ou qu’on leur interdit de travailler, etc. Nous sommes là encore dans un cercle vicieux, une prophétie autoréalisatrice : ces discours qui dénoncent créent eux-mêmes, par la stigmatisation, ce qu’ils dénoncent.

Une difculté importante à laquelle la politique publique devra faire face est que cette logique de stigmatisation est aujourd’hui très banalisée. La récurrente instrumentalisation politique de quelques populations construites en « bouc-émissaire » se retrouve à peu de choses près dans les discours de tout l’échiquier politique. La croyance que l’on peut combattre l’extrême-droite en se réappropriant un discours de stigmatisation montre de façon patente aujourd’hui son échec, et il est temps d’en prendre acte pour renverser cette tendance. Cela indique au passage l’une des difcultés majeures : la construction d’un Nous inclusif et solidaire se heurtera inévitablement à des stratégies contraires, visant à maintenir les privilèges que certains tirent du bénéfice de cette « propriété nationale » au détriment des autres.

Le traitement du plurilinguisme. La question de la langue joue aujourd’hui plusieurs rôles simultanés entre lesquels il est nécessaire de distinguer39 : elle est utilisée comme instrument de contrôle de l’immigration (Contrat d’accueil et d’intégration, référentiel « Français langue d’intégration40 », etc.) ; elle est vectrice de repères et de ressources pour pouvoir accéder aux codes autochtones, afin que les gens puissent se sentir sufsamment à l’aise là où ils vivent ; elle est sous des formes et à des degrés divers un objet d’apprentissage scolaire ; etc. Le plurilinguisme – soit, une pluralité de langues reçues en héritage – est une des rares particularités d’une partie des populations immigrées ou descendants d’immigrés ; mais cete particularité n’est ni générale ni spécifque à la migration (langues régionales), comme le montre l’enquête TéO : « Sur dix résidents du groupe majoritaire en France âgés de 18 à 50 ans, un seul se déclare plurilingue pendant l’enfance alors que le plurilinguisme concerne quatre immigrés (39 %) et cinq descendants d’immigrés sur 10 (49 %) » (Beauchemin et alii, 2010, p.31).

Y a-t-il un problème du multilinguisme ? Non, pas en soi. Tous les travaux scientifques sur le multilinguisme ou sur le fait que les enfants apprennent à l’école une autre langue que celle parlée à la maison montrent que cela n’est pas un obstacle à la réussite scolaire. C’est au contraire un potentiel de réussite tant scolaire que professionnelle (en développant des compétences linguistiques, en ouvrant des horizons de mobilité, etc.). Cependant, le multilinguisme peut devenir un obstacle dès lors que ce potentiel est réduit par une stigmatisation de l’allophonie, plutôt que de soutenir et de développer des compétences. C’est le statut en France du multilinguisme qui crée le problème. On sait que sa stigmatisation peut générer de l’échec scolaire, en induisant deux phénomènes : une perte de confiance des enfants dans leurs repères familiaux, qui empêche la transmission d’une légitime confiance en soi ; une tentative des parents de répondre à la stigmatisation en s’obligeant à parler « français » à la maison, mais un français bricolé et mal maîtrisé qui est très éloigné de la langue normée de l’école.

Un problème mal posé : l’exemple du « rapport Benisti » (2004-2005)

Paradoxalement, le rapport dirigé par le député Jacques-Alain Benisti sur la « prévention de la délinquance » produit du problème là où il prétend en résoudre. En efet, en projetant sur le « bilinguisme » une logique de soupçon au titre que ce serait un facteur secondaire de déviance, et en prônant par conséquent de « faire en sorte que l’enfant assimile le français avant de lui inculquer une langue étrangère » (Benisti, 2004, p.17), le rapport a plusieurs conséquences problématiques : 1° il projette sur les familles une logique scolaire qui est négatrice de leurs ressources, et les pousse à singer l’école en niant leurs ressources spécifiques, alors que l’on sait que leur transmission est au contraire nécessaire au bien-être élémentaire des enfants. 2° Il conduit à médicaliser – et donc à déscolariser – une question d’apprentissage, en poussant à traiter les cas où l’échec scolaire serait associé au

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39 Un dispositif tel que « Ouvrir l’école aux parents pour réussir l’intégration », porté par le ministère de l’Intérieur, a précisément été conçu pour travailler plusieurs objectifs à la fois. Mais, dans une perspective inclusive, cela représente justement le problème : on rabat la question des repères et ressources proposées aux arrivants ou aux populations vivant en France sur un objectif normatif de type intégrationniste.

40 L’exemple du référentiel FLI est significatif d’une conception normative et idéalisante de la communauté nationale, dont l’appropriation desdites « valeurs » (en fait surtout des normes) est posée comme un pré-requis. Il est fort doutable que cette exigence d’un apprentissage de principes normatifs déconnecté de la pratique, et surtout de l’expérience qu’en ont les personnes (qui est aussi celle de discrimination, des inégalités, etc.) puisse produire un sentiment de commune appartenance et un attachement fort à ces principes. Quand on sait que les valeurs ne valent qu’à travers leurs usages, on comprend que la définition d’une liste de valeurs à apprendre comme pré-requis pour être reconnu citoyen dans la collectivité apparaisse – notamment aux yeux des apprenants – comme un discours de supériorité morale des « Français » (ou des adultes, à l’école).

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« bilinguisme » par le recours « aux orthophonistes, aux linguistes, comme aux pédopsychiatres ». En réalité, le « problème » que croit déceler ce rapport n’a pas grand-chose à voir avec une question linguistique. Il semble que ce soit surtout une question de rapports ethniques et de maintien de la prééminence de la norme vue comme « française » : les représentants du groupe majoritaire qui rédigent ce rapport craignent manifestement qu’une langue maternelle qui ne soit pas la « langue dominante », autrement dit « notre langue », soit « surreprésentée » (Benisti, 2005, p.40).

Le discours sur l’unicité de la langue et sur la primauté du français se traduit dans le rapport des Français au défi du multilinguisme, et ceci de plusieurs manières :

• Premièrement, ce sont les résistances à considérer que les langues maternelles des migrants sont une ressource légitime et normalement constitutive de la pluralité linguistique réelle de la France. Cela génère un paradoxe que l’on connait bien à l’école : l’usage des langues minoritaires par les élèves est souvent prohibé de fait, alors même que l’école prétend apprendre des langues étrangères aux élèves…

• Deuxièmement, le statut formel de l’enseignement des langues des groupes minoritaires dans les apprentissages contribue à les minoriser : l’enseignement de l’arabe, du turc, etc. est en nombre réduit et est en pratique fortement déconsidéré. Au point que les établissements craignent parfois que l’ouverture d’une section ne se traduise dans une étiquette négative. Tandis que d’un autre côté, on cantonne le travail sur/avec ces langues à des dispositifs spécifiques – tel le dispositif ELCO (Enseignement des langues et cultures d’origine), mis en place à partir des années 1970 – en les réduisant à un sous-apprentissage réservé à un public spécifique, et en accentuant concomitamment un efet de stigmatisation. Ce dispositif a bien des limites. Mais les critiques qui lui ont été adressées, souvent au nom de « l’intégration », ont accru la stigmatisation du plurilinguisme, alors que c’était malgré tout l’un des rares dispositifs à tenter de prendre en compte cet enjeu de transmission et d’identification positive à une pluralité.

• Enfin, on peut se demander si le rapport problématique de la France au plurilinguisme n’explique pas pour une certaine part le rapport compliqué des Français à l’apprentissage de « langues étrangères » à l’école… Si tel est le cas, cela montre encore une fois que le traitement réservé aux groupes minorisés a des efets sur l’ensemble de la collectivité, en l’empêchant de « grandir » – de cette « grandeur qui ne serait plus martiale, mais sociale » (Tuot, 2013, p.75).

L’usage problématique de la laïcité. La laïcité est sans arrêt présentée comme une valeur, ce qu’elle n’est pas. Elle est par ailleurs posée comme une norme primordiale et systématique de l’école publique, ce qui ne correspond pas à la réalité de l’histoire : les discours politiques surévaluent souvent le laïcisme des « hussards de la République », en oubliant les tolérances pratiques et les compromis avec les « petites patries » (Chanet, 1996). Cela ne correspond pas plus aux expériences diverses qu’en ont les élèves aujourd’hui. Car en réalité, cette norme fait l’objet de divers compromis juridiques, comme par exemple dans les écoles et collèges d’Alsace et de Moselle : des cours de religion (de référence chrétienne41) y sont données à tous les élèves, sauf désaccord des familles, tandis que l’on enseigne par ailleurs un discours laïc de principe. Au-delà de cette contradiction, que l’on interroge peu, l’existence de compromis pratique montre bien que la technique juridique offre plus de souplesse qu’on ne veut bien le voir.

a contrario, la réafrmation incessante de la « laïcité » comme un pré-requis produit l’inverse de ce que l’on voudrait : elle fabrique de la distance là où l’on prétend souder la communauté. Et elle stigmatise de fait certaines populations (musulmanes, en particulier), qui sont les cibles implicites de ces discours. De ce point de vue, le grand retour du thème de la laïcité est moins lié à un enjeu de religion (et de rapport de l’Etat avec les religions, problème qui est globalement réglé) qu’avec un enjeu idéologique pour le nationalisme : utiliser la question de la religion pour maintenir à distance la reconnaissance des populations vues comme « musulmanes ». Nous savons, à travers le travail historien et politologique, que cet usage de la laïcité comme question polémique et clivante est le fruit d’entreprises politiques de groupes proches du pouvoir pour asseoir leur position (Lorcerie, 2005). Cet usage

41 C’est le problème singulier de la situation alsaco-mosellane : le droit local traite diféremment des religions, ne prenant en compte dans les héritages du Concordat que la reconnaissance de certaines au détriment notamment de l’islam.

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polémique a radicalement modifié l’interprétation de la laïcité, comme nous l’avons vu concernant le voile : d’une limitation du pouvoir des institutions (avec en conséquence une tolérance pour les pratiques religieuses, y compris publiques), à une normalisation des publics (au nom de la séparation public/privé).

Nous savons, à travers des enquêtes empiriques, que cete confusion a des effets importants : la crispation idéologique à partir de situations concrètes empêche de rechercher des compromis locaux et donc de solutionner ces situations dans un sens favorable à la production du commun et de la tranquillité publique (concernant le voile, les menus des cantines scolaires, la place de la religion dans l’entreprise, etc.) ; un durcissement corrélatif des logiques de rejet, avec une autorisation de l’expression raciste par le thème de la « laïcité » (cela est confirmé, dans des écoles comme dans ses entreprises, par les observations des membres de notre groupe de travail) ; un refus, plus largement, de reconnaître l’expérience des populations ainsi stigmatisées, et donc un empêchement à travailler sur les mécanismes mêmes de stigmatisation, alors que ceux-ci produisent des problèmes de « religion » ou de « laïcité ».

›› L’incessante mise en doute de leur appartenance et l’altérisation de leur identité, vécues par des populations renvoyées à un statut toujours-étranger, se traduit dans un soupçon répété à l’égard de leur loyauté, de leur fdélité et de leur allégeance à la société française. Cela a ni plus ni moins pour effet de rendre impossible une société commune. Une politique publique soucieuse de construire un Nous inclusif et solidaire doit impérativement prendre en compte ce problème. Une telle politique ne peut se payer de discours globaux sur une société plurielle ; cela ne peut sufre à restaurer un lien si usuellement discrédité. Des discours et des signaux symboliques sont bien entendu impératifs. Mais, pour ne pas jouer comme une injonction contradictoire, ceux-ci doivent prendre sens et se traduire dans les normes concrètes, sur les différents plans dans lesquels se joue l’enjeu d’un assouplissement des frontières de la société. Il est nécessaire de changer le statut politique – symbolique et concret – que l’on donne aux populations aujourd’hui cibles des discours stigmatisants ; comme il est nécessaire de cesser de durcir les frontières en jouant de la nationalité contre la citoyenneté (et réciproquement). Il nous faut changer le rapport que nous avons avec les questions de plurilinguisme ou encore de laïcité, pour en faire des outils pratiques de reconnaissance et de potentialisation de la pluralité, plutôt que des objets de crispation et de clivage autorisant la maltraitance.

 Ce que nous savons des processus de discrimination Discrimination et ethnicisation à l’école et dans l’orientation scolaire

Depuis les années 1970, une longue série de travaux scientifiques a mis en évidence que les « lunettes » ethnico- raciales sont présentes et actives dans le regard que portent les agents de l’institution scolaire sur les élèves et leurs parents, sur les territoires et les situations. L’école altérise, minorise, ethnicise et discrimine tendanciellement les publics vus comme issus de l’immigration, certaines catégories de façon plus intense que d’autres. Ce que l’on sait globalement, c’est que les effets de ce jugement ethnique sont d’amplitude très générale (ils se retrouvent à tous les niveaux du système scolaire et dans toutes les dimensions que la recherche a explorées) ; par contre, cela n’est, sauf exception, pas systématique ni le plus souvent conscient. C’est d’ailleurs une réalité difcile à admettre pour les professionnels du système scolaire, tant ils adhèrent par ailleurs globalement à une lecture antiraciste qui refuse de nommer (et donc de rendre visible) cette réalité. La discrimination ethnico-raciale scolaire semble être souvent d’ordre systémique, au sens où ce sont des mécanismes généraux, produisant plus globalement des inégalités socio-scolaires – et donc, au départ, non spécifiques aux populations vues comme immigrées –, qui se traduisent en fin de compte sous la forme de diférenciations fortes des parcours et des expériences. Cette discrimination systémique est par contre tissée d’une multitude de micro-discriminations ethnico-raciales spécifiques (infra-légales, le plus souvent) et de logiques d’ethnicisation, que la recherche a mis au jour et que l’on peut synthétiser comme suit.

Effets de représentations et traitements altérisants. Des stéréotypes et préjugés, qui existent plus largement Rapport du groupe « Mobilités sociales » Page 32/93

dans la société, trouvent dans l’école une expression particulière : l’analyse des représentations sociales tend à montrer une « hiérarchisation opérée par les enseignants entre les élèves d’origine asiatique, maghrébine et tsigane » (Durand, 1991), du point de vue des qualités morales, cognitives et scolaires qui leur sont attribuées (assiduité, motivation, rigueurs, etc.). Certaines catégories ethniques bénéficient d’un préjugé favorable qui persiste dans le temps, par exemple l’image du « bon élève “asiatique” » à qui l’on prête, notamment en mathématiques, des qualités particulières. Cela peut induire une surévaluation de leurs compétences dans ce domaine. D’autres catégories sont à l’inverse, l’objet d’une mise à distance : les élèves vus comme maghrébins peuvent être l’objet d’une moindre « connivence afective » (Zimmermann, 1978) et de jugements plus négatifs que les autres, de la part des enseignants. Plus généralement, le référent ethnocentrique qui fait de l’école l’incarnation de la normalité culturelle fait écho à l’histoire coloniale, qui agit probablement à l’insu des acteurs de l’école. La recherche a montré que les familles vues comme étrangères se voient souvent imputer un présupposé de distance culturelle et d’incivilité, selon un principe qui serait à peu près : « à culture sauvage, pratique de sauvagerie » (Payet, 1992). Le rapport de l’école au quartier et aux familles vues comme étrangères semble transférer les difcultés scolaires de civilité dans un « choc des civilisations », ce qui ethnicise les rapports scolaires et pousse celle-ci à durcir sa clôture externe.

Dans les pratiques de jugement et d’orientation. L’origine des enseignants comme celle des élèves peut influer sur les attentes et les jugements professoraux, sur les pronostics quant à l’avenir des élèves dans le système scolaire, mais aussi sur la notation elle-même. Des études récentes attestent que des biais de notation et d’orientation sont aujourd’hui encore à l’oeuvre. Pour les mesurer, il faut prendre en compte l’articulation et les transferts possibles entre les catégories ethniques, de classe et de genre : car la discrimination ethnico-raciale s’exprime de façon parfois indirecte, souvent combinée avec d’autres logiques de diférenciation/hiérarchisation. On mesure statistiquement qu’à même catégorie socioprofessionnelle, les conseils et pratiques d’orientation peuvent diférer, et que l’on refuse par exemple plus souvent les vœux des familles vues comme immigrées que ceux des familles vues comme françaises. Cet ensemble de micro-discriminations sont souvent fortement ressenties par les élèves, qui dénoncent des « orientations forcées » et « itinéraires contrariés » (Santelli et alii, 2006).

Un jugement enseignant variable selon l’origine et le genre perçu : l’exemple des appréciations sur bulletins

Des micro-études par établissement conduites avec les professionnels dans le cadre d’une expérimentation sur l’agglomération grenobloise (2009-2012)42, montrent qu’à même niveau de note, les élèves se voient jugés diféremment, selon l’origine et le genre perçus. Dans les appréciations portées sur les bulletins scolaire, dans un collège, « le lexique utilisé difère selon que les élèves sont vus par les enseignants comme « filles » ou « garçons », ou comme « d’origine européenne » ou « non-européenne ». (…) les élèves vus comme d’origine européenne sont plus souvent félicités (« bravo », « excellent »…), et les conseils donnés sont plus ciblés et visent le travail (préparer les évaluations, mieux lire les consignes…). Tandis que les élèves vus comme d’origine non-européens sont plus jugés sur leur comportement et leur mobilisation (se « contrôler », etc.). » A note équivalente, l’image de sérieux des élèves difère nettement : « la polarité la plus grande oppose la catégorie « filles d’origine européennes » et celle « garçons d’origine non-européenne » : ces derniers sont systématiquement moins jugés sur leur « sérieux » (écart moyen d’environ 11%, mais atteignant 25% au niveau « Très bien » [notes supérieures à 15]. »

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Des populations avec un statut d’exception. La question spécifique de l’orientation en « classes spéciales » est un point récurrent du débat, depuis les années 1970. Récemment encore, des études montrent que la catégorisation ethnique contribue à déterminer l’orientation vers des dispositifs de soutien et/ou de l’enseignement spécialisé (SEGPA…). La place physiquement et symboliquement en marge de ces dispositifs dans les établissements conduit certains auteurs à parler d’une « scolarisation par la stigmatisation » (Vayssière, 2004). Celle-ci apparaît d’autant plus marquée que les publics sont spécialement étiquetés par l’institution. Ainsi, les élèves dits « nouvellement arrivés en France », et plus encore « Roms » peuvent connaître des trajectoires presque systématiquement diférenciées, avec des formes de «discrimination institutionnalisée» (Dhume, 2012) et des parcours de l’école à l’emploi qui maintiennent un tel statut ethnique d’exception. L’étiquetage par l’institution de catégories de publics à part semble

42 Ces travaux de recherche-action ont été présentés lors du colloque national « Mobilisations face aux discriminations dans l’éducation. Savoirs d’expériences et pouvoir d’agir » (Grenoble, 13 mars 2013). Ces travaux sont en cours de publication ; ils ont fait l’objet de fiches synthétiques communiquées au groupe de travail « Mobilités sociales », qui constituent ici la source citée.

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autoriser toutes sortes d’aménagements spécifques et justifer qu’on leur refuse l’accès au droit commun, et jusqu’à l’accès à la scolarité elle-même – les cas de refus d’inscription d’élèves dans certaines communes se répétant depuis les années 1970, et ayant été l’un des premiers objets de plaintes enregistrées par la HALDE concernant le domaine éducatif.

La « classe à la cave », un exemple de discrimination institutionnalisée (Dhume, 2012)

Dans un petit village localement connu pour la population « gitane » qui y réside – toujours en marge, et soumise à diverses sortes de discriminations -, l’école a ouvert une classe d’adaptation, réservée à cette clientèle. A la composition ethnique des classes se rajoute le fait que l’accès aux autres classes est limité : la CLAD joue comme « sas » sélectif, et elle limite de fait l’accès ultérieur aux classes normales, contrairement à aux textes qui prévoient que les élèves « n’y séjournent pas plus d’une année ».

Plus avant, « l’ordre inégalitaire se traduit dans la distribution physique et symbolique des classes dans le bâtiment. A la diférence de toutes les autres installées de plain-pied, la CLAD est située à l’entre-sol. Cette position basse, et les « contraintes » architecturales du bâtiment (pas de fenêtres mais des soupiraux obturés par des grilles ; donc moins de luminosité ; pas d’issue de secours ce qui déroge aux règles normales de sécurité) confèrent à la salle son nom d’usage : la « classe à la cave ». Cette situation durant depuis une vingtaine d’année, l’habitude a été prise. (…) Le nom de « classe à la cave » est institué. Au point que, lorsque les parents emmènent leurs enfants à l’école, ils leur arrive de dire simplement qu’ils vont « à la cave ». « [L’appellation] “la cave”, c’est un truc institutionnalisé. Moi, au départ, je pensais que c’était un dispositif de l’Education nationale, comme il y a les CLAD, les CLIS… la CAVE… », confie un professionnel de la politique de la ville. Il n’est pas à chercher bien loin pour entendre, dans ce nom représentant la distribution physique des espaces, l’écho d’une distribution politique des places. »

Les propositions pour changer cette hiérarchie implicite ne sont même pas entendue : la rotation des classes est littéralement impensable, comme l’explique l’Inspectrice de l’Education nationale : « Obliger les enseignants, à tour de rôle, à aller faire classe dans la cave, pendant que cete classe occuperait euh… une salle au rez-de-chaussée ou au 1er étage… (…) Imaginez les parents d’élèves des enfants ord… des classes ordinaires… qui pour un an seraient dans la cave… Cete cave, elle est déjà connotée… discriminatoire. C’est pas simplement, les enfants… qui sont discriminés… mais c’est aussi le lieu. C’est la classe… des Gitans. » La « cave », ce n’est pas la place de n’importe qui, car ce n’est évidemment pas une place égale. Intervertir la CLAD et la bibliothèque, située au premier étage n’est pas plus entendable : « Si au moins ils pouvaient changer, metre la bibliothèque en bas et la classe en haut… Mais si vous le proposez, ça rentre dans une oreille et ça sort », déplore une mère d’élève. On ne mélange pas les objets de Culture scolaire avec les problèmes de « cultures étrangères »… Ainsi, « la CLAD spécialisée ethnique apparaît ici comme une image inversée du modèle scolaire ; son traitement rend visible en creux la part ethnique cachée de la représentation et de la norme de l’école toute entière. La « scolarisation » des enfants « Gitans » a modifié un ordre scolaire qui, pendant longtemps, trouvait sa raison dans une frontière horizontale : l’absence d’accès à l’école. L’injonction croissante à une obligation « d’intégration scolaire » n’annule pas l’inégalité ; elle conduit à son déplacement vertical, dans l’ordre de la hiérarchie. C’est vraisemblablement là le sens de la « classe à la cave » ».

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Trajectoires et expériences scolaires des enfants d’immigrés. Les parcours de formation initiale des élèves immigrés et descendants d’immigrés se distinguent de ceux de la population majoritaire par une durée globalement plus courte et une forte orientation dans les filières déconsidérées (enseignement professionnel…). Certes, la différenciation globale s’amenuise si l’on raisonne en tenant compte notamment du milieu socio-professionnel d’origine et des confgurations démographiques familiales. Mais les données moyennes masquent des parcours et trajectoires netement différenciés selon les pays d’origine des élèves et selon le sexe. On sait aujourd’hui que la « légère sur-réussite toutes choses égales par ailleurs » des enfants d’immigrés (Vallet et Caille, 1996) est largement imputable à une diférenciation sexuée de la « réussite » scolaire, à la faveur des jeunes filles. Cela cache un rapport globalement plus problématique des garçons descendants d’immigrés à l’école, et réciproquement. A milieu social et familial équivalent, les études révèlent deux trajectoires collectives netement polarisées selon « l’origine » : d’un côté, une sur-réussite des descendants d’immigrés originaires d’Asie du sud-est ; de l’autre, une sous-réussite des descendants d’immigrés turcs et maghrébins (particulièrement des garçons algériens). Cela se traduit par un taux d’accès diférentaubaccalauréat,avecunefortesous-représentationdesdescendantsdel’immigrationturque :39%contre67% pour l’ensemble des 20-35 ans, selon l’enquête TéO. Et surtout un taux très élevé de sorties sans diplôme du système scolaire. L’autre vecteur de singularité du rapport des enfants d’immigrés à l’école, particulièrement maghrébins, c’est une expérience plus souvent teintée d’amertume, en particulier concernant l’orientation scolaire. Ils se sentent assignés à une place disqualifiée.

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Une différence d’accès aux diplôme selon l’origine (Brinbaum et Kiefer, 2009)
Elèves Bacca- CAP, BEP, Brevet Sans

lauréat BT collèges diplôme

Diplôme le plus élevé obtenu à la fin du secondaire par les élèves entrés en 6è en 1995 Source : Brinbaum et Kiefer, 2009, pp.585-586.

Dans la formation professionnelle et universitaire

Les discriminations dans l’enseignement supérieur sont peu étudiées. On sait globalement que le succès dans les études supérieures est conditionné par la trajectoire précédente. Or, concernant les jeunes « d’origine nord-africaine », près de la moitié de ceux entrés à l’université la quitent sans plus de diplôme qu’à l’entrée (baccalauréat). La conséquence est une pénalisation à l’entrée sur le marché du travail – pour les jeunes filles, cela peut être une double pénalisation, liée au statut de femmes et de descendantes d’immigrés. Cependant, l’université ne fait pas que rendre visibles ou reproduire des diférenciations précédentes. Des recherches montrent une expérience répétée de la racialisation, comme cela a été étudié pour les étudiants « noirs », qui voient sans arrêt, et par l’efet de divers mécanismes, remettre en cause leur qualité de « vrais français » et faire l’objet de suspicion sur leurs capacités à réussir.

L’exploitation des données du panel 1995 du ministère de l’Education nationale montre de fortes polarisation de parcours selon une combinaison sexe/origine des élèves. «Chez les enfants d’immigrés, les échecs aux examens (sorties contraintes) l’emportent nettement sur les abandons (12% et 6%), à l’exception des jeunes d’origine portugaise qui sont les plus nombreux à quitter le système éducatif sans se présenter à un examen. (…) les jeunes d’origine maghrébine échouent deux fois plus souvent dans ces filières professionnelles que leurs homologues d’origine portugaise, en raison de performances scolaires plus faibles, mais également d’une orientation vécue comme subie (…). »

D’origine maghrébine

Garçons

43%

22%

7%

28%

Filles

74%

11%

6%

9%

D’origine française

Garçons

64%

21%

6%

9%

Filles

74%

16%

5%

5%

Une discrimination selon l’origine musulmane du prénom : une étude dans le Nord-Pas-de-Calais (Decharne et Liedts, 2007)

Une étude conduite par l’Observatoire régional des études supérieures a mis en évidence l’efet du « prénom musulman » comme stigmate influant sur la scolarité dans le supérieur : parmi les variables testées, « le prénom apparaît de manière très significative comme celle qui produit les discriminations les plus fortes ». Ce traitement défavorable semble en partie lié à la scolarité antérieure : les étudiant.e.s à prénom musulman étant nettement moins souvent titulaires d’un bac général que leurs homologues ayant un autre type de prénom (42,6% contre 64,7%), les inégalités de distribution selon les types et les séries de bac se prolongent dans la suite des études. Mais la diférenciation se traduit aussi en termes de moindre accès objectif à certaines filières ou diplômes, et en termes d’abandon d’études et de redoublement (particulièrement pour les titulaires d’un bac technologique, et plus encore professionnel). La discrimination semble relative à la sélectivité de filières. Ainsi, les étudiants ayant un prénom musulman sont plus souvent dans les filières généralistes : à situation comparable la seule variable du prénom fait augmenter la probabilité d’inscription en AES de 15,7 points. Inversement, « les porteurs d’un prénom arabe ou musulman (…) n’ont que 37 % de chances d’être en STS quand ils sont titulaires d’un bac technologique et 20 % de chances s’ils sont titulaires d’un bac professionnel (contre respectivement 60 % et 68 % de leurs homologues portant un autre type de prénom) ».

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Dans la formation initiale en alternance de type stage et apprentissage. Dans les stages sous statut scolaire, la discrimination a fait l’objet d’une étude de l’Inspection générale de l’Education nationale, sortie en 2000 mais jamais rendue publique : l’IGEN estime que la discrimination ethnico-raciale touche entre 30% et 50% des élèves d’origine étrangère lors des recherches de stage. L’analyse des mécanismes discriminatoires en stage montre que l’entreprise trouve dans l’école un relais de ses demandes discriminatoires. La discrimination prend appui sur une lecture « handicapologique » du public, qui semble relativement partagée entre enseignants et tuteurs de stage. Celle-ci est par ailleurs soutenue par les circulaires ministérielles, qui mettent de plus en plus l’accent sur l’enjeu d’adaptation du public au détriment de la négociation de la qualité du stage. Ont été observées au niveau des établissements des « stratégies ethnicisées de gestion des placements en stages » (Dhume et Sagnard-Haddaoui 2006), puisque les enseignants et les entreprises peuvent apparier selon l’origine perçue les élèves et les tuteurs, et plus encore les

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élèves et les professeurs qui les suivent. Par ailleurs, la discrimination constitue un obstacle spécifique qui nécessite un efort accru des élèves pour tenter d’obtenir une place. Les difcultés seraient « quasiment deux fois plus élevées pour les enfants d’un parent au moins né au Maghreb ou dans un autre pays africain (…) que pour les enfants dont les parents sont nés en France métropolitaine » (Farvaque, 2008). Dans l’apprentissage également, on sait que les descendants d’immigrés, notamment du Maghreb, y accèdent moins que les autres. Dans ce domaine, plus encore que pour les stages, le recrutement fonctionne selon une « économie domestique », qui privilégie la réputation et le bénéfice de réseaux d’inter-connaissance (le « piston »). Dans ce contexte, les préjugés qui pèsent sur les « jeunes », et particulièrement sur certaines populations vues comme « maghrébine » ou « tsigane » joue à plein comme disqualifi- cation par avance. Comme pour les stages, le rôle des intermédiaires censés faciliter l’accès à l’apprentissage dans de bonnes conditions s’avère surtout dépendant des exigences des employeurs, réduisant le rôle d’interface à « une seule face » (Noël, 2000). Cela les conduit à coproduire, et parfois anticiper la discrimination, en appliquant eux-mêmes la sélection ou en cherchant à surconformer les publics vus comme posant problème. Ce qui justifie la discrimination.

L’accès à la formation professionnelle continue. Une fois entrées dans le monde du travail, les populations vues comme immigrées ne sont pas plus à l’abri des inégalités de traitement. Les enquêtes statistiques sur la formation professionnelle convergent pour montrer qu’elles y accèdent environ deux fois moins souvent que les français d’origine. Entre 1998 et 2003, 18% des immigrés ont suivi une formation, contre 36% des « français ». Tous les secteurs (public, privé) sont concernés, même si l’écart est un peu moindre pour les salariés de l’Etat et des collectivités. Cet écart est confirmé quels que soient l’âge, le sexe ou le diplôme. Par ailleurs, si l’investissement des employeurs dans la formation dépend nettement du secteur d’activité, l’exploitation de l’enquête Formation et qualifcation professionnelle de 2003 montre que la diférenciation entre immigrés et « français » se maintient quels que soient le secteur, la taille ou la profession considérée. Globalement, l’écart par rapport à la situation des salariés vus comme Français diminue, pour les générations nées de parents immigrés. Mais là encore, comme pour l’école et l’emploi, les personnes vues comme maghrébines connaissent une discrimination nettement plus forte, avec un accès à la formation continue moindre de près de 10% par rapport à l’ensemble des salariés vus comme issus de l’immigration. Là où l’on pourrait attendre de la formation continue qu’elle puisse contribuer à compenser le déficit de diplôme et de qualification scolaires, on observe au contraire qu’elle prolonge une logique discriminatoire qui fonctionne particulièrement au détriment des populations vues comme maghrébines.

Chômage, insertion et accès à l’emploi

La recherche a clairement établi que les processus de discriminations dans l’emploi et le travail fonctionnent sur un mode systémique, ce qui veut dire que les multiples segments et les diverses positions (favorables, défavorables, etc.) sont articulés et co-dépendants les uns des autres. Les diférences de concentration de certaines populations (Noirs, maghrébins…) dans certains segments tels la sécurité ou le bâtiment ont pour corollaire que d’autres secteurs leur sont plus difcilement accessibles. Par ailleurs, la présence de ces populations dans un secteur ne signifie pas l’absence de discrimination ni à l’embauche, ni dans les carrières et conditions de travail. Cette interdépendance globale explique aussi que, comme pour l’école, la discrimination ne se réduit pas à des actes individuels racistes conscients et punissables au pénal, ni même à l’effet des seuls stéréotypes et préjugés. Ce ne sont là qu’une part du problème. Au contraire, la discrimination est structurellement incorporée au fonctionnement du marché du travail – elle est « utile » aux logiques du marché, comme l’avait montré Danièle Lochak (2003). La discrimination est incrustée à presque tous les niveaux et dans tous les domaines, et elle peut être vécue par ceux qui la subissent comme une incessante répétition de micro-situations produisant un efet d’ensemble : le maintien en position d’outsider.

La discrimination raciale à l’emploi modife la structure du marché du travail. La discrimination raciale rajoute aux inégalités sociales et de genre un système de clivage et de diférenciation qui se retrouve dans les pratiques sélectives concrètes des employeurs. L’étude réalisée en 2006 pour le Bureau international du travail (BIT), procédant par testing dans six grandes villes de France, montre ainsi que le choix entre deux candidat.e.s, vu.e.s comme

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ethniquement majoritaire ou minoritaire, se porte « près de 4 fois sur 5 sur le/la candidat.e majoritaire » (Cediey et alii, 2007), et donc, à CV identique le choix se fait dans 80% des cas au détriment des personnes perçues comme membres de minorités ethniques. D’autres travaux ont mis en évidence la part de stéréotypes et préjugés relatifs au référent religieux susceptible d’être projeté sur les prénoms des candidat.e.s (Aurélie, Marie, Khadidja), montrant là aussi un écart élevé : le taux de convocation est de 21 % pour la candidate supposée vue comme catholique contre seulement 8 % pour la candidate vue comme musulmane.

Un testing au niveau BTS en région PACA (Chaintreuil et alii, 2012)

Discrimination nete

(Diférence entre les réponses favorisant le candidat d’origine française et celles favorisant le candidat d’origine maghrébine)

Ensemble (sur 77 ofres réelles)

40,3%

Spécialités industrielles

34,1%

dont : Electrotechniques

33,3%

Informatique et réseaux pour industrie et services

57,1%

Mécanisme et automatisme industriel

28,6%

Maintenance industrielle

45,5%

Systèmes électronique

-25,0%

Spécialités tertiaires

47,2%

dont : Assistant de gestion PME:PMI

87,5%

Assistant manager

0,0%

Comptabilité et gestion des organisations

50,0%

Management des unités commerciales

16,7%

Négociations relations clients

60,0%

Dans le cadre d’un projet visant à analyser les multiples dimensions et facteurs de la discrimination à l’embauche des jeunes sortis du système éducatif, le CEREQ a réalisé en région PACA une recherche combinant testing et analyse des pratiques (de recherche d’emploi et de recrutement) au niveau BTS (Brevet de technicien supérieur). Comparant deux candidats d’origine française et maghrébine, le testing montre que, « parmi les paires de candidatures répondant à une ofre d’emploi et ayant abouti à une réponse positive pour l’un ou l’autre des CV, 48% correspondent à des cas favorisant l’origine française, 8% à des cas favorisant l’origine maghrébine, et 44% à des cas où les deux candidatures ont reçu une réponse positive. En d’autres termes, la candidature française est favorisée 6 fois plus souvent que la candidature maghrébine.» L’enquête montre que la plupart des secteurs sont concernés, mais avec des variations : la discrimination est plus marquée dans les emplois en relation avec la clientèle (fonctions commerciales, particulièrement).

Source : Testing BTS-PACA, 2011 – CEREQ

Par ailleurs, tout le marché du travail n’est pas ouvert aux populations de nationalité étrangère. Cela concerne en premier lieu les emplois des fonctions publiques – avec probablement des efets sur les générations ultérieures, de déficit d’identification à ce type de poste. Mais cela concerne aussi plusieurs centaines de milliers d’emplois de droit privé43. Cette situation se prolonge, en dépit de la condamnation par le Traité de Rome de 1957 de toute discrimination fondée sur la nationalité en matière économique et sociale, et malgré une recommandation de la HALDE en 2009 puis une proposition de loi en 201044. L’enquête du Groupe d’étude des discriminations, en 2000, avait estimé à quelques 7 millions le nombre total d’emplois fermés aux étrangers, soit 30% des emplois en France. Avec des données actualisées pour 2008 (organismes publics) et 2009 (organismes privés), l’Observatoire des inégalités estime que 5,3 millions d’emplois demeurent interdits aux étrangers (hors Union européenne), soit l’équivalent de 21 % des emplois en France. 85% de ces emplois relèvent des fonctions publics ou des statuts dérivés. Ce qui représente plus de 130.000 recrutements annuels. Entre les deux études, plusieurs entreprises publiques ont changé leurs statuts ou changé de statut, ce qui a permis de supprimer la condition de nationalité (RATP, EDF-GDF, Air France, organismes de sécurité sociale). Mais d’un autre côté, de nouvelles réglementations conduisent à rendre inaccessibles certains postes aux personnes de nationalité étrangère, comme par exemple le récent décret de 201345 réformant le recrutement des

43 En 2009 : 17 professions sont soumises à une condition de nationalité française (huissier de justice, notaire, personnel navigant professionnel, directeur de publications de presse, concessionnaire de services publics, etc.), 35 le sont à une condition de nationalité communautaire (vétérinaire, directeur de salles de spectacles, débitant de tabac, dirigeant de régie, etc), et nombre de professions libérales, qui relèvent souvent d’un ordre professionnel (médecin, avocat, chirurgien-dentiste, sage-femme, expert-comptable, architecte, géomètre-expert, etc.) ont aussi une condition de nationalité communautaire. Se rajoutent à cela d’autres professions (débitants de boissons, dirigeants d’entreprises de surveillance, de transports de fonds, de protection de personnes ou encore de gardiennage).

44 En juin 2010, une Proposition de loi visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l’accès des travailleurs étrangers à l’exercice de certaines professions libérales ou privées a été rejetée par l’assemblée nationale

45 Décret n°2013-767 du 23 août 2013 relatif à la réforme du recrutement et de la formation des maîtres des établissements d’enseignement privés Rapport du groupe « Mobilités sociales » Page 37/93

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enseignants des établissements d’enseignement privés sous contrat.

Un surchômage, avec une discrimination qui hiérarchise les populations. Selon l’enquête emploi de l’INSEE, en 2010, près d’un quart des actifs non-ressortissants de l’Union européenne est au chômage contre 9,4 % de l’ensemble de la population active et 8,9 % des Français. On sait également que la part des immigrés dans la population en âge de travailler a augmenté, et ce plus rapidement entre 2003 et 2011 (+1,4%) qu’entre 1995 et 2002 (+0,9%), représentant plus fortement les femmes. Si le chômage touche plus particulièrement les jeunes de moins de 29 ans (16,8 %), les non-ressortissants de l’Union européenne ont un taux 1,7 fois plus élevé que la moyenne (28,9 %). Les situations sont cependant contrastées à l’intérieur de ce dernier groupe, pour des raisons non uniquement liées à la discrimination ici et maintenant (secteur d’activité où l’on se positionne, niveau de diplôme, réseaux et canaux d’accès à l’emploi, etc.). Mais l’efet de la discrimination est très important :

Lieu de naissance Taux de chômage à d’au moins un parent diplôme équivalent (2003)

*Données indicatives de fiabilité limitée compte-tenu du faible efectif.

Encore le taux de chômage est-il un indicateur partiel. De manière périphérique au chômage institutionnellement enregistré, les personnes inactives mais en âge de travailler et le souhaitant (soit le « halo » du chômage) sont plus souvent d’origine dite africaine – maghrébine ou subsaharienne. En outre, l’ancienneté du chômage est fortement discriminante pour les immigrés, et particulièrement pour les femmes : « les chômeurs immigrés du Maghreb (…) sont ceux dont l’ancienneté de chômage est la plus élevée : en 2011, 52 % d’entre eux sont au chômage depuis au moins un an (part du chômage de longue durée), contre 40 % des non immigrés. Pour les femmes originaires du Maghreb, la part du chômage de longue durée ateint 58 % » (Minni et Okba, 2012, p.8).

Selon l’enquête Génération 1998 du CEREQ, à diplôme équivalent (en l’occurrence, CAP ou BEP), les jeunes d’origine maghrébine ont entre 1,3 et 1,6 fois plus de risques que ceux d’origine française de se retrouver au chômage. Le taux de chômage des jeunes après cinq ans de vie active, selon le lieu de naissance de leurs parents, montre une nete hiérarchisation des « origines », dans laquelle la discrimination semble traduire en actes une sorte de hiérarchie de l’indésirabilité sociale, comme l’indique le tableau ci-contre.

Turquie

26,1 % *

Maghreb

21,1%

Afrique sub-saharienne

19,4% *

Asie du Sud-Est

12,9%

Europe du Sud

12,6%

Tous deux nés en France

10,4%

Des difcultés d’insertion en emploi stable plus importantes pour les fls et les flles d’immigrés maghrébins (Okba, 2012)

« Les filles d’immigrés maghrébins mettent pratiquement deux fois plus de temps (2,5 années) pour accéder au premier emploi stable que la population majoritaire (1,3 année) ou les filles d’immigrés d’Europe du sud (1,3 année). On retrouve des écarts semblables pour les hommes. Ainsi, les fils d’immigrés maghrébins mettent également plus de temps pour trouver un emploi stable (2,1 années) que les fils d’immigrés d’Europe du sud (0,9 année) ou de la population majoritaire (1,0 année). Plusieurs facteurs sont susceptibles d’expliquer ces écarts : niveau d’éducation plus faible pour les fils et les filles d’immigrés maghrébins, difficultés à accéder à un emploi par la mobilisation de leurs propres réseaux…

Le temps passé en emploi stable (périodes d’emploi d’une durée d’un an ou plus) depuis la sortie du système scolaire est moindre pour les descendants d’immigrés maghrébins (…). Alors que les fils de la population majoritaire et les descendants d’immigrés d’Europe ou d’Europe du sud ont passé près de 90 % de leur temps dans des périodes d’emploi de plus d’un an, ce n’est le cas que de 79 % du temps passé par les fils d’immigrés maghrébins. Il en est de même pour les femmes : les filles de la population majoritaire et les filles d’immigrés d’Europe du sud ont passé 80 % de leur temps dans des périodes d’emploi de plus d’un an depuis leur sortie de scolarité contre 67 % pour les filles d’origine maghrébine.

Si pour l’ensemble des descendants d’immigrés, les périodes de chômage, d’inactivité, d’alternance emploi/chômage correspondent à 13 % de leur temps depuis la fin des études, cette part est de 21 % pour les fils de pères immigrés nés au Maghreb, traduisant les difficultés propres de l’insertion sur le marché du travail des fils d’immigré maghrébins particulièrement touchés par le chômage, l’instabilité de leur emploi ou l’inactivité. Les fils d’immigrés maghrébins ont ainsi passé deux fois plus de temps au chômage et dans des situations professionnelles instables que les autres descendants d’immigrés. Comparativement, le temps passé en inactivité est plus fréquent pour les descendantes d’immigrés. Il concerne 16 % du temps écoulé depuis la fin de scolarité contre 13 % pour les femmes de la population majoritaire, soit trois fois plus environ que pour

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sous contrat.
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les hommes de la population majoritaire ou les fils d’immigrés. Le temps passé en inactivité est nettement plus fréquent pour les filles d’immigrés maghrébins (20 %) alors que le temps passé dans des périodes d’emploi de plus d’un an est plus faible (67 % contre 80 % pour la population majoritaire). »

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Une inégalité dans l’accès aux mesures d’aide à l’emploi. Une fois au chômage, il semble que les jeunes gens vus comme issus de l’immigration accèdent moins que les autres aux mesures d’aide à l’emploi, et à l’intérieur de celles-ci à certaines plus qu’à d’autres. Une exploitation de l’enquête du CEREQ sur le devenir des jeunes sortants de l’enseignement au niveau VI et V en 1989 montrait à cette époque que les jeunes vus comme maghrébins se retrouvaient plus souvent, de même que les flles en général, dans des dispositifs orientés vers l’emploi public (TUC, CES, SIVP), tandis que les jeunes gens originaires des pays européens sont davantage positionnés sur des contrats de qualification, dans le secteur privé. Plus récemment, il a été montré que les « Emplois jeunes » ont profité notamment aux jeunes femmes descendantes d’immigrés nord-africains, mais que du coup, leur expérience professionnelle se concentre là encore davantage dans le secteur public.

Y a-t-il un lien entre la tension sur le marché du travail et l’ampleur des discriminations ? Cette question est souvent l’objet d’une croyance, et c’est un argument fréquent de déni de la discrimination : l’idée que celle-ci pourrait se solder dans la baisse du chômage, et donc qu’au fond on peut traiter le problème seulement par les politiques classiques de l’emploi. Objectivement, on sait peu de choses sur cette question, et les rares travaux dont nous disposons montrent des efets contrastés. D’un côté, le taux de chômage des immigrés varie grosso modo de manière parallèle à celui des autres. L’observation des périodes dites de reprise économique, à la fin des années 1990, a montré par ailleurs que la discrimination ne diminue pas – si tant est qu’on puisse la mesurer. Il a aussi été constaté empiriquement que l’existence de marchés déficitaires de main d’oeuvre n’empêche pas que le recrutement de salariés ou de stagiaires et/ou que le traitement des personnes embauchées soient discriminatoires – dans des secteurs comme le bâtiment, les métiers de bouche, la restauration, pour ce qui a été observé dans les stages. On sait aussi que dans l’apprentissage, il arrive que les entreprises familiales ou artisanales qui envisagent de former un apprenti dans la perspective de « passer la main » ne trouvent pas de candidat conforme à leurs souhaits, parce qu’elles discriminent ceux jugés non conformes aux stéréotypes du métier ou à leur image d’un digne repreneur. Se grefe alors, à la dimension propre du travail, un enjeu de transmission patrimoniale qui peut faire ressortir des logiques racistes usuellement cantonnées à la sphère des alliances matrimoniales.

D’un autre côté, de rares travaux récents, menés dans des secteurs d’activité spécifiques comme la grande distribution, laissent au contraire entendre que, lorsque le degré de concurrence entre entreprises s’intensifie, la discrimination à l’encontre des candidats vus comme maghrébins peut diminuer (ce qui accréditerait une théorie selon laquelle la discrimination traduit d’abord les préférences des employeurs). Par contre, la discrimination de genre (qui, dans ce secteur, se fait plutôt à la faveur des femmes) est accentuée par l’accroissement de la concurrence – ce que l’auteure explique par la moindre exigence globale des femmes en matière de conditions de travail. A tout le moins, ce fonctionnement inversé laisse entendre que la discrimination a des ressorts multiples, que celles, ethnico-raciale et de genre ne fonctionnent pas nécessairement à l’identique46, et donc que le lien entre discriminations et pression du marché du travail n’est en rien mécanique. Enfin, un tel lien n’est pas univoque : rappelons qu’historiquement les salariés « immigrés » de l’industrie ont été les premiers à subir les licenciements lors de la crise du secteur.

La discrimination intervient aux différentes étapes du recrutement, mais elle s’avère particulièrement massive dans les phases antérieures à l’entretien, puisque « près des neuf dixièmes de la discrimination globale est enregistrée avant même que les employeurs ne se soient donné la peine de recevoir les deux testeurs en entrevue » (Cediey et alii,

46 La tentation de hiérarchiser les critères en testant lesquels sont les plus discriminants, ne nous apprend pas grand-chose et reste somme toute assez vain, pour des raisons méthodologiques. Outre que cela peut conduire, dans la traduction pratique, à une hiérarchisation des luttes (origine vs religion vs genre vs classe sociale, etc.), cela nous empêche de voir au contraire combien ces motifs sont articulés voire imbriqués. On ne saurait, donc, dans une stratégie d’action publique, chercher à dissocier ni à hiérarchiser cet enjeu ; tout invite, au contraire, à avoir une lecture attentive à la pluralité des configurations discriminatoires.

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2007, p.3)47. A contrario, l’étude du BIT montre que sur l’ensemble de la procédure de recrutement, très peu d’employeurs ont au fnal traité également les deux candidat.e.s (seulement 10 à 15 % des employeurs), quel que soit le domaine professionnel concerné… Plus globalement, à travers les diverses enquêtes par testing connues (à des fins scientifiques comme à usage de politique d’entreprise), ainsi qu’avec les analyses globales dont nous disposons sur le marché du travail, il apparaît que la discrimination est structurante des modes de recrutement, quasiment que quel que soit le secteur d’activité : informatique, grande distribution, industries, hôtellerie-restauration, services aux particuliers, tourisme, transports, administrations, bâtiment et travaux publics, santé, action sociale, etc. Cela ne signifie pas que la discrimination s’organise de la même manière et selon les mêmes logiques opératoires dans tous les secteurs. On sait au contraire que chaque secteur et/ou micro-système, parfois au sein d’un même établissement ou d’un même groupe, investit ses propres logiques et justifications dans la discrimination. Mais cela montre par contre clairement qu’il ne semble pas y avoir de secteur qui soit « protégé ». Ceci, n’en déplaise aux discours sur l’ancienneté et l’importance de la présence des immigrés dans certains secteurs (industrie, bâtiment…) ou malgré les discours sur l’idéologie professionnelle protectrice que l’on trouve dans d’autres secteurs (les métiers de relation sociale tels que l’éducation nationale, la santé, le social…), ou enfn malgré la transparence ou l’institutionnalisation des procédures de recrutement (comme le mettent en avant les fonctions publiques).

Les effets sur les stratégies d’accès à l’emploi. On sait que la discrimination a pour conséquence de contraindre les candidats à un emploi à développer une combativité accrue pour espérer l’obtenir, comme le montrent plusieurs travaux récents. Duguet et alii (2010) montrent qu’il faut au candidat au nom vu comme maghrébin envoyer 54 curriculum vitae (contre 19 pour le candidat au nom « français ») pour obtenir un entretien d’embauche. Cette tendance est confirmée par une autre étude concluant qu’un candidat vu comme étranger a environ 1,5 fois moins de réponses à ses CV que celui vu comme français (1/10 au lieu de 1/6). Les auteurs notent en outre « un favoritisme de genre de l’ordre de cinq points de pourcentage » au détriment des candidats vus comme masculins (Jacquemet et Edo, 2013, p.50). Ces variations dans les résultats portant sur l’ampleur du phénomène sont complexes à comprendre (efets de méthode, de terrain, de temporalité…?) mais elles convergent incontestablement pour démontrer l’existence d’une forte discrimination par préjugés s’exprimant dès la sélection sur CV.

Un autre des efets indirects de la discrimination aujourd’hui identifié est de contraindre les gens à privilégier certaines formes de recrutement ou certains canaux d’accès, dans lesquels ils escomptent subir moins de discrimination. A travers ce mécanisme secondaire de sélection – qui relève pour une part de l’incorporation des discriminations par les discriminés -, l’un des effets est l’ethnicisation du marché du travail. Cela se traduit par un double impact : d’une part, cela clive le marché entre les espaces et segments « accueillants » ou au contraire « fermés » à certaines populations. C’est donc la norme globale du marché du travail qui tend à être ethnicisée (i.e. la dimension ethnico-raciale devient globalement structurante). D’autre part, cela accentue l’identification ethnique (minoritaire) de certains segments, avec des logiques de « niches ethniques » (Bachiri, 2006), particulièrement pour certains groupes très disqualifiés sur le marché du travail (populations vues comme maghrébines, turques, roms, etc.). Les efets de cette ethnicisation structurelle peuvent être très durables, comme on le voit historiquement à propos des raisons qui ont conduit à la concentration de certains groupes (juifs, migrants d’Europe du Sud ou de l’Est du début du 20ème siècle) à investir plus particulièrement certains domaines d’activités, du fait des contraintes discriminatoires du marché (ou des interdictions institutionnelles concernant certains métiers) et en conséquence, en raison d’opportunités générées par des réseaux familiaux, amicaux ou ethniques.

Discrimination et racialisation dans le travail

La discrimination ne fonctionne pas seulement comme un empêchement à l’accès à l’emploi, et/ou comme un conditionnement des demandeurs d’emploi à limiter leurs aspirations ou à réorienter leurs stratégies. Elle ne se joue

47 On ne peut en déduire que les étapes ultérieures sont proportionnellement plus faciles à franchir. Il faut voir plus probablement dans ces résultats le fait que les logiques discriminatoires s’expriment avec intensité dès les premiers choix.

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pas qu’à la porte du marché du travail ni dans la structure globale de celui-ci, mais traverse également l’ordre « interne » du travail :

• Plus de travail temporaire et de contrats précaires. Les immigrés originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne connaissent plus souvent la précarité de l’emploi. Ils ont des contrats temporaires deux fois plus souvent que les originaires de la communauté européenne. En 2011, ce sont entre 19 % (Maghreb) et 21 % (Afrique subsaharienne) qui sont en CDD ou en intérim, contre 13% des non-immigrés. L’enquête du CEREQ dans la région PACA sur la discrimination dans l’accès à l’emploi des jeunes en BTS montre, elle, que la discrimination semble « se creuser à mesure que la « qualité » des contrats proposés s’améliore : la diférence de taux de succès [entre le candidat d’origine française et celui d’origine maghrébine] passant de 12,3 points (emplois à durée déterminée) à 21,4 points (CDI) » (Chaintreuil et alii, 2011).

• Une moindre amplitude des emplois occupés. La concentration dans certains secteurs est importante : entre 2009 et 2011, les immigrés représentent plus de 15% des efectifs dans onze métiers, avec une concentration maximale (environ 30%) dans quelques métiers subalternes et faiblement qualifiés : employés de maison, agent de gardiennage et de sécurité. On les retrouve par ailleurs fortement représentés (entre 15% et 20%) dans le gros œuvre du bâtiment (avec une hiérarchie entre les originaires de pays européens aux postes qualifiés et de maîtrise, et les originaires extra-européens), le textile, l’entretien, l’aide à domicile… Mais aussi l’hôtellerie-restauration – avec cette fois, une part non négligeable de l’encadrement et du patronat dans ce secteur. A défaut de parler de discrimination – parce qu’on n’a pas de vue un tant soit peu systématique des pratiques et processus de sélection -, les chercheurs évoquent plutôt ici une « ségrégation professionnelle ». Ils montrent un indice de ségrégation48 ethnique proche de celui de genre : « Sur la période 2009-2011 cet indice est de 26 % pour les hommes immigrés et de 30 % pour les femmes immigrées, ce qui signifie que 26% des hommes immigrés (respectivement 30 % des femmes immigrées) devraient changer de profession pour parvenir à une répartition professionnelle identique » à celle des hommes et femmes non-immigré.e.s (Minni et Okba, 2012). Pour les femmes originaires d’Afrique subsaharienne et du Maghreb, cet indice monte respectivement à 44 % et 38 %, indiquant une structure de répartition dans l’emploi encore plus fortement asymétrique.

• Des salaires tendanciellement plus faibles. L’enquête TéO montre que les immigrés et leurs descendants perçoivent en moyenne une rémunération horaire inférieure à celle de la population majoritaire. La prise en compte des caractéristiques individuelles des travailleurs indique que cela est aussi lié au fait que « leur profil de carrière a été plus plat ». Une fois pris en compte ces efets de structure, les écarts de rémunération sont certes réduits (notamment pour les femmes). Mais, même à emploi comparable, un diférentiel de salaire de l’ordre de 8% demeure entre les hommes immigrés d’Algérie et ceux de la population majoritaire, et dans une moindre mesure entre ces derniers et les hommes natifs de DOM, d’Afrique subsaharienne et ou d’Asie du Sud-Est.

• Des travaux dégradants et des conditions de travail dégradées. Les travailleurs vus comme immigrés ou issus de l’immigration sont plus que d’autres exposés aux travaux pénibles ou risqués, et peuvent connaître en outre des inégalités de traitement dans l’accès aux ressources de protection physiques. L’enquête dans le secteur du bâtiment de Nicolas Jounin (2008) montre que cela résulte d’une combinaison d’efet de discriminations légales (les politiques migratoires ayant pour efet de précariser la population « sans-papiers » classiquement employée dans ce secteur), de discriminations systémiques (produisant la hiérarchisation ethnique des populations selon les tâches), et de discriminations racistes ouvertes.

• Le vécu de la racialisation et de l’humiliation. Le lien entre précarisation du travail et discrimination se donne aussi à voir dans l’expérience des cadres, étudiée par Emmanuelle Santelli (2006) : alors que le profil des cadres descendants d’immigrés maghrébins est proche à celui de leurs homologues d’origine française – milieu socio-professionnel de naissance, niveau de diplôme, etc. -, ils connaissent un chômage plus élevé, des emplois plus précaires, et donc une déqualification importante. Cette déqualification est ce qui constitue l’expérience

48 Cet indice synthétique compare la répartition des professions entre les immigrés et les non immigrés.
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commune à ce groupe, par ailleurs normalement divers. Elle se traduit en pratique par le fait qu’ils ont quasiment tous « subi de multiples expressions du racisme, parfois très insidieuses » – vécues de manière non homogène.

La mission de trop… ou la révolte discrète de Kouider (Eckert, 2011)

« Kouider (…) a fréquenté le lycée professionnel : sorti de sa formation un BEP en poche, il a cherché un emploi et, comme ses camarades, il a eu recours à l’intérim. Il a enchaîné les missions au hasard des opportunités, il a même obtenu, à un moment donné, un emploi plus long, en contrat à durée déterminée malheureusement, avant de reprendre ses missions d’intérim. Et puis, il y a eu cette nouvelle proposition de mission, la mission de trop : il s’agissait d’efectuer un travail tout à la fois pénible et dangereux, dans un lieu relativement éloigné de l’endroit où Kouider habitait alors, qui plus est dans des conditions de sécurité et d’hygiène déplorables. Voici comment il énonce les choses : « Si c’est pour terminer à laver des cuves de l’autre côté de la France, en plus à l’acide, ce n’est pas la peine. C’était la mission qu’ils m’auraient donnée : on m’a appelé pour faire une mission, c’était aller laver des cuves à l’acide. »

Laver des cuves à l’acide… La distance à parcourir pour se rendre sur le lieu de la mission n’est pas celle que Kouider laisse d’abord entendre : une quarantaine de kilomètres seulement, précise-t-il un peu plus loin. Mais la tâche comporte des risques importants et il n’y a pas de possibilité de prendre une douche sur place après le travail. Soudain, les quarante kilomètres paraissent « de l’autre côté de la France », à tel point que Kouider refuse la mission. Et qu’il décide d’arrêter de courir d’intérim en intérim : « Donc peut-être que le rebeu de service, il a envie d’y aller, c’est possible aussi. C’est possible aussi ! Mais… […] Laver des cuves qui sortent de l’acide, ça veut dire qu’on se grate de partout, encore 40 km à faire pour rentrer chez soi pour se laver, parce que ça grate. Oui c’est… Je n’y suis pas resté, j’ai dit : “Franchement, vous vous foutez de ma gueule, là ? 40 km pour aller faire ça, il n’y a personne qui habite à côté qui a envie de le faire ?” »

Or la question “il n’y a personne qui habite à côté qui a envie de le faire ?” est très exactement celle qui se pose. Pas seulement dans les circonstances concrètes dans lesquelles Kouider la formule mais, plus largement, dans l’espace de la division sociale du travail. » Les travaux proposés dans le cadre des missions d’intérim semblent bien souvent être ceux que « personne » ne veut faire, et c’est pourquoi ils sont confiés à ceux qui n’ont d’autre choix que de les accepter à force d’être écartés des autres emplois, notamment pour cause de discrimination.

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 Ce que nous savons des processus de ségrégation L’effet négatif des étiquetes

La problématique des efets d’étiquette n’est pas seulement territoriale. Nous avons déjà évoqué la tendance récurrente des institutions à catégoriser ethniquement les publics, en les assignant de fait à une place et un rôle spécifiques et limités, selon une logique qui apparaît rétrospectivement ségrégative. Cet efet négatif n’est pas nécessairement voulu, et il est souvent un effet pervers des politiques publiques. C’est plus largement le résultat d’une tension entre une stratégie de reconnaissance de besoins singuliers ou d’inégalités incrustées, une stratégie de banalisation au motif d’un traitement identique, et une stratégie de gestion qui durcit les catégories pour organiser l’action à l’égard des populations ou des territoires. Néanmoins, cette question doit être sérieusement travaillée, et les efets des politiques toujours évalués. Car, comme cela a été rappelé récemment dans le séminaire national des CASNAV, « la catégorisation et la nomination des [publics] a des effets sur leurs potentialités inclusives/ ségrégatives » (Goï, 2013), dans la mesure même où les dénominations distinguent puis homogénéisent des groupes sur la base d’une altérisation (opposition nous/eux, normal/diférent…). Tout étiquetage contribue donc par lui-même à produire des « diférences » qui sont imputées aux publics (ou aux territoires) et qui les contraignent en les assignant toujours en partie à devoir représenter une forme d’anormalité du point de vue de l’institution. On sait par expérience que la tendance lourde est un durcissement de ces catégories, à travers lesquelles les institutions et dispositifs transforment des territoires d’actions en « zones sensibles », ou des problèmes publics (gérer le plurilinguisme, réduire les inégalités, etc.) en publics-problèmes (les enfants allophones, les populations issues de l’immigration, etc.).

La ségrégation socio-ethnique à l’école

La part scolaire de la ségrégation. On connaît, depuis les années 1980, le phénomène « d’évitement » de certains Rapport du groupe « Mobilités sociales » Page 42/93

établissements par les catégories de familles qui en ont les moyens – les classes moyennes et/ou supérieures. On sait aujourd’hui que l’image ethnique des établissements, du fait de la concentration de populations vues comme étrangères, joue un rôle important dans les décisions de contournement de la carte scolaire. Ces stratégies ne sont pas l’apanage des familles « françaises » puisque les « familles musulmanes » ou « turques » qui le peuvent font comme les autres, recherchant elles-aussi une « atmosphère morale » (Mazella, 1997) pour l’éducation de leurs enfants, quitte à s’adresser à l’enseignement privé catholique. Quoi qu’il en soit, ces stratégies ont pour contrepartie la captivité des familles de milieu populaire, dont une majeure partie de celles « d’origine étrangère », et la concentration d’élèves plus en difculté, dans des établissements fnalement vus et vécus comme des « ghetos ». Cette situation produit un phénomène de polarisation entre les territoires, qui est à la fois propre à l’espace scolaire, mais s’appuie également sur la ségrégation urbaine. A l’échelle nationale apparaît ainsi une forte « fragmentation de l’espace éducatif » (Broccholichi et alii, 2006). Une étude menée sur l’ensemble de l’académie de Bordeaux a montré que la ségrégation ethnique à l’école est au fnal plus forte que celle, territoriale. Les territoires éducatifs ainsi différenciés se spécialisent en fonction des clientèles, et de nouvelles hiérarchies entre établissements se manifestent par une ségrégation interne s’appuyant sur l’orientation des élèves, la constitution des classes, ou encore l’usage des options. Ceci dit, pour comprendre les processus de ségrégation socio-ethniques, il est nécessaire de prendre en compte non seulement la demande sociale et l’usage de l’ofre de formation, mais aussi les stratégies de l’institution et de ses agents.

Les dimensions institutionnelles de la ségrégation scolaire. L’évitement des établissements vus comme des « ghettos d’immigrés » peut aussi être aussi le fait de certains enseignants, certaines enquêtes montrant que cela est lié entre autres choses à des représentations classistes et racistes du public. Par ailleurs, les mécanismes de ségrégation s’inscrivent dans un système scolaire qui est globalement organisé en « espaces locaux de concurrence » (Broccholichi, 1995), avec de fortes inégalités de statuts des établissements, de réputations, etc. Cete pression contraint les établissements à travailler leur atractivité et leur image. Parmi les ressorts utilisés pour ce faire, l’image ethnique des publics peut être utilisée comme un critère décisif de communication, eu égard aux préjugés tels que la peur de la « baisse de niveau ». Dans ce contexte, les choix de composition des classes, tenant compte du sexe et de « l’origine », peuvent retraduire ces enjeux sous la forme d’une « ségrégation interne » : on met à part les élèves les plus disqualifés, pour donner un gage aux familles tentées de « fuir ». L’accroissement de la concurrence tend à renforcer ces logiques d’évitement des collèges stigmatisés, comme le montrent les premières évaluations de l’assouplissement de la carte scolaire49. Selon l’Inspection générale de l’Education nationale (2013), la réforme a d’ailleurs « install[é] dans une partie de la population une défiance plus forte vis-à-vis de la sectorisation, défiance qui a atteint un point de non-retour ». L’analyse des ségrégations et concurrences entre établissements ne doit donc pas faire oublier la responsabilité politique et administrative dans la production de ségrégation. Les procédures de gestion des dérogations à la carte scolaire, par exemple, sont loin d’être transparentes et toutes les familles ne sont pas à égalité devant ces démarches. En outre, les décisions des administrations académiques contribuent à la ségrégation tant par un « laisser-faire » (Laforgue, 2005) qu’en raison de logiques de gestion des structures et des personnels visant à limiter les coûts ou « sauver » des lycées, etc. Une part importante de ces mécanismes reste cependant dans l’ombre : on en sait peu sur le jeu des catégories ethniques dans la fabrication des zonages, hormis bien entendu les présupposés à l’origine des ZEP, et hormis quelques études locales ou rapports publics montrant qu’il existe des stratégies visant à éviter de « “mélanger” les populations » (Dhume et alii 2000).

Les effets de la ségrégation sur l’échec scolaire. Le fait d’être scolarisé dans un établissement très ségrégué joue comme un facteur pénalisant, quelle que soit l’origine des élèves. Le lien entre ségrégation et échec/réussite n’est cependant pas simple ni immédiat, car ce n’est pas le territoire en soi qui agit, mais la répartition inégale et corrélative des difcultés et des ressources (enseignants peu expérimentés, moindre moyens, etc.). La ségrégation joue plutôt, à

49 Les auteurs suggèrent par ailleurs que la régulation par le système informatisé Afelnet peut avoir un efet positif en régulant les dérogations accordées. Plus largement, si ces mécanismes de régulation du choix ont une pertinence et une efcacité, ils ne sufsent pas à empêcher l’émergence d’une forme de stratification entre établissements (Fack et Grenet, 2012, p.181)

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l’instar d’autres mécanismes, comme une « perturbation des conditions d’apprentissage » (Broccholichi et alii, 2006). Les élèves perçoivent cette concentration ethnique dans les établissements qu’ils ont fréquentés, et l’expriment souvent à travers un fort sentiment d’injustice, qui peut se maintenir quelle que soit au final leur trajectoire.

Comme on sait par ailleurs, et de longue date, que la concentration de populations en difculté tend à produire des efets négatifs sur leur investissement dans le travail scolaire, et au final sur leur réussite, on peut comprendre la ségré- gation scolaire comme une forme radicalisée de la difculté générale de l’école à travailler à partir de l’hétérogénéité scolaire des publics. De manière apparemment paradoxale, cela peut coïncider au collège avec des orientations favorisant le passage des élèves « d’origine étrangère » dans les classes générales supérieures. Cela semble lié à une sélectivité et une exigence scolaire souvent moindre dans les établissements stigmatisés, qui peut se payer d’un échec ultérieur. Un enjeu majeur de la ségrégation est donc lié à la qualité de l’ofre, et pour cela aussi aux moyens (humains, temps, formation, pédagogie, etc.) donnés aux professionnels pour pouvoir assurer leur travail – de ce point de vue, la politique des ZEP n’a clairement pas répondu à l’idéal annoncé de « donner plus à ceux qui ont plus besoin ». C’est de fait souvent l’inverse, comme d’ailleurs dans tout le système scolaire, ainsi que l’a montré la Cour des comptes 50. Autrement dit, la question de la ségrégation ne fait bien souvent qu’enregistrer dans les territoires les répercussions inégalitaires de pratiques et de formes de traitement – professionnels, institutionnels, politiques.

Le lien entre ségrégation urbaine et discrimination à l’emploi

Comme pour l’école, on sait globalement que la ségrégation ethnique est plus forte que la ségrégation sociale, et ce phénomène est « ancien, stable et systématique » (Préteceille, 2006) – du moins dans l’espace francilien, où se concentrent la majorité des recherches, et que l’on sait avoir pour particularité une ségrégation plus intense que d’autres aires urbaines étudiées (Bordeaux, Lyon…). La ségrégation a globalement un efet pénalisant sur l’accès à l’emploi pour les couches populaires (il n’en va pas de même pour les élites, qui vivent pourtant de manière souvent plus ségrégées encore). La ségrégation rajoute aux processus de discrimination ethnico-raciales une image stigmatisante du territoire de résidence : l’image de la banlieue comme problème se transfère dans les stéréotypes des employeurs, qui prennent en compte dans leur sélection les signaux assimilés à ces territoires. On a dit, déjà, que l’expérimentation du CV anonyme enregistre une telle méfiance et montre que l’efacement formel de l’adresse ne suft pas à contrecarrer cet efet, voire l’accentue. Les conséquences sont, de même que pour la discrimination, enregistrées dans la question du chômage.

Diverses études de la DARES, de l’IGAS (2012), ou de l’Observatoire des zones urbaines sensibles (2012), montrent que les personnes résidant en zones urbaines sensibles (ZUS) connaissent plus souvent le chômage et sont souvent confrontées à d’importantes difcultés d’entrée sur le marché du travail. Au milieu des années 2000, les actifs en ZUS étaient deux fois plus au chômage sur ceux hors ZUS (19% contre 8 %). Au sein de ces zones, les personnes « immigrées » sont particulièrement vulnérables : environ 24 % des actifs étaient au chômage à cette époque. Là encore, si ces personnes ont en moyenne des diplômes plus faibles et qu’elles s’inscrivent dans les catégories socio- professionnelles les plus exposées au chômage, ces éléments sont insufsants pour expliquer leur exposition si forte au chômage. La discrimination semble donc efective et plutôt massive.

50 http://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et-secondaire/article/2012/04/12/ecole-les-moyens-attribues-renforcent-les-inegalites_1684433 _1473688.html

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 Expérience de la discrimination et rapport à la société française L’expertise de la discrimination vécue : un silence imposé

La discrimination et la ségrégation vécues forment, malgré tout, un savoir social : un savoir sur la société telle qu’elle fonctionne, un savoir sur la réalité et la violence des rapports sociaux, sur l’ordre réel et du moins la part d’ombre de l’école ou du monde du travail… Les personnes qui vivent la discrimination, ceux surtout qui conscientisent cette expérience, ont de ce point de vue une expertise sociologique très conséquente de notre société. Mais ce savoir n’est ni reconnu, ni entendu, ni légitimé. En conséquence, la plupart se taisent. Et ils se taisent d’autant plus que parler, dénoncer ou revendiquer est risqué : on s’expose aux accusations de « victimisation », de « communautarisme », etc., qui sont des manières de faire taire et de délégitimer la parole et l’expertise des premiers concernés. Contrairement aux accusations de « victimisation », la parole publique sur cete expérience est rare, et les personnes qui la subissent ne souhaitent généralement pas endosser l’image du « discriminé » (d’où, par exemple, la faiblesse des plaintes judiciaires). Ce vécu est le plus souvent tu, incorporé, et retraduit, parmi d’autres expériences, dans des attudes dont le lien avec la discrimination n’est souvent pas immédiat ni visible au premier abord. Ce d’autant plus que les formes de ce réinvestissement sont apparemment contradictoires, selon que la violence vécue est retournée contre soi ou tournée vers l’extérieur : dépression ou agressivité, démobilisation ou surmobilisation, enfermement ou surmobilité, etc. Le silence et l’autocensure s’observent également dans le travail, et ils touchent, au-delà des personnes discriminées, tous ceux qui assistent à ces situations. Le baromètre établi en 2012 par le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail a montré, dans la fonction publique, que « 30 % des agents qui ont été témoins d’une discrimination n’en ont rien dit, ce qui ateste un niveau d’autocensure élevé » (Touret, 2012, p.16).

Une grande partie du savoir de la discrimination et de la racialisation échappe à ceux qui la produisent, et plus largement aux membres du groupe majoritaire, qui bien souvent ne mesurent pas la violence et les effets de la discrimination (et donc, ne mesurent pas la portée de leurs actes). Des intermédiaires à l’emploi ou des éducateurs partagent parfois une part de ce savoir, et des savoir-faire qui vont avec (savoir voir et entendre la discrimination et la racialisation, savoir les décoder, connaître les mécanismes subtils par lesquels cela passe, savoir entendre et écouter celui qui a été exposé à cette violence, etc.). Mais on sait que ces compétences sociales et professionnelles sont loin d’être partagées, car les formations professionnelles (des enseignants, des intermédiaires à l’emploi, des managers…) ne prennent le plus souvent pas cela en compte. Les intermédiaires connaissent en général une part de la discrimination, soit parce qu’ils la voient et sont pris eux-aussi à leur manière dans ces mécanismes, soit parce qu’ils ont développé avec leurs publics une écoute et une empathie qui en fait des « initiés ». Les auditions du groupe « Mobilités sociales » témoignent de la manière dont certains collectifs de professionnels ont su construire cette expertise, cette écoute et des savoir-faire face à la discrimination. Mais là aussi, le déficit de reconnaissance de ces savoirs et savoir-faire professionnels condamne bien souvent les agents à « parler dans le vide »… ou à se taire.

Ce silence imposé est l’un des efets de la discrimination elle-même : un ordre produit en silence et imposant le silence. Le plus souvent, d’ailleurs, c’est comme cela que la discrimination se manifeste et se produit : par un silence, par un implicite, par une connivence (« vous m’avez compris… » ou « on se comprend ! »). Dans les organisations, on est gêné d’en parler – les syndicats, les professionnels, etc., redoublent de prudence, au risque d’éluder ou de minimiser. Les témoignages et analyses des personnes discriminées et des intermédiaires montrent bien que ce silence imposé, avec souvent un sentiment de complicité, structure le phénomène et détermine le statut de (non-)problème de la discrimination dans l’espace public. Les travaux de recherche portant sur le rapport à l’expérience de discrimination proposent des interprétations diverses à ce silence, qui toutes sont en partie valables : un sentiment de honte, un repli tactique, une auto-conviction qu’il n’y a pas matière à problème, etc. La reconnaissance ofcielle de la discrimination par l’Etat, en 1998, bien qu’elle se soit faite sous le signe d’une rupture du « tabou » (c’était le discours de M. Aubry lors du Grenelle de 1999), n’en a pas fni avec le silence et l’illégitimation de la parole.

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L’expérience de la discrimination et de la racialisation à l’école et dans l’emploi

Tous les travaux sur le vécu des discriminations montrent une grande diversité dans les manières de les ressentir et d’y faire face. Ces expériences ne se traduisent pas de manière univoque, et l’intensité de l’exposition à celles-ci ne s’exprime souvent pas par une parole publique audible sur ce sujet. Tous les travaux convergent également pour attester du fait que, du point de vue de celui qui est exposé à la discrimination, il n’y a pas vraiment de frontière nette entre tous ces phénomènes que les sciences sociales (ou le droit) distinguent : discrimination, racialisation, ségrégation, injustices, etc. Le vécu de ces situations est généralement redoublé par le fait que celles-ci ne sont pratiquement jamais régulées et arrêtées, car elles ne sont pas vues, pas nommées, pas reconnues, pas sanctionnées… Pour ceux qui la conscientisent, cete expérience se caractérise donc par sa répétition . Le fait qu’elle soit en outre vécue dans tous les espaces sociaux (école, emploi, logement, rapports avec la police ou avec les administrations, etc.), peut en faire l’expérience d’une continuité radicale : on se voit alors comme membre d’une minorité toujours susceptible d’être stigmatisé ou discriminé. D’autre part, l’absence de qualification des situations produit une incertitude majeure qui fait que les personnes doutent sans arrêt de ce qu’elles ont vécu, mais qu’elles préfèrent se taire et « laisser glisser » plutôt que de risquer de subir l’humiliation du déni (et donc de la « complicité » de tous face à cette situation).

L’hétérogénéité des vécus et des expériences résulte de divers éléments combinés. Pour ce que nous en savons, cela dépend entre autres : des conditions de la « rencontre » avec la discrimination (plus ou moins brutale et intense), du contexte de socialisation (la catégorie sociale des personnes concernées, le type de soutien familles ou des collectifs de pairs…), du degré de reconstruction politique de ce vécu (la conscientisation variable de l’expérience et des stratégies), et de reconstruction identitaire face aux épreuves sociales (revendication ou non des origines, rapport à soi face à la scolarité ou à la recherche d’emploi, etc.), de la temporalité de cette expérience et de la possibilité de s’en sortir malgré tout… La perception de la discrimination varie aussi selon l’âge et les générations : ce sont les jeunes (moins de 40 ans) qui y développent la sensibilité la plus aiguë, et ce sont aussi les générations post-immigration qui le vivent le plus intensément, dans la mesure où l’atente d’une reconnaissance comme des égaux (qui n’était pas nécessairement le cas des générations immigrées) rend plus insupportable le fait que cela ne soit pas le cas. Ces diférents paramètres produisent des rapports très divers à cette question : d’une expérience « totale » (on voit de la discrimination partout) à la minimisation ; d’un surinvestissement du discours intégrationniste ou entrepreneurial (« si on a la volonté de réussir, on s’en sort… ») à un investissement politique militant de cette question, etc.

A l’école. Dans les enquêtes, l’école est souvent le lieu par lequel les élèves se découvrent comme minorisés : on ne naît pas « Noir » ou « Maghrébin », etc., mais on le devient, et souvent à travers l’expérience des rapports sociaux à l’école. Le regard parfois ethnicisant et disqualifiant de l’école est très fortement ressenti par les élèves, qui expriment un sentiment d’injustice de manière plus ou moins forte selon « l’origine » et la conscience d’être minorisé. Tant l’orientation dans l’enseignement professionnel que le vécu disciplinaire, ou encore les sorties sans diplôme du système scolaire, s’accompagnent souvent d’un sentiment de racisme et de discrimination. Celui-ci infuence en retour le rapport des élèves à l’école et peut favoriser une identifcation à l’échec, ou à l’inverse une combativité accrue. Pour certains, une « identité oppositionnelle » (Akers-Porrini et Zirot, 1992) peut se construire à partir de telles expériences scolaires, s’appuyant éventuellement sur l’héritage des rapports coloniaux. Cela a pour conséquence d’accroître les identifications ethniques ou religieuses : la réinvention et l’investissement « d’origines », ou le retournement du stigmate, semble ainsi ofrir un recours possible pour faire face à la contradiction entre une position scolaire déclassée et une ambition sociale fondée sur une soif de reconnaissance.

Dans l’emploi. L’expérience répétée des discriminations conduit fréquemment à ce que ses efets soient anticipés : la discrimination est incorporée, et peut donner lieu à des réorientations professionnelles, à des mobilités géographiques diférentielles, des stratégies diférentes de recherche d’emploi, etc. On observe par exemple un rétrécissement du marché du travail utilisé, « pour se limiter aux entreprises susceptibles d’être favorables à l’embauche des immigrés ou des personnes d’origine étrangère » (Viprey, 1995) : secteurs de l’animation, niches ethniques, etc. Ce qui a pour

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contrepartie un renforcement de l’ethnicisation et la segmentation du marché du travail. Le découragement ou la peur d’essuyer un énième refus peuvent également engendrer des stratégies d’évitement avec le monde du travail, et les intermédiaires à l’emploi mesurent souvent combien la confrontation à la discrimination produit une perte de confance en soi qui se retraduit sur de la démobilisation face à l’insertion, si ce n’est des « parcours bloqués ». La stigmatisation et la discrimination ont également un efet performatif : « à force d’échecs et d’expériences malheureuses, les victimes de discrimination intériorisent le stigmate qu’on fait porter à leur origine, au point qu’ils multiplient les défauts de présentation au moment d’un entretien d’embauche, ou au cours d’un stage » (Bataille et Schif, 1997). Souvent aussi, pour trouver un emploi, les personnes discriminées s’auto-censurent, réduisent leurs ambitions et se plient aux exigences les plus improbables pour avoir leur place dans le monde du travail. Ou à l’inverse, elles maintiennent leurs ambitions mais le paient d’une recherche de surqualification. Tout cela se traduit, au plan économique, par de la déqualifcation professionnelle et la baisse de rendement des diplômes.

Enfin, notons que la discrimination a des efets opposés sur la mobilité (géographique, professionnelle et sociale). Pour les uns, la mobilité est investie comme un retrait : elle se traduit par un renfermement et/ou la recherche des solutions de proximité géographiques ou de réseaux de connaissance, afn de réduire le risque d’exposition à la violence. On observe déjà cela dans les stratégies de formation ou de recherche de stage. Pour d’autres, à l’inverse, la mobilité est investie comme une forme de résistance par l’échappatoire (géographique ou sociale) : on observe par exemple des « carrières de mobilité hallucinante, dans des allers-retours permanents entre candidature pour une formation, un stage ou un emploi, refus d’embauche, associés au réaménagement incessant de leurs parcours, de leurs projets » (Dhume et alii, 2000). Parfois aussi il s’agit d’une mobilité internationale, fondée d’une part sur l’espoir de vivre moins de discrimination ailleurs, et d’autre part sur l’investissement singulier de certaines compétences (linguistiques, de combativité…). Pour ces derniers, la discrimination vécue peut être reconvertie dans une logique entrepreneuriale, qui s’accompagne d’un discours du « self-made man ». La création d’entreprise prend place ici, comme une stratégie d’adaptation. Par défaut de trouver du travail, ou d’en trouver dans des conditions normales, l’entrepreneuriat représente l’espoir de définir soi-même les conditions de travail – ce qui peut se retrouver ultérieurement, dans un entrepreneuriat plus attentif au sort des personnes vues comme issues de l’immigration, voire par la recherche spécifique de niches ethniques.

Des effets sur les professionnels : contradictions, souffrance professionnelle et coproduction

La discrimination, entre routine de travail et sélection active. La discrimination ne peut être lue uniquement sous l’angle des efets sur les chercheurs d’emploi. Il est nécessaire de la comprendre également comme une manière de travailler, pour les enseignants, les recruteurs, pour les intermédiaires, etc. On sait que dans grand nombre de cas, la discrimination n’est pas une intention spécifque : si la discrimination raciste et intentionnelle existe bien entendu, on ne discrimine pas le plus souvent pour cete raison, mais d’abord pour se « simplifer le travail ». La psychosociologie a montré que la discrimination sur la base de stéréotypes a pour ressort une catégorisation du monde visant à le simplifier : l’imputation aux personnes d’un groupe d’appartenance à qui l’on attribue des qualités supposées spécifiques vaut simplification du travail de sélection. C’est le premier niveau du préjugé (un jugement par avance).

Ceci dit, les stéréotypes et préjugés ont pour efet de justifier de traiter autrement, en adaptant ses pratiques à la projection que l’on fait sur ses interlocuteurs potentiels. Une enquête par testing réalisée pour l’entreprise d’intérim Adia a ainsi montré des modes et pratiques de recrutements qui changent, selon la valeur sociale imputée a priori aux candidats par les recruteurs (selon l’origine, le sexe le handicap, l’apparence physique…) : « les contacts téléphoniques positifs ne sont pas similaires : les employeurs cherchent à capter les candidats atractifs par des réponses rapides. Ils vendent l’emploi et l’entreprise, retéléphonent jusqu’à 4 fois (…) Les candidats moins atractifs suscitent moins de précipitation, plutôt des compléments d’information sur la candidature, une demande de RDV moins urgente et pas de coup de fls répétés » (Amadieu, 2004).

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Discrimination et souffrance professionnelle. Les agents du service public et les intermédiaires de l’emploi sont bien souvent en situation de devoir gérer des logiques discriminatoires. Et ils sont très mal armés face à cela : peu formés, peu légitimés pour le faire, etc. Ce d’autant moins que les institutions et organisations sont productrices d’injonctions contradictoires, et sont souvent faiblement régulées (on enterre les problèmes et les confits plus qu’on ne cherche à les résoudre). Se rajoute à cela une intense pression productiviste : évaluations incessantes, obsession « des chifres », réduction des moyens humains et matériels, nouvelles formes de contrôle du travail, absence de droit à l’erreur, mise en concurrence des travailleurs et des établissements, réformes incessantes (des organisations, des programmes scolaires, etc.)… Tout cela pousse les professionnels à bricoler des arrangements qui ne les satisfont pas, voire qu’ils savent parfois être illégaux ou du moins illégitimes et injustes. Cette tension est accentuée, dans le contexte actuel, par une autorisation directe ou indirecte de la parole et de la pensée nationalistes et racistes : l’instrumentalisation des questions de laïcité, de religion, d’identité nationale, etc., ont pour efet de rendre plus légitimes les logiques de racialisation et d’altérisation au sein des institutions publiques et privées

La coproduction de la discrimination. La conscience de ces contradictions est douloureuse. On sait que les agents metent en place des mécanismes de défense face à la culpabilité : des stratégies de dénégation des problèmes, qui permetent de conserver un discours de protection de l’institution et de son imaginaire, en minorant ou en déniant la réalité. L’expérience de l’action publique que nous avons depuis une quinzaine d’années connaît bien ces mécanismes, qui commencent par ailleurs à être analysés par la recherche. On sait que la croyance antiraciste ne protège pas les agents de partager les stéréotypes (et parfois les préjugés) en cours dans la société et dans les institutions. Elle ne les protège pas plus de produire et coproduire des discriminations. Les professionnels en situation intermédiaire – c’est-à-dire qui font l’interface entre plusieurs autres acteurs, plusieurs logiques, plusieurs normes… – peuvent être tentés de reporter les contradictions vécues sur les publics ou les niveaux subalternes. Dans les contextes de travail caractérisés par de fortes pressions productivistes et par des injonctions contradictoires, le désarroi des professionnels se retourne fréquemment contre les publics. Et ce d’autant plus aisément que les stéréotypes et les logiques de stigmatisation des publics véhiculés par les institutions sont toujours présents et disponibles dans les contextes de travail. La discrimination est ainsi souvent « coproduite » (Noël, 1999), c’est-à-dire qu’elle est en partie prise en charge et réalisée par les intermédiaires pour le compte d’autrui. Par exemple, en stage ou dans l’insertion, les enseignants ou les acteurs de l’insertion peuvent trier les élèves selon les demandes discriminatoires, avec souvent un sentiment de bienveillance (protéger les jeunes du racisme) ; ou encore, dans l’orientation scolaire, les conseillers d’orientation-psychologues peuvent couvrir des « orientations forcées » de certains élèves vers des segments disqualifiés (souvent ceux qui sont peu soutenus par leurs familles) pour ne pas se mettre en porte-à-faux avec les chefs d’établissements et les équipes…

Cette situation, dans lesquels les professionnels contribuent à produire les discriminations tout en les cachant, est une expérience douloureuse. Les professionnels se sentent contraints de « faire comme si la discrimination ethnique n’avait pas de conséquences, comme si l’humiliation ne se transmetait pas (…) et comme si elle ne se reproduisait pas dans les rapports sociaux souvent comme fondement même du lien à l’autre (…), comme si la violence scolaire, les difcultés et l’échec scolaire, l’orientation en surnombre de certains vers des flières professionnelles trouvaient leurs origines dans l’élève et sa famille et n’étaient pas produites en articulation avec une violence structurale et une pratique éducative indiférente aux diférences. » (Franchi, 2004)

Le rapport des populations minorisées à la société française

On sait que le fait de vivre en France crée un sentiment d’appartenance à ce pays, et une identifcation qui est vécue de manière d’autant plus « évidente » que la durée de vie y est longue. Certes, cette identification est plus ou moins forte selon son histoire, son éducation, ses références, son milieu social, etc. Cela change aussi selon l’origine migratoire : non pas comme on le croit souvent parce que certains groupes seraient en soi plus « culturellement distants », mais du fait de liens historiques très variables avec le pays « d’accueil ». Par exemple, les pays ex-colonisés

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ont une histoire commune avec la France, ce qui se traduit par exemple dans une difusion souvent plus importante de la langue et de références françaises. Sans perturbations particulières, l’identifcation des individus au lieu et à la collectivité où ils vivent se fait de manière non problématique en quelques générations. N’en déplaisent aux discours sur la «crise de l’intégration», la simple socialisation commune à l’école demeure un vecteur puissant de l’identification à la collectivité où l’on vit (ce n’est pas d’abord l’exposition aux discours « républicains », mais l’expérience commune qui agit ainsi)… Si ce n’est que l’école est aussi le lieu où l’on apprend et/ou découvre l’altérisation, la racialisation, la discrimination.

Cependant, on sait que cette identification qui se fait comme « naturellement » sur le long terme est un processus non-linéaire et complexe. Si le sentiment d’identifcation change souvent d’une génération à l’autre, chaque génération peut passer, de façon plus ou moins intense et visible, par des étapes dans lesquelles on remobilise des références à des « origines » pour exprimer sa singularité. En règle générale, cela n’est pas en soi un obstacle à la participation nationale. C’est souvent au contraire une ressource intermédiaire : les groupes « d’origine », lorsqu’ils sont constitués, peuvent servir de réseaux pour faciliter l’accès à l’emploi, par exemple.

Aucun pré-requis concernant ce processus d’identification à un « Nous » n’est donc simplement formulable. L’accès à des ressources et repères collectifs (économiques, organisationnels, symboliques, normatifs, linguistiques, etc.) permet aux individus de se sentir plus facilement à l’aise et bien là où ils vivent, ce qui est important mais non sufsant. Plus largement, on sait qu’il y a une pluralité des modes d’accès, des formes d’identifcation, des formes de participation à la société dans laquelle on vit. Cete pluralité est souvent méconnue, parce que le discours national valorise certaines formes de participation au détriment d’autres. Or, les formes les plus valorisées par le discours des institutions et de l’Etat ne correspondent pas nécessairement à ce qui apparaît important aux personnes qui vivent ces processus pour se sentir adhérer pleinement à la société française51. La mésentente autour des Marches pour l’égalité et contre le racisme le montre bien : la reconnaissance comme des égaux est cruciale.

Autrement dit, et ce que la recherche sait de longue date, c’est que l’identification « naturelle » à la communauté où l’on vit est perturbée par des mécanismes d’altérisation, qui fabriquent de la distance là où il y a avec le temps de plus en plus de ressemblance et de proximité. La récente enquête TéO le montre : « pour les immigrés, être un homme, français, détenteur d’un diplôme professionnel, résidant depuis plus de quinze ans en France et ne pas avoir fait l’expérience des discriminations augmentent la probabilité de se sentir français. Pour les descendants, la probabilité de se sentir français est signifcativement plus élevée chez les moins de 35 ans, les actifs occupés, les diplômés du supérieur, ceux qui n’ont pas fait l’expérience de discriminations et surtout ceux qui ont un parent français. Le statut d’emploi (être au chômage, inactif ou actif occupé) et la catégorie socioprofessionnelle n’ont pas d’infuence sur le sentiment national » (Beauchemin et alii, 2010, p.122).

Si des caractéristiques sociales (âge, position socioprofessionnelle…) influent sur ce sentiment, le plus déterminant dans la désidentification à la « nation » n’est pas l’expérience du chômage en soi – on peut penser que le chômage agit comme une désafliation, celle-ci peut être néanmoins vécue comme une expérience commune à beaucoup de Français. C’est l’expérience de la discrimination et de la racialisation qui fabrique de la désidentifcation, précisément car celle-ci fonctionne comme un refus de reconnaissance de la « normalité » ici et maintenant. Le vécu quotidien d’un renvoi à une altérité contribue au sentiment d’être perçu comme un étranger, et fnalement de se sentir étranger. L’enquête TéO montre qu’à l’afrmation « on me voit comme un Français », 58 % des immigrés répondent par la négative, tandis que les générations de ceux qui sont devenus Français partagent pour moitié le sentiment de ne pas être vu comme Français. Les descendants d’immigrés, bien que de nationalité française, sont

51 Par exemple, avoir la nationalité française ne détermine pas nécessairement le rapport à la « francité ». C’est souvent une manière d’entériner une identification déjà construite. Mais le « choix » de la nationalité répond souvent aussi à un enjeu instrumental, dans un contexte qui est justement celui de l’expérience d’altérisation et de discrimination : on espère échapper à ces mécanismes grâce à la carte d’identité. (La recherche confirme que le facteur de la nationalité atténue un peu la discrimination dans l’emploi, sans jamais l’annuler ; par ailleurs, l’accès aux emplois publics est conditionné par la nationalité, mais cela n’empêche pas non plus des discriminations). On ne saurait donc voir la possession de la nationalité comme un simple facteur « d’intégration », car la réalité est paradoxale : pour ceux qui sont Français de droit, l’expérience des discriminations les fait douter de ce statut, et en conséquence, afaiblit leur adhésion identitaire à la communauté nationale.

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encore 37 % à ne pas se sentir véritablement reconnus. Par défaut d’être reconnues comme pleinement et normalement françaises, les personnes concernées n’ont bien souvent pas d’autre choix que d’investir d’autres ressources pour conserver une image positive d’elles-mêmes : des ressources ethniques ou religieuses, des ressources de mobilité internationale pour quiter le pays « qui ne veut pas d’eux », etc.

***

›› En résumé, on sait que les processus de discrimination et de racialisation sont globaux, dans le sens où ils se retrouvent quasiment quel que soit le secteur ou le segment que l’on observe du système éducatif et de formation, et du système emploi-travail. Ils se traduisent objectivement dans des formes de ségrégation et de marginalisation, dans des logiques de précarisation et dans des positions régulièrement subalternes. Ils se traduisent également, au niveau subjectif, dans des formes de contre-identifcation et réappropriation des identités ethniques ou religieuses. Ces processus ne sont pas majoritairement ouvertement racistes ; ils sont plus massivement indirects, agissant comme des effets globaux. Mais le racisme ouvert et les formes indirectes fonctionnent ensemble, dans une discrimination systémique durable et globale. Si la discrimination est plus visible dans certains secteurs d’activités – ceux qui metent en jeu l’image externe, les fonctions de communication et de représentation, particulièrement – elle se retrouve quasiment partout. Et surtout, les normes externes de représentation vont de pair avec les normes internes qui régissent l’ordre du travail ou du fonctionnement des institutions. C’est pour cela que les processus discriminatoires s’expriment souvent dans des segmentations géographiques : des formes de ségrégation à la fois externes et internes. Pour cete raison, la question de la politique publique n’est pas de hiérarchiser entre les domaines ou les secteurs, entre les formes ouvertes ou cachées du racisme, et directes ou indirectes de la discrimination. Une politique publique susceptible de transformer cet ordre des choses doit être globale et systématique, et elle doit pénétrer les structures et les pratiques, autrement dit la matérialité concrète des processus d’organisation des systèmes éducatifs, de travail et d’emploi.

La mise en doute de l’appartenance légitime à la société où les personnes vivent et l’altérisation incessante de leur identité ont pour effet de rendre impossible une société commune. L’une des conséquences ultimes est que la contre-identifcation ethnico-raciale ou religieuse peut se durcir et se traduire dans une radicalisation susceptible de retourner de diverses manières les normes sociales contre la commune appartenance : partir pour aller faire reconnaître ses compétences ailleurs, entrer dans des carrières de déviance, prendre les armes contre le pays qui nous rejete, etc. Ces processus doivent bien sûr être pris au sérieux, mais pas pour eux-mêmes de façon déconnectée d’un travail sur les dynamiques qui les produisent. Car ces diverses réponses radicalisées aux processus d’altérisation (toujours mêlés à d’autres facteurs), ne peuvent se solder dans une politique sécuritaire. Celle-ci durcit les positions et les trajectoires au lieu d’autoriser à assouplir les frontières et les statuts sociaux – on le sait bien concernant les rapports avec la police, les effets de la prison, etc. Pour cela, l’enjeu clé d’une politique publique soucieuse de favoriser l’identifcation à une commune appartenance suppose en premier lieu de sortir d’une conception très normative de la manière d’être en relation avec les institutions et d’être conforme à une image idéalisée (fantasmée?) de la normalité « française ». La politique publique doit accepter une pluralité des manières d’être en rapport avec les institutions, et travailler plus pragmatiquement à partir de cete pluralité pour construire du commun et de l’égalité.

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IV. Ce que nous avons appris de l’action antidiscriminatoire

L’expérience et l’expertise professionnelle et scientifique du groupe de travail « Mobilités sociales », ainsi que celle des personnes et collectifs sollicités au titre des auditions, permettent de porter un regard de nature évaluative sur ce qui a été fait. Car, en particulier depuis 1998 (date de l’engagement ofciel de l’Etat dans une politique publique face aux discriminations), des acteurs se sont mobilisés et engagés pour faire avancer concrètement ces questions et développer d’autres pratiques. Les analyses qui sont issues de ces expériences et recherches conduisent à insister sur une série de précautions et de conditions pour engager l’action, et du moins pour l’engager sur d’autres bases, plus politiques que ce qui a été fait jusque-là. En efet, nous avons en matière de discrimination en France l’expérience d’une « action publique sans problème public reconnu » (Cerrato-Debenedet, 2013) ni sans stratégie politique assumée et volontariste. Cela a laissé le champ libre à des expérimentations locales toujours précaires reposant sur la seule volonté de quelques-un.e.s, ainsi qu’à la diffusion et la gestion d’outils ou de dispositifs. Mais ni les outils ni les expériences locales ne font une politique publique.

 Les limites d’une absence de politique publique Les effets de l’instabilité du « référentiel » politique

Depuis 1998, les pouvoirs publics n’ont jamais formulé un cadre et un référentiel sufsamment clairs et assumés. Plusieurs référentiels contradictoires ont sans cesse cohabité : insertion, intégration, sécurité, antiracisme, égalité des chances… Cela a fragilisé la singularité de l’objectif antidiscriminatoire, et a contribué à un problème de réception publique de l’intention politique, empêchant un renouvellement des cadres de perception de l’action. Par conséquent, les hésitations quant au statut à donner à la « prévention et lutte contre les discriminations » ont rapidement laissé le champ libre à d’autres discours, mieux installés (intégration) ou ayant une plus grande capacité de communication (diversité), qui ont eux-mêmes accentué le brouillage et favorisé une déviation des objectifs. L’engagement ofciel contre les discriminations ne s’est en outre pas accompagné d’un cadre politique explicite en matière de reconnaissance de la pluralité de la société, ce qui a fnalement laissé le terrain au discours managérial sur la « diversité ». Comme si la politique publique était faite par les (grandes) entreprises. Et comme si les questions de l’emploi et de l’accès aux Grandes écoles représentait l’alpha et l’oméga du problème politique. Avec cette déviation du discours politique vers la « diversité » et « l’égalité des chances », depuis 2003-2004, on a donc :

• entériné une approche implicitement ethnicisée de la question – car on mesure la diversité au faciès, et dans l’imaginaire collectif, la diversité c’est toujours « les autres »52 ;
• laissé la responsabilité de l’action publique au patronat, en s’alignant sur un discours de valorisation de « l’entreprise » au détriment d’un travail sur les problèmes politiques et sociétaux qui traversent le monde du travail comme n’importe quel autre univers social ;

• réduit l’enjeu à la question de l’élitisme méritocratique, au détriment d’une articulation entre le problème des discriminations et celui plus général des inégalités et des hiérarchies sociales.

Un double défaut de reconnaissance du problème

Le discours sur les discriminations ne s’est pas traduit par une reconnaissance concrète du problème ni par un engagement efectif des institutions à la mesure des enjeux. L’exemple de l’institution scolaire le montre.

52 La formule « personnes issues de la diversité » ne change pas le rapport ethnique : le groupe majoritaire se pense toujours implicitement comme la référence normale et s’abstrait de la diversité de la société. Cette formule traduit non seulement le maintien d’une minorisation sous couvert de reconnaissance de l’altérité, mais il exprime aussi implicitement le malaise voire l’incapacité des représentants du groupe majoritaire à aborder la question ethnique autrement que comme le « problème de l’immigration ». Il est donc crucial de rompre avec ce langage ethnicisant.

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A un défaut d’engagement politique du ministère de l’Education nationale (1998-2008) a succédé un discours de l’administration tourné vers les publics : on a assimilé la discrimination soit au problème des « violences entre élèves » (dans le rapport de 2010 sur les « discriminations à l’école »), soit à celui de l’insertion. AInsi, dans la contribution de la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) au Conseil d’orientation pour l’emploi, l’objectif de « lutte contre les discriminations » est subsumé à l’axe général « Favoriser l’insertion professionnelle des jeunes ». Il y est réduit à la gestion d’outils et de dispositifs existants ou à développer : « tutorat, parrainage, objectif stages… (…) banques de stages »53. Or, ces outils n’oeuvrent en réalité ni à la sanction et à la régulation des discriminations qui se produisent, ni à la négociation systématique des normes sélectives relatives aux périodes de formation en entreprise. Ils tendent plutôt à légitimer la structuration d’une « niche » de stages destinés spécifiquement aux publics discriminables, pour se concentrer ensuite sur l’insertion sans travailler sur les logiques discriminatoires du marché et de la relation de stage. Le problème de reconnaissance politique se poursuit aujourd’hui encore, puisque le rapport sur la Refondation de l’école ne donne à la discrimination qu’un statut hypothétique de question tout juste non « incongrue »54. Sur le plan organisationnel également, l’ambiguïté est de mise : l’actuelle mission « Prévention des discriminations et égalité fille-garçon » (DGESCO) a succédé à ce qui était auparavant la « Cellule nationale de prévention des dérives communautaristes », consacrée entre autres à la gestion de la loi interdisant le voile à l’école. Ce passage s’est fait sans plus de clarification ni du problème ni du programme.

Finalement, le statut de cete question dans l’institution se caractérise par un double défaut : d’une part, un défaut de reconnaissance du problème (quel est le problème, quelle est son importance), et d’autre part, un défaut d’autorisation à agir pour réguler et/ou sanctionner les processus concrets de discrimination, d’ethnicisation, etc., quand et là où ils se produisent.

Dépolitisation de la question et culpabilisation individuelle

La représentation courante du problème de la discrimination, comme d’ailleurs du racisme, oscille généralement entre deux registres : d’un côté, l’accent mis sur les « actes » individuels, conduisant à stigmatiser des personnes au titre de leurs « mauvaises » pratiques ou idéologies, et de l’autre, un discours général sur un « système discriminatoire » ou une « société raciste » donnant du problème une vision éthérée et sans responsabilités. Les expériences d’action publique ont beaucoup insisté (à raison) sur la nécessité de ne pas culpabiliser les personnes pour aborder le problème. Mais d’une part, cela n’a pas évité que les acteurs mobilisés ressentent de la culpabilité. Car celle-ci résulte, non du thème de la discrimination en soi, mais des injonctions contradictoires qui structurent le travail et qui génèrent un sentiment d’impuissance des professionnels en même temps qu’ils se sentent responsables. D’autre part, ce discours général a pu se payer d’une déresponsabilisation globale, en particulier des niveaux supérieurs ou intermédiaires des organisations (direction, encadrement,…) : l’invitation à agir – quand il y en a une – est tournée principalement vers le « terrain », sans donner du problème une vision concrète ni sans exiger des divers acteurs du système une responsabilité vérifiable en pratique. Cela a eu deux conséquences : l’on a favorisé des engagements de principe sans travailler sur les mécanismes concrets de production/régulation des discriminations ; et l’on a donc chargé implicitement les professionnels « de terrain » d’une responsabilité qui certes les concerne mais les dépasse.

53 http://www.coe.gouv.fr/IMG/pdf/DGESCO_contribution_Annexe1.pdf
54 L’unique formule du rapport à ce sujet est en efet qu’« il ne parait pas incongru de se demander si le principe même d’égalité de traitement est

respecté, voire si une discrimination négative n’est pas à l’oeuvre » (Dulot et alii, 2011, p.14).
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La lettre de mission du groupe « Mobilités sociales » pose entre autres la question des manières de « mobiliser davantage les acteurs de la communauté éducative ». Cela suppose de savoir sur quoi et par rapport à quoi il faudrait les mobiliser. Car, sans clarification du problème public et de l’enjeu politique, sans approche stratégique de l’organisation et de la distribution efective des responsabilités, la logique d’implication risque d’augmenter une culpabilisation (sans objet) des professionnels. Par ailleurs, l’objectif indistinct de mobiliser occulte une réalité importante : le fait que de nombreux acteurs sont déjà mobilisés, souvent dans des conditions difciles par défaut de légitimité et de reconnaissance de leur travail.

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Volontariat et déresponsabilisation institutionnelle

Le déficit de reconnaissance du problème et d’autorisation à agir a eu pour efet de laisser cette question à la charge des agents volontaires, qui ont porté cette question souvent envers et contre la dénégation de leur institution, d’ailleurs souvent en mobilisant des ressources personnelles (bénévolat, etc.). Or, la discrimination relevant d’une question de droit et d’un enjeu politique majeur pour notre société, laisser cela au seul volontariat correspond à un déni des enjeux. Les professionnels impliqués se sont vus placés dans une situation difcilement tenable. Ils ont en efet été chargés d’une responsabilité institutionnelle globale, en devenant souvent des « personnes-ressources » ou des « référents » (dans le Label diversité, dans les Rectorats…). Cela peut les exposer à l’égard de leurs collègues et à l’égard de l’institution – prompte à se retourner contre eux en cas de conflits ou de problèmes –, sans pour autant qu’ils bénéficient des moyens et ressources (financiers, humains, de temps, de légitimité, de formation, etc.) sufsants pour faire ce travail. Cete stratégie de gestion a précarisé la question, en maintenant les initiatives dans un statut de fragilité, de faible légitimité et de faible reconnaissance : financements aux projets, initiatives et ressources souvent extérieures à l’institution (programmes européens ou mécénat, par exemple), positionnement administratif incertain et politiquement peu légitime, autorisation informelle à la merci d’un changement de responsable ou d’une suspension arbitraire de la tolérance accordée, travail non systématiquement encadré par une lettre de mission, etc.

 Intérêts et limites de quelques approches

Du côté de l’action, nous ne partons pas de rien. Mais, en l’absence de politique publique, les administrations se sont surtout concentrées sur la gestion d’outils et de dispositifs, ce qui en soi n’a pas de sens. En outre, certains des outils ou actions mis en œuvre ont d’importantes limites, qui ont été parfois évaluées. Limites d’efcacité, mais aussi dans la conception des actions, avec de fréquentes déviations dans le référentiel politique ou dans le sens de l’action : face aux difcultés concrètes rencontrées sur le terrain, dans un contexte combinant la déshérence politique de la question et l’injonction aux résultats, des actions financées au titre de la lutte contre les discriminations dans l’accès aux stages ou à l’emploi se sont centrées sur des logiques d’insertion. Elles ont accentué l’exigence normalisatrice à l’égard des publics supposés éloignés des codes de l’entreprise, en entérinant et/ou en coproduisant la discrimination.

Nous passerons ici en revue plusieurs modes d’action qui ont été jusqu’ici privilégiés, en étant attentifs principalement à leurs limites et/ou à leurs conditions de pertinence. Car, à l’inverse d’une lourde tendance de l’action publique à techniciser le problème à travers le « recueil de bonnes pratiques »55, il y a lieu de se pencher sérieusement sur les conditions de pertinence de l’action – en portant l’attention aux difcultés et aux limites de l’action.

Les discours de principe à l’épreuve

Une forme classique de l’action publique, en matière de discrimination (mais aussi de racisme) est celle des discours de principe. L’afrmation de principes est bien entendu nécessaire en termes de référent politique, mais cette approche peut comporter deux séries de problème, comme le montrent l’exemple des Chartes développées depuis le milieu des années 2000 dans le domaine de l’emploi, ou encore l’expérience de l’antiracisme à l’école.

L’exemple des Chartes. Avec le passage au discours sur la « diversité », les pouvoirs publics et les entreprises ont privilégié le modèle des chartes : « Charte de la diversité » (2004), « Charte pour l’égalité des chances dans l’accès aux

55 L’analyse de la littérature de consultance sur les « bonnes pratiques » ou les « meilleures expériences » est édifiante sur ce point : elle ressasse d’un rapport à l’autre une sélection déjà faite d’exemples (toujours à peu près les mêmes), en technicisant le problème sans guère soulever la question du cadre politique. Ce qui veut dire que l’on raisonne en décontextualisant systématiquement les logiques d’action (cf. les remarques ci- après sur les problèmes de transférabilité des expérimentations), et en occultant le référent évaluatif de ce qui serait une bonne pratique. C’est ainsi que sont construits en « solutions » à difuser des outils ou opérations clés en main, généralement plus lié au thème de la « gestion de la diversité » qu’à l’action à proprement parler antidiscriminatoire. Il y là une confusion entre l’outil et la solution, l’instrument et l’objectif et, pour finir, ce qui devrait être stratégique et politique devient purement technique. Mais le réel fait retour lorsqu’il s’agit de passer des actions ponctuelles à la généralisation et que ce passage reste de l’ordre de l’incantation.

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formations d’excellence » (2005), « Charte des entreprises de travail temporaire pour la non-discrimination et pour l’égalité de traitement et la diversité » (2005), « Charte pour la promotion de l’égalité dans la fonction publique » (2008), « Charte pour la prévention des discriminations dans l’animation sportive et socioculturelle », etc. Ces engagements de principe ne portent pas nécessairement sur des logiques nouvelles d’action, mais tendent pour une part à substituer à un impératif légal – interdiction de discriminer – un simple engagement moral de bonne conduite. Cela affaiblit donc le droit plutôt que de le crédibiliser. La « Charte de la diversité » en ofre une illustration : celle-ci pouvait un temps être signée en ligne sans que cela n’engage outre mesure56. Cela n’est certes pas systématiquement le cas: des expériences d’action locale ou institutionnelle (programme Aspect, villes de Villeurbanne, de Saint-Priest, etc.) se sont appuyées sur la rédaction et la difusion de « Charte d’engagement » qui se situent délibérément en complément du droit : elles posent le droit et la sanction comme socle indiscutable, et portent sur un objectif d’engagement politique volontariste des institutions concernées. Ceci dit, la réalisation de cet engagement dépend des priorités économiques ou politiques des entreprises et administrations, et sans maintien d’une priorité politique constante les principes restent inappliqués. De ce point de vue, l’inscription de l’action antidiscriminatoire dans des cadres programmatiques liés à des principes larges, souvent environnementaux ou sociaux (Agenda 21, Responsabilité sociale de l’entreprise…), présente le risque de dissoudre l’enjeu politique dans un discours global de principe qui reste faible du point de vue des priorités d’action.

L’exemple de l’antiracisme scolaire. Plus largement, l’engagement de principe ne fait pas en soi la qualité des pratiques. L’antiracisme à l’école, promu par l’Etat surtout depuis les années 1990, peut à cet égard illustrer l’existence d’une croyance dans le pouvoir propre de l’afrmation des grands principes – cela relève d’une croyance magique. L’objectif de l’antiracisme scolaire est à peu près de convaincre les futurs citoyens de s’identifier au discours hégémonique «républicain», de les faire participer activement aux rituels autour de symboles politiques ou mémoriels de la communauté nationale, et ainsi de communier dans des « valeurs ». Tout cela est supposé souder la communauté et faire adhérer les jeunes générations à ses principes fondamentaux. Le plus souvent l’action repose sur la combinaison de l’exposition des élèves à des discours (de morale, de savoir, d’expériences ou de témoignages historiques traumatiques…) et leur implication dans des activités et rituels supposés produire et démontrer leur adhésion morale aux valeurs humanistes (semaine contre le racisme, etc.). Le problème est que la représentation idéale d’une société non raciste et antiraciste a pour contrepartie de traiter les manifestations de racisme comme le signe d’une inculture (populaire) ou d’une « exculture » (étrangère) (Dhume-Sonzogni, 2007). Non seulement cela accroît l’altérisation des populations vues comme non assimilées (selon des logiques parfois racistes), mais en outre cela empêche de comprendre les ressorts réels du racisme et d’agir pertinemment sur eux. De fait, les épisodes de racialisation et d’ethnicisation à l’école ne sont que rarement régulés à la mesure de l’importance politique de ces questions pour la collectivité, ni à la mesure de la violence vécue. Une conséquence globale est que la cohabitation de grands discours de principe avec une expérience concrète qui dément fréquemment que ces valeurs soient effectives a des effets en termes de désidentifcation des élèves au cadre que l’on voudrait promouvoir : moindre croyance dans les institutions (droit, justice, école…)57 ; apprentissage paradoxal que si le discours de l’école est le refus du racisme, sa pratique est plutôt une tolérance à l’égard des faits de racisme (cela vaut aussi pour le sexisme, etc.) ; par conséquent, apprentissage d’une compétence de clivage entre d’une part l’adhésion formelle et imposée au discours moral hégémonique, et d’autre part des croyances et pratiques efectives qui sont, comme pour chacun, traversées par des logiques de racialisation ambiantes, etc. Dans un contexte de durcissement ethnonationaliste et de relégitimation du racisme, la répétition des discours de principe s’avère donc particulièrement ambivalente, et parfois inefcace voire contreproductive. L’un des enjeux pour l’école comme pour l’éducation en général est donc de cesser d’aborder la morale par les discours surplombants, et de reconstruire un engagement moral et politique à partir de l’expérience du monde social (c’est par exemple l’expérience du Collectif « Vivre ensemble l’égalité » de Lormont, qui

56 Cette signature en ligne s’est faite initialement sur le site Internet de l’Institut Montaigne (où le non-engagement pratique était un argument de vente), avant d’être reprise sur le site gouvernemental : egalitedeschances.gouv.fr lancé en 2006.

57 Cela vaut pour les publics, mais peut-être aussi pour les agents : le baromètre établi par le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail montre que, face aux discriminations vécues, la fonction publique est de moins en moins perçue par ses agents comme protectrice.

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intervient aujourd’hui dans des établissements scolaires pour travailler sur la discrimination vécue comme base d’une exigence de droit et de morale, et comme support d’une construction politique citoyenne).

Puissance et limites du droit

L’intérêt du référent de droit. Les usages du droit dans l’action antidiscriminatoire sont divers. Cette diversité même des ressources qu’ofre le droit en fait une base conséquente et pertinente :

• Le droit définit la discrimination, et ofre un principe d’évaluation de la légitimité des modes de sélection. Qu’on l’aborde de façon stricte (légalité) ou de façon étendue (légitimité), le droit est une référence primordiale sur lequel repose en partie l’édifice intellectuel de la (lutte contre la) discrimination ;
• La norme légale sert de référence de principe commun pour asseoir la légitimité de l’action publique antidiscriminatoire : elle justifie un engagement sur des bases non optionnelles, en convertissant une obligation juridique (ne pas discriminer) en obligation morale d’agir (restaurer le principe d’égalité) ;

• Les principes du droit – autrement dit son sens politique – sont un point d’appui pour la dénonciation des discriminations par les personnes qui les subissent. Dans une perspective démocratique, le droit permet de mettre en question les normes sélectives et/ou de contester la façon dont on traite les gens ;
• Le droit ofre diverses ressources d’obligations ou d’interdiction permettant de dessiner une pluralité de formes d’engagement souhaitables en matière d’action publique (sanction des discriminations, prévention des mécanismes discriminatoires, incitation à des compromis normatifs en matière de diversité…) ;

• Le droit fonctionne à la fois comme norme d’interdiction, mais aussi a contrario comme prescription implicite d’une vigilance face aux discriminations, en particulier à travers une attention portée aux efets de l’action (principe de la discrimination indirecte) ;
• Le droit est enfin une ressource en dernier ressort en cas de discrimination, à travers les recours judiciaires qu’il ofre, au pénal et au civil.

Les limites de la référence à la loi. En revanche, le droit présente divers inconvénients, surtout dans sa fonction répressive. D’abord, il légalise certaines discriminations ainsi que des exceptions ou tolérances qui limitent l’extension du concept juridique (art. 225-3 du code pénal58). Ensuite, il reconnaît un tort au prix d’une individuation et d’une attribution des responsabilités, des « auteurs » comme des « victimes ». Or, on sait que la discrimination fonctionne le plus souvent de manière systémique, en engageant dans sa production la collaboration de multiples acteurs à divers niveaux. Par ailleurs, une interprétation positiviste du droit, qui est fréquente en France, associe implicitement la discrimination à une intentionnalité59, avec l’idée qu’il sufrait d’être indiférent aux catégories prohibées pour réaliser l’idéal antidiscriminatoire. Pourtant, une part majeure de la discrimination repose sur des mécanismes inconscients, et « la théorie sociale cognitive nous apprend que, dans une culture où les stéréotypes relatifs à ces catégories sont omniprésents, il faut penser aux dites catégories pour ne pas faire de la discrimination » (Krieger, 2008, p.17).

Une difculté majeure de l’usage répressif du droit réside dans le caractère lourd, incertain voire risqué de cet outil. Le droit antidiscriminatoire, bien que juridiquement fort développé, est pratiquement peu utilisé dans sa fonction répressive. D’abord, les plaintes sont peu nombreuses (elles sont nulles pour ce qui concerne le domaine scolaire). Ceci, pour diverses raisons combinées : les personnes concernées ne voient pas ce qui leur arrive comme de la discrimination ou hésitent à l’interpréter comme tel ; elles ne veulent pas s’identifier au statut de « victime » ; elles ne veulent pas s’engager dans des démarches lourdes, longues, coûteuses et incertaines ; il existe une méconnaissance du droit antidiscriminatoire et des opportunités qu’il ofre ; il existe un déficit de familiarité des acteurs de la justice avec cette problématique, et par exemple une préférence pour ester en justice selon d’autres motifs ; on connaît la

58 Ces exceptions ont été étendues par la loi n°2008-496 du 27 mai 2008, concernant notamment les critères du sexe, de l’âge ou de l’apparence physique, sous le motif qu’elles peuvent répondre à « une exigence professionnelle essentielle et déterminante ».

59 L’évolution du droit, avec l’introduction au civil du concept juridique de discrimination indirecte par la loi du 16 novembre 2001, atténue la référence majeure à l’intentionnalité – qui demeure cependant comme une condition de preuve au pénal.

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difculté de preuve de faits cachés ou éthérés, qui décourage de porter plainte ; les logiques d’action peuvent être déviées en amont, vers une moralisation des plaignants ou vers d’autres enjeux (insertion, etc.). Se rajoute à cela, en matière de droit : une politique pénale peu ofensive en la matière – même si la mise en place des pôles antidiscrimination a notamment amélioré le recueil d’informations -, et un renversement d’approche, de la sanction au bénéfice de la prévention (avec le discours sur la « diversité »).

Mais même en cas de saisine des juridictions pénales, on observe une déperdition considérable aux diférentes étapes de la construction contentieuse des cas de discrimination. C’est ce que montre l’exploitation détaillée des données du ministère de la Justice, publiées par la Commission nationale consultative des droits de l’homme :

Fréquence du contentieux pénal en matière de discrimination

Source : Mourey, 2012, p.308. A partir des données de la CNCDH.

Cette chute entre les afaires enregistrées et condamnées – qui va de 1/30 à quasiment 1/100 selon les années – traduit probablement, d’une part l’option des parquets pour des formes alternatives aux poursuites (rappel à la loi, classement sous condition), d’autre part la faible chance de condamnation eu égard aux difcultés de prouver non pas seulement la discrimination mais aussi son intentionnalité. L’usage judiciaire du droit antidiscriminatoire s’avère de ce fait particulièrement hasardeux et même risqué pour les plaignants : un risque de ne pas aboutir et donc de prolonger sans fin le déficit de reconnaissance d’une expérience illégitime ; un risque, éventuellement, que l’invalidation de la plainte pour discrimination soit retournée contre le plaignant pour « dénonciation calomnieuse »62.

La HALDE ofrait-elle une meilleure protection ? Rappelons d’abord que celle-ci n’avait pas de pouvoir proprement judiciaire. Réceptacle de réclamations au niveau pré-judiciaire, elle les traite pour ne retenir qu’une partie d’entre elles qui aboutissent à des mesures diverses : transmission au parquet, rappel à la loi, règlement à l’amiable, délibération du collège… Si, comparativement au Parquet, la HALDE reçoit un nombre bien plus important de réclamations (12 fois plus en 2008), et de façon croissante au fur et à mesure de sa notoriété, on observe, de même que pour la juridiction pénale, une forte déperdition entre chaque étape. Au final, le taux de réclamations aboutissant à une mesure ne se distingue pas considérablement des statistiques du Parquet, comme le montre le tableau suivant.

Traitement des réclamations par la Haute autorité de lute contre les discriminations

Source : Mourey, 2012, p.310-311. A partir des rapports de la HALDE.

60 Afaires efectivement poursuivies par rapport aux afaires poursuivables (soit. celles qui remplissent les conditions de droit et de fait permettant l’exercice de poursuites pénales).

61 Soit la part des « afaires ayant fait l’objet d’une poursuite pénale au sens strict, à l’exclusion de tout recours à la troisième voie » (CNCDH, 2009, p.63). 62 La loi no 2010-769 du 9 juillet 2010 a limité l’usage de cette plainte, en évinçant les cas où la plainte initiale n’a pas abouti pour défaut de preuve.

Plus largement, la jurisprudence sur cette question est en pleine évolution.
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2005

2006

2007

2008

Afaires enregistrées

564

660

556

541

Taux de réponse pénale60

81%

65%

79%

75%

Taux de poursuite61

41%

33%

37%

28%

Condamnations

12 (soit 2,1%)

7 (soit 1,1%)

10 (soit 1,8%)

17 (soit 3,2%)

2008

2009

2010

Nombre de réclamations portées

6 414

10 734

37 336

Récl. rejetées, abandonnées, réorientées

5 412

8 982

31 678

Réclamations rejetées après enquête

460

795

4 882

Réclamations aboutissant à une mesure

dont délibération du collège

542 (8,4%)

278

957 (8,9%)

412

776 (2,1%)

279

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Se rajoute à ces difcultés de reconnaissance de la discrimination par la voie des institutions en charge du droit, le fait que l’évolution institutionnelle peut contribuer à soutenir ou au contraire à afaiblir la puissance du droit. Si le p assage de la HALDE au Défenseur des droits a présenté l’avantage de faciliter la centralisation au sein d’une même administration de la totalité des litiges portant sur la discrimination quel que soit le critère ou le domaine, cela a contribué à déspécifier à la fois la discrimination en général et celle, ethnico-raciale, en particulier. Cela s’est traduit par une baisse notable des saisines : près de 35% la première année suivant le changement institutionnel, selon l’institution elle-même. Mais cela semble se prolonger : en efet, selon les calculs de l’Observatoire des inégalités, le Défenseur des droits a enregistré près de 6.500 réclamations pour discrimination en 2012, soit deux fois moins que la HALDE en 201063. Cete baisse semble directement imputable à la moins bonne visibilité du Défenseur des droits sur cete thématique. En outre, pour la première fois depuis la création de la Haute autorité en 2005, « l’origine » n’est plus le premier critère mentionné dans les réclamations (22,5%), il a été supplanté par l’état de santé et le handicap (25,9%). Si la question n’est pas celle du critère qui doit primer, cela donne à penser que le passage au Défenseur des droits a pu contribuer à modifier le statut respectif de problème public des diverses discriminations.

Autre exemple, celui de l’Inspection du travail. En France comme ailleurs, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), les services d’inspection du travail connaissent une « crise » importante : ils font souvent face à des restrictions budgétaires et à une diminution des efectifs, alors même que le contexte réglementaire se complexifie. Dans ce contexte, plus encore que d’habitude, la capacité des services à répondre efcacement à la demande des salariés dépend de l’existence d’une « approche stratégique » de son action, selon David Weil (2008) : autrement dit d’une forme de politique d’inspection qui combine entre autres la détermination d’axes problématiques, l’adaptation aux branches et secteurs d’activité, et un rapprochement avec les intermédiaires tels que les syndicats. Or, en matière de discrimination, si les rapports successifs de la Direction générale du travail répètent que « l’impératif d’égalité professionnelle demande qu’une attention particulière soit portée aux situations de discrimination au travail » (2010, p.212 ; 2011, p.174 ; 2012, p.62), ils soulignent dans le même temps que les services sont « plus à l’aise dans les reconstitutions de carrière des représentants du personnel que dans les autres types de discriminations ». En 2011, sur l’ensemble des références faites aux articles du Code du travail suite aux interventions de l’inspection, 0,17% seulement sont relatifs aux discriminations64. Et encore, cela concerne « en majorité » la discrimination syndicale, l’état de santé ou la maternité. Une stratégie spécifique de mobilisation de ces institutions est donc nécessaire.

Les limites d’usage des expérimentations

Les politiques publiques, nationales comme européennes, mettent aujourd’hui très largement l’accent sur l’expérimentation et l’innovation. Une limite commune à une majeure partie des expériences évaluées est qu’elles peinent à être intensifiées ou disséminées. Il y a plusieurs raisons à cela :

• D’une part, les expérimentations pertinentes conduisent à mettre en évidence des limites ou déficits majeurs du fonctionnement habituel des institutions. L’expérimentation ou l’innovation invitent, par défnition, à changer non pas seulement les pratiques, mais le cadre auquel ces pratiques se réfèrent. Or, les institutions en question occultent bien souvent cete part centrale du problème, en cantonnant les expérimentations à la marge, à des tolérances limitées, à des micro-situations localisée,… au lieu d’en tirer bénéfice dans une stratégie de réforme et d’adaptation institutionnelle pour progresser.

• En conséquence, les expérimentations elles-mêmes sont en général peu soutenues par les institutions, comme l’a montrée dans le cadre scolaire l’évaluation des usages de l’article 34 de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école de 200565. L’existence d’un cadre de principe favorable voire incitatif à

63 http://www.inegalites.fr/spip.php?breve939#nb1

64 Selon nos calculs à partir des chifres du rapport 2012 (p.95) de la Direction générale du travail : 2.591 références concernent la discrimination, sur 1.495.756 au total en 2011.

65 Loi n°2005-380 du 23-4-2005. JO du 24-4-2005, art. 34 : « (…) Dans chaque école et établissement d’enseignement scolaire public, un projet Rapport du groupe « Mobilités sociales » Page 57/93

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l’expérimentation est important, mais cela ne produit pas les effets escomptés si les expérimentations ne trouvent pas d’écho dans la capacité des institutions à prendre en compte et soutenir l’expertise professionnelle pour produire des effets durables et conséquents.
• Enfin, la croyance dans le caractère « généralisable » ou « transférable » des expériences pertinentes s’attache à la forme plutôt que de saisir les processus et mécanismes qui agissent. Bien souvent, en généralisant une expérience située, l’on transforme une action en un dispositif-coquille. Or, pour avoir quelques efets, cela suppose l’existence préalable d’intéressements déjà construits localement, et cela suppose que des acteurs locaux se réapproprient voire détournent ces dispositifs afin de soutenir les logiques déjà existantes.

La formation des acteurs

S’il est une proposition consensuelle en matière de lutte contre les discriminations, c’est bien l’idée qu’il faut former les acteurs. La formation, entendue comme une manière d’agir sur le renouvellement des pratiques, est un enjeu de taille. Mais les expériences pédagogiques et les usages observés de la formation appellent plusieurs remarques sur les conditions de pertinence et/ou sur les limites des stratégies mises en œuvre jusqu’ici.

L’action publique a souvent privilégié une approche par la « sensibilisation », pour son caractère pédagogiquement et financièrement « léger » et pour son potentiel rapidement extensif. Cette sensibilisation est éventuellement assortie de la difusion d’outils « clé en main ». Cependant, en absence d’une stratégie politique et institutionnelle plus large, ni la sensibilité à la question ni les outils n’aident les professionnels à résoudre les tensions et contradictions du travail, dont la discrimination est souvent un révélateur. Il ne suft en efet pas d’adapter ou de normer telle pratique ; il s’agit de repenser et de réorganiser les manières de réguler les organisations de travail. Une conséquence importante de ce décalage entre la forme de formation difusée et l’enjeu institutionnel du problème est que cela a contribué à maintenir la question à un niveau précaire et technique, en générant paradoxalement des efets d’ampleur proportionnellement inverse à l’extension de la difusion. Si l’approche extensive est nécessaire, elle présente le risque, à défaut d’une inscription dans une stratégie globale, que le savoir difusé ne renforce le clivage entre d’une part une adhésion de principe et une connaissance formelle de l’antidiscrimination, et d’autre part une incapacité pratique à freiner concrètement ces mécanismes. La mise en place expérimentale de modules e-learning présente au minimum les mêmes risques d’efets pervers.

Une exception notable à la stratégie de sensibilisation est le programme de formation du FASILD, puis de l’ACSE, qui a ofert la possibilité d’un travail sur 6 jours de formation pour un même groupe (de la sensibilisation à l’action). Cette approche et cette durée semblent plutôt pertinentes, du moins si l’usage de ce dispositif n’est pas cantonné à une approche techniciste, qui segmente et cloisonne la sensibilisation, l’approfondissement, et le soutien à l’émergence de pratiques. Il reste que l’usage de ce dispositif de formation se heurte à la capacité locale de mobilisation et de constitution d’un cadre politique sufsant. L’un des enjeux-clés d’une politique publique est que la formation soit combinée à d’autres niveaux d’action, dans une stratégie politique et organisationnelle, afin de transformer les référents et les postures professionnels en même temps que l’on agit sur les normes et principes de l’institution, sur les processus de régulations, les cadres de travail et les organisations et procédures.

Enfin, soulignons que la discrimination a été principalement abordée à travers la formation continue. Cela est nécessaire pour renouveler les pratiques des acteurs en poste. Mais dans le même temps, la question des discriminations ou les savoirs de la psychologie sociale (catégorisation, stéréotypes, etc.) n’ont le plus souvent pas été introduits dans les formations initiales et/ou professionnalisantes, sauf initiatives spécifques66. Parallèlement, la

d’école ou d’établissement est élaboré avec les représentants de la communauté éducative. (…) Sous réserve de l’autorisation préalable des autorités académiques, le projet d’école ou d’établissement peut prévoir la réalisation d’expérimentations, pour une durée maximum de cinq ans, portant sur l’enseignement des disciplines, l’interdisciplinarité, l’organisation pédagogique de la classe, de l’école ou de l’établissement, la coopération avec les partenaires du système éducatif, les échanges ou le jumelage avec des établissements étrangers d’enseignement scolaire. Ces expérimentations font l’objet d’une évaluation annuelle. Le Haut Conseil de l’éducation établit chaque année un bilan des expérimentations menées en application du présent article. »

66 Par exemple dans certaines des formations qualifiantes aux métiers de conseiller-emploi-formation-insertion en Languedoc-Roussillon ou Alsace, Rapport du groupe « Mobilités sociales » Page 58/93

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formation initiale ou professionnalisante (des enseignants, par exemple) subit une diminution drastique, que la formation continue ne peut ni n’a vocation à compenser. En outre, plusieurs limites découlent du cadre de la formation continue ou des usages de la formation dans ce contexte :

• La formation continue a un cadre généralement optionnel – avec des enjeux ou limites en partie diférents selon les secteurs, comme on le voit pour l’Education nationale67. Cela fait reposer in fne l’action sur des individus engagés au détriment d’une politique d’institution. L’évolution des cadres de la formation continue, par exemple avec la mise en place du Droit individuel à la formation (DIF), renforce cette logique d’investissement sur des compétences individuelles, alors qu’une politique antidiscriminatoire appellerait d’autres stratégies, non optionnelles, collectives et instituées.

• La primauté du volontariat n’a conduit qu’exceptionnellement à former l’ensemble des services et des niveaux hiérarchiques. Cela peut accentuer des clivages et des spécialisations informelles au sein des équipes, souvent à des niveaux intermédiaires de l’organisation, entre ceux qui sont « sensibilisés » et les autres. Ceci, au détriment d’une logique collective d’équipe et d’une capacité globale à agir sur les mécanismes discriminatoires.

• Lorsque – parfois – les services entiers ont été formés à un temps T, se pose le problème du renouvellement des équipes et de la transmission de l’attention à cette problématique, ce qui suppose une stratégie continue de formation qui n’existe que rarement (c’est une des limites à moyen terme du programme d’initiative communautaire EQUAL ESPERE, « Engagement des services publics de l’emploi pour restaurer l’égalité »). Diverses initiatives locales sont confrontées à ce problème, qui est d’autant plus élevé que le turn-over est important. En matière scolaire, par exemple, c’est une limite claire de l’approche par établissement, comme le montre l’expérience actuellement menée dans l’agglomération grenobloise.

Les outils de neutralisation : l’exemple du CV anonyme

La discrimination contraint les personnes qui en sont la cible à développer des tactiques ou des ruses pour masquer les marques discriminables (c’est-à-dire susceptibles de donner libre champ à la projection par le recruteur de ses stéréotypes ethnico-raciaux) : changement de nom, d’adresse, absence de photos, etc. La reprise de cette stratégie par les pouvoirs publics, à travers la mise en place expérimentale du CV anonyme68 a fait l’objet d’une évaluation. Celle-ci montre que l’efet escompté de contrarier l’homophilie des recruteurs fonctionne concernant le genre des candidats. En revanche, l’anonymisation joue contre les candidats vus comme issus de l’immigration et/ou résidant sur un territoire stigmatisé (ZUS, CUCS). Pour ces derniers, la suppression du bloc « état-civil » sur le CV accroît la difculté d’accéder à un entretien (d’une chance sur 10 à 1 chance sur 22, alors que le groupe de référence passe, avec l’anonymisation, d’une chance sur 8 à 1 chance sur 6).

En-deça de la question de l’efcacité de l’outil, le passage d’une tactique mise en place par les minorisés, bien souvent pour vérifier la discrimination, à une stratégie de gestion du marché du travail par les pouvoirs publics, pose deux questions importantes :

• Premièrement, la stratégie de la « neutralisation » des marques stigmatisables entre en contradiction avec l’idée que l’action face aux stéréotypes suppose au contraire une conscientisation et une réflexivité. D’autant que toute sélection juste suppose la prise en compte de la singularité. Même s’il avait été efcace pour limiter la discrimination ethnico-raciale, le problème des discriminations n’est pas soluble dans le seul pragmatisme des

ou de façon expérimentale dans l’académie de Nancy-Metz…

67 Il y a de ce point de vue deux problèmes spécifiques : d’une part la segmentation entre les systèmes de formation continue du premier degré et du second degré ; d’autre part, la segmentation par corps professionnels (enseignants, Conseillers d’orientation-psychologiques, vie scolaire, etc.), accentuée par la décentralisation (segmentation des responsabilités entre l’Education nationale, les conseils généraux et régionaux…). Cette dernière devrait être accrue par exemple avec la création de services régionaux de l’orientation…

68 L’outil a été intégré parmi les obligations de la loi du 31 mars 2006 sur l’égalité des chances (pour les entreprises de plus de 50 salariés), mais les décrets d’application n’ont à notre connaissance jamais été rédigés… La volonté du commissaire à la diversité de généraliser l’outil s’est heurtée à l’expérimentation conduite par Pôle emploi, dont l’évaluation invalide l’idée qu’il ait un efet positif du point de vue des catégories d’origine et de territoire.

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techniques et outillages des procédures de sélection.
• Deuxièmement, la suppression de l’état-civil sur les CV n’est pas un acte neutre ; cela peut être vécu par les personnes concernées comme une violence identitaire. Dans le contexte intégrationniste, cela peut jouer d’un mauvais signal politique, en prolongeant le message de l’assimilation : seul l’efacement des marques vues comme « étrangères » ofrirait la possibilité de se voir accepter…

Au-delà d’une question d’outils, l’enjeu politique global est donc d’autoriser l’investissement critique d’une question (l’usage des catégorie prohibées ou problématiques dans les formes de sélection), et non de prolonger la croyance magique dans les vertus d’une « neutralité » ou d’un « aveuglement à la race ».

L’entrée territoriale et la discrimination positive

La territorialisation des politiques publiques a afecté l’action publique de lutte contre les discriminations. De façon croissante depuis le début des années 2000 jusqu’aujourd’hui encore (avec l’incorporation de l’ACSE dans un Commissariat général à l’égalité des territoires), la question des discriminations a été progressivement rattachée à la politique de la ville jusqu’à pratiquement s’y dissoudre. Cela constitue un problème majeur, car cela disqualifie le sens politique d’un travail sur les discriminations. En efet, en procédant ainsi, le thème est implicitement rattaché à un public-problème, puisque la politique de la ville désigne par l’intermédiaire des catégories territoriales un public identifié à la classe populaire et à l’immigration. On aborde donc les discriminations non pas à partir de ses mécanismes de production, mais à partir de cibles supposées – sans pour autant que l’action arrive d’ailleurs à toucher les personnes concrètes supposées être concernées. Ensuite, les politiques de la ville et de l’éducation prioritaire fonctionnent à partir d’étiquettes qui jouent comme des stigmates, et ce de façon sufsamment forte pour constituer en eux-mêmes de nouveaux motifs de discrimination – ce que confirme si besoin en était l’évaluation du CV anonyme. L’introduction probable dans le droit d’un nouveau critère de discrimination au territoire – vu sa promotion, en son temps par la HALDE (2011), et par divers autres acteurs publics (maires, associations…) – n’a aucune raison de changer cette logique. Autrement dit, la défnition de la lute contre les discriminations par la politique de la ville est prise dans le piège de renforcer les logiques mêmes qu’elle prétend combatre.

Plus largement, la territorialisation de l’action publique pose un problème. L’entrée « locale », entendue comme l’action à des échelles de compétence ou d’existence qui correspondent approximativement aux expériences concrètes des gens, est à notre sens tout à fait nécessaire. Mais d’une part, cela pose un problème conséquent d’articulation des échelles, et donc de montée en généralité à partir de ces lieux d’expérience et d’action – c’est l’un des défis du transfert et de la difusion d’expériences. D’autre part, la traduction de cette approche par les politiques publiques repose sur une conception du territoire qui s’avère problématique. Comme l’ont montré entre autres des travaux de sciences politiques, le territoire est une fction. Il ne prend éventuellement sens que s’il correspond à des enjeux (un objet d’action) et à des logiques d’action (investissement par des acteurs, des institutions…) et donne lieu à des régulations (entre autres des logiques de pouvoir, de concurrence, etc.). Or, l’approche courante du territoire, assortie d’un discours sur le partenariat, fait surtout du « local » la recette de gouvernance. Mais, ce que l’on n’arrive pas à produire à une échelle globale n’a guère plus de chance d’être produit à une échelle locale, si les mécanismes d’action et les configurations institutionnelles demeurent équivalents. Pour le dire autrement, l’approche localisée donne des efets très mitigés si elle ne correspond pas à un travail de/dans les institutions et les réseaux d’actions concrètement utilisés par les acteurs. Il en va en définitive de même à d’autres échelles.

Enfin, l’approche territorialisée en France a été une manière de construire une « discrimination positive à la française » qui évite aux pouvoirs publics d’avoir à manipuler formellement les catégories ethnico-raciales. Si nous comprenons et partageons, au niveau global, l’enjeu de ne pas rouvrir une vaine polémique sur la question « ethnique » (en particulier sur lesdites « statistiques ethniques »), la politique publique ne peut pas pour autant faire l’impasse sur le caractère ethnico-racial d’une grande part des discriminations en France, et plus largement sur les mécanismes d’ethnicisation ou de racialisation dans la société. Sur ce plan encore, l’entrée territoriale pose deux problèmes :

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premièrement, en maintenant l’implicite autour de la dimension ethnique des inégalités, elle ne permet pas de travailler franchement ni sur les mécanismes d’ethnicisation, ni sur la régulation des inégalités de traitement ; deuxièmement, l’incapacité collective à désigner le problème qu’on prétend traiter hypothèque lourdement la fabilité du diagnostic, et a toutes les chances d’entretenir les pires confusions dans la représentation des problèmes comme dans le choix des solutions.

L’entrée par le territoire est liée à une action publique guidée par les outils et les techniques supposées correctives. Or, comme le dit Gwénaële Calvès (2005) « le droit contemporain de la non-discrimination impose un pilotage fn des politiques d’égalité. Il tolère de plus en plus mal les généralisations approximatives et mal étayées », du genre des politiques de discrimination positives mises en œuvre en France (en matière de handicap, de genre…). L’enjeu n’est donc pas, globalement, celui d’une politique de discrimination positive. S’il y a bien une adaptation territoriale des politiques publiques à opérer, pour contrer les logiques de ségrégation et de discrimination, le premier niveau d’enjeu est de travailler sur une répartition effectivement égalitaire des moyens et des ressources. Et aussi de réinvestir des modes de régulation pour affaiblir les logiques de concurrence. Concernant les ZEP, par exemple, « avant de parler de discrimination positive, il faudrait commencer par donner autant à ceux qui ont moins et éviter la discrimination tout court » (Dubet, 2005). Une politique de reconnaissance – car c’est un véritable enjeu – n’a pas à se préoccuper d’abord et principalement de changer les outils. Tant la loi antidiscriminatoire que les moyens actuels de mesure des inégalités ethniques, par exemple, sont un arsenal malgré tout sufsant pour relever les défs. Ce qui manque par contre cruellement, c’est bien une intention politique explicite, forte, pérenne et capable de dessiner un horizon globalement acceptable pour refaire société d’une manière inclusive.

Eléments de bilan du « Label diversité »

Un « Label diversité » a été élaboré en 2008, faisant suite à une décision du Comité interministériel à l’intégration de 2006. Celui-ci est l’objet d’un consensus assez large, qui s’est exprimé dans le groupe de travail « Mobilités sociales », et au-delà, puisqu’il est valorisé par la Commission Européenne comme l’une des meilleures pratiques nationales pour la prévention des discriminations et l’égalité de traitement. La raison de ce consensus semble tenir à deux choses : d’une part, il est le fruit d’une collaboration entre les services du ministère de l’Intérieur (DAIC) et l’Association nationale des directeurs de ressources humaines (ANDRH), et réuni plus largement dans sa gestion les partenaires sociaux et l’Etat (entre autres). D’autre part, il est un compromis entre des logiques d’engagement et de contrôle, ce que les acteurs de l’entreprise privilégient, face à une approche par la contrainte juridique. Délivré pour quatre ans avec une évaluation intermédiaire à mi-temps, le « Label » est aussi valorisé pour sa logique de « progrès », c’est-à-dire l’incitation à avancer à chaque période de labellisation, sur les questions touchant à la prévention des discriminations et à l’égalité des chances, dans les divers axes préconisés : l’état des lieux de la diversité dans l’organisme ; sa prise en compte managériale ; l’information, la sensibilisation et la formation ; l’évaluation et les axes d’amélioration de la démarche. Plusieurs remarques peuvent être faites sur cet outil :

• La forme de l’outil d’auto-contrôle avec l’appui d’un regard extérieur semble une approche pertinente pour développer la réflexivité sur les pratiques des entreprises et administrations. Dans certains cas, l’employeur semble se mettre lui-même des obligations, pour ne pas perdre le Label voire pour l’étendre (au sein d’un groupe 69). Ceci dit, il est difcile de savoir ce qui, dans cet outil, fonctionne pour enclencher cette dynamique : est-ce l’enjeu d’image et de réputation ? ou cela ne repose-t-il pas sur le fait que certains acteurs se « prennent au jeu » d’un « challenge » managérial de l’entreprise ? La compréhension des ressorts nous aiderait à penser une action publique plus générale qui ne soit pas prisonnière de l’outil et de sa boîte noire.

• Comme pour d’autres outils, on constate une dilution du critère de l’origine. Cela relève plus généralement du statut de la question ethnico-raciale en France, et de sa faible acceptabilité sociale, mais c’est une limite

69 Il peut y avoir une ambiguïté dans le cas de la communication des groupes : le label peut être attribué à une filiale seulement, alors que la communication des groupes peut garder le flou comme si le groupe entier était concerné.

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conséquente, qui rappelle si besoin en était que l’outil ne règle pas ce qui n’est pas politiquement assumé.
• Par ailleurs, la difusion reste relative, ce qui peut témoigner des limites de volontarisme de l’action publique : entre sa création fin 2008 et juillet 2013, le Label a été délivré à 392 entités juridiques (environ 800.000 salariés concernés) – surtout des grandes entreprises ou des grands groupes -, selon les données de la DAIC70. L’une des raisons est peut-être aussi le coût de la démarche, souvent jugé élevé71 : si cela peut apparaître plus mineur pour des grandes entreprise, au regard du fait que cela assure somme toute à frais réduits une communication garantie par des tiers (l’Etat, en l’occurrence), il est possible que cette somme soit dissuasive pour des petites entités.
• Enfin, un problème réside dans le fait que la norme AFNOR, pourtant financée sur fonds publics, et qui a vu la contribution bénévole de divers professionnels, pour un label qui est propriété de l’Etat, est interdite à la difusion… Cette privatisation de l’argent public est problématique.

Quelques conditions de pertinence des programmes d’action contextualisés

Les programmes d’action locale ou institutionnelle sur les discriminations

Nous disposons à ce jour de plusieurs exemples de programmes contextualisés (localement ou institutionnellement) de lutte contre les discriminations : expérience des programmes européens du PIC EQUAL, Plans de lutte contre les discriminations portés par le FASILD puis l’ACSE, réseaux de mission locale par exemple de la région PACA, expérimentations innovantes dans quelques académies ou réseaux (Nancy-Metz, Grenoble, Saint-Priest, notamment)… Les travaux du groupe « Mobilités sociales » et les auditions de porteurs de plusieurs de ces expérimentations nous ont conduits à identifier quelques-uns des leviers et des conditions de pertinence de tels programmes.

L’existence d’un soutien politique et institutionnel est impératif pour une inscription durable et d’ampleur sufsante. L’absence d’engagement et d’horizon politique prive a contrario ces projets de la légitimité nécessaire pour s’inscrire dans l’organisation et pour difuser durablement. Le soutien politique et institutionnel doit se traduire à la fois dans une autorisation à expérimenter, dans la mise à disposition de ressources permettant cette expérimentation, et dans la valorisation des résultats, sous la forme d’une stratégie d’inscription à travers des changements organisationnels.

Les leviers de transformations sont multiples et supposent d’être articulés. Il semble en efet pertinent de combiner dans un même contexte une stratégie :

  • de connaissance (étude, diagnostic) afin d’éclairer les enjeux et de légitimer l’action par du savoir ;
  • de formalisation et de difusion de normes (connaissance du droit, principes politiques d’engagement…) ;
  • de formation des professionnels, qui soit : tournée vers les directions et l’encadrement, tout autant voire plus que destinée aux agents « de terrain » ; non limitée à de la sensibilisation, mais centrée d’une part sur la difusion de grilles de lecture (droit, histoire politique, mécanismes psycho-sociaux…), et d’autre part sur la mobilisation de l’expérience et de l’expertise professionnelle (du métier, du travail, du fonctionnement réel des organisations) ;

• de formation et d’information des publics afin de légitimer et soutenir des mobilisations, avec pour objectif minimum: l’expression et la conscientisation des expériences de discrimination et de leurs efets sur les personnes, la connaissance du droit et les conditions de sa mobilisation, l’analyse des mécanismes de discrimination et d’ethnicisation ; une incitation à réagir face aux discriminations… ;

70 Seules 24 PME et TPE, soit 6% des labels décernés, sont aujourd’hui concernées. Pour tenter de corriger cette disproportion, une version du Label spécifique aux PME/TPE a été élaborée, et la DAIC (Direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté du ministère de l’Intérieur) a travaillé avec des réseaux des Chambres de commerce et d’industrie, afin de compenser.

71 Le coût de la démarche varie notamment selon le nombre de salariés et de sites. Organisation de moins de 50 salariés, un seul site : pour un cycle de 4 ans, avec audit initial et suivi à 24 mois : 3.300 euros. Organisation de 450 salariés comptant 13 sites : pour un cycle de 4 ans, avec audit initial et suivi à 24 mois : 18.750 euros.

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  • de formalisation de règles, de procédures, d’outils, eux-mêmes régulièrement réinterrogés et adaptés ;
  • de mise en place d’espaces collectifs de parole, d’analyse et de régulation des problèmes ;
  • de stratégie de management des services incluant des objectifs précis et évalués en matière de non- discrimination ;
  • d’accompagnement stratégique et réflexif des programmes et de leurs responsables par des tiers ;
  • d’évaluation de ces programmes avec l’aide de tiers (chercheurs, notamment), et des divers acteurs concernés (publics, agents, syndicats, encadrement, financeurs ou donneur d’ordre…).L’engagement pour la transformation ne peut porter ses fruits qu’au mieux à moyen terme. Le recul que nous avons montre que l’inscription durable et la difusion se font sur des temporalités qui sont souvent de l’ordre de 5 à 10 ans. Cela suppose donc un engagement pérenne dans l’objectif, renouvelé dans la légitimation, sans cesse réévalué ou adapté stratégiquement selon l’avancée du projet, et selon les difcultés, résistances et opportunités émergentes dans le temps.La diffusion des logiques antidiscriminatoires gagne vraisemblablement à travailler à deux échelles et selon deux directions simultanées : d’une part celles « internes » de l’organisation (entreprise, institution, etc.), d’autre part, celles « externes » des diférents réseaux d’acteurs (réseaux de pairs, réseaux territoriaux, etc.). Cela permet de croiser les légitimités, de renforcer mutuellement les exigences et les engagements, et d’utiliser de façon stratégique des leviers situés à des échelles diverses. Cela permet aussi d’intéresser et de concerner progressivement d’autres acteurs, en mutualisant les ressources et les initiatives.

    Les stratégies pédagogiques face aux enjeux d’inégalités et d’hétérogénéité

    Concernant plus particulièrement l’école, nous avons dit que les publics vus comme issus de l’immigration n’ont pas globalement de particularité, si ce n’est d’être associés à une « diférence de culture ». Aussi, outre un travail spécifque sur les enjeux de discrimination, d’ethnicisation, etc., la question de la réussite scolaire doit être abordée à partir d’un prisme plus général : celui des inégalités scolaires et de l’action de l’école sur/avec les inégalités sociales. Les travaux sur la pédagogie « interculturelle » ont longtemps porté cette ambiguïté – dans leur nom même -, en tendant à convertir une question d’inégalités globales en approche culturaliste des problèmes. Les réseaux spécialisés de l’Education nationale (CEFISEM puis CASNAV, etc.) sont encore trop souvent pris dans une approche dont la bienveillance n’empêche pas l’altérisation des publics. Mais des travaux récents se référant de la pédagogie interculturelle renversent aujourd’hui la problématique en insistant sur l’école et ses mécanismes d’altérisation, de minorisation et d’ethnicisation. Ils rejoignent des constats faits à partir de l’évaluation scientifique d’expériences pédagogiques alternatives à la forme scolaire face aux enjeux d’inégalités. Outres les éléments institutionnels précédemment pointés – qui demeurent des leviers et conditions déterminants -, ces travaux permetent de voir qu’il n’y a pas de fatalité à l’échec scolaire des enfants de milieu populaire et/ou des enfants descendants d’immigrés . Ils aident en outre à identifier certains leviers pédagogiques qui semblent jouer fortement sur la capacité de l’institution scolaire et de ses agents à agir efcacement et pertinemment sur la « réussite scolaire » de tous les élèves.

    • La lute contre l’échec scolaire est possible, en milieu populaire comme ailleurs, si l’on travaille tout particulièrement sur des leviers pédagogiques et didactiques, c’est-à-dire si l’on investit sur l’amélioration des pratiques enseignantes relatives aux processus d’apprentissage et aux manières d’organiser l’entrée dans les savoirs disciplinaires scolaires. Cette réalité, attestée par des travaux scientifiques solides, est peu voire pas travaillée dans la formation des enseignants. Ce problème considérable est accentué par le peu d’attention institutionnelle à ces enjeux, voire, dans les années 2000, à une intense critique de Droite qui a cherché disqualifier la pédagogie, en même temps qu’elle a abandonné l’objectif de réussite pour tous (et promu une « égalité des chances » ramenée à l’accès aux Grandes écoles).

• L’enjeu de luter contre les inégalités scolaires commence tôt, dès l’école maternelle et primaire. On sait en Rapport du groupe « Mobilités sociales » Page 63/93

effet que les inégalités fonctionnent largement sous la forme d’une sédimentation, dans les trajectoires, de décalages ou « décrochages » progressifs. On sait par ailleurs que les moments de rupture dans la forme du système scolaire (passage du primaire au collège, par exemple) contribuent à la fragilisation des élèves. Agir dans une logique de compensation ou de remédiation ultérieure est certes nécessaire pour ceux qui ont passé ces étapes, mais nous gagnerions de tous points de vue à mettre en place dès l’amont une vigilance et surtout d’autres manières de travailler afin de générer moins d’inégalités.

• A l’encontre d’une logique de dispositifs externalisés de remédiation, les problèmes peuvent le plus souvent se traiter dans les fonctionnements ordinaires de l’école et de la classe. Les dispositifs extérieurs ou aux marges de la classe et de l’école conduisent en efet trop souvent à durcir les problèmes et les efets d’étiquette des publics, quand ils ne remettent pas en œuvre des logiques d’ethnicisation (Lohro-Lemaire, 2102). L’expérience de pédagogie alternative analysée par Yves Reuter et son équipe (2007) dans une école élémentaire de Mons-en- Baroeul72, dans le Nord, (en l’occurrence, une pédagogie Freinet), montre que des dispositifs de diversification pédagogique internes à la classe peuvent traiter une grande partie des problèmes.

• L’un des leviers essentiels qui rend une équipe capable d’identifer, d’analyser et de traiter des problèmes réside justement dans le fait qu’il existe un travail d’équipe. Autrement dit, la coopération et la mutualisation des expertises professionnelles permetent de produire une intelligence collective capable de solutionner de nombreux défs. A l’inverse, on sait que le déficit de coopération et l’isolement des professionnels (voire la concurrence entre eux) a généralement pour efet d’accroître les tensions et de faire que les agents se sentent impuissants à résoudre des problèmes, lesquels apparaissent dès lors insolubles dans le cadre scolaire. Une part des processus de discrimination et d’ethnicisation découle précisément de ce type de configurations : on rejette sur le public un sentiment d’incapacité professionnelle.

• Les pédagogies qui ont un effet positif sur la réussite agissent particulièrement sur le rapport des élèves (et de leurs parents73) à l’école, aux savoirs, et à l’apprentissage. Mais elles ne le travaillent pas directement : le rapport au savoir n’est pas un objet d’éducation, c’est le produit d’une expérience de l’école et plus largement d’un rapport au monde. C’est en changeant l’expérience vécue de l’école que l’on change ce rapport, en particulier en développant de la responsabilité concrète plutôt qu’une injonction formelle à la responsabilité souvent assortie d’un rapport efectif d’infantilisation (rapport qu’expriment d’ailleurs aussi les parents et les professionnels dans leur expérience de l’institution scolaire). On sait que le rapport positif à l’école, aux savoirs et à l’apprentissage influencent positivement les trajectoires, les choix d’orientation, etc.

***

Beaucoup parmi les constats ci-avant dépassent la seule problématique des discriminations. Ce n’est pas que celle-ci a prétention ou vocation à se substituer à d’autres analyses (celles des inégalités sociales, par exemple), mais au contraire que ces problèmes prennent ensemble corps dans le fonctionnement banal et commun du système scolaire, du marché de l’emploi, des systèmes-travail, et plus largement dans le fonctionnement de notre société et de ses institutions. Une politique publique pertinente doit donc prendre en considération la nécessité impérative de travailler en articulant deux niveaux d’action : non seulement une action singulière sur les problématiques de discrimination, d’ethnicisation, etc., mais également une action globale capable de développer à terme des formes de régulation systémiques à l’égard d’une école et/ou d’un monde du travail particulièrement inégalitaires.

72 Cette action a, depuis, disséminé et elle investit aujourd’hui le niveau du collège de secteur. Voir sur le site des Cahiers pédagogiques : http://www.cahiers-pedagogiques.com/Une-classe-de-6eme-a-pedagogie-Freinet

73 Voir par exemple l’expérience de l’association ATD Quart-Monde, « En associant leurs parents à l’école, tous les enfants peuvent réussir ! » Rapport du groupe « Mobilités sociales » Page 64/93

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V. Ce que nous préconisons

 Une approche politique de la question. 20 principes pour fonder une politique publique

Principe général 1. Un engagement politique au plus haut niveau. Il n’y a pas de politique publique sans approche politique de la question, c’est-à-dire sans engager la manière de faire et de représenter la Cité. Il n’y a pas non plus de politique publique sans « problème public ». La (re)fondation d’une politique suppose donc de nommer clairement les problèmes et de définir une visée et un horizon explicites pour la collectivité.

Plus qu’une action spécifique, ce dont nous avons besoin est une ligne politique claire, dégagée des ambiguïtés, et reposant sur un référentiel global prioritaire et explicite : l’égalité des droits et de traitement assortie de la reconnaissance de la pluralité. Ce travail de représentation et d’explicitation des lignes directrices est un enjeu premier et majeur. Il relève d’une compétence de représentation de l’Etat à son plus haut niveau.

Principe général 2. Favoriser un Nous inclusif et solidaire, et agir sur les frontières de la société. L’enjeu de cette politique publique se décline simultanément à deux niveaux :

– D’une part, favoriser des identifications à un Nous inclusif et solidaire. Au niveau subjectif, il s’agit de construire une nouvelle manière de voir, de parler et de faire la société française, qui combine la pluralité des identités non- politiques des gens avec une communauté politique des citoyens. Au niveau objectif, il s’agit de favoriser et de soutenir les initiatives solidaires, les mobilisations, la vitalité sociale dans toutes ses composantes.

– D’autre part, il s’agit de s’attaquer vigoureusement aux frontières de la société française, dans leur formes diverses, pour limiter leur épaisseur, leur dureté, leur violence, leur essentialisation. Il s’agit tout particulièrement de s’attaquer à combattre la discrimination, la ségrégation, les inégalités sociales, et les rapports sociaux de racialisation, de genre, etc.

Principe général 3. Des mots pour donner le signal d’une nouvelle politique. Le terme d’« intégration » n’est pas approprié pour représenter cette politique publique. Il ne s’agit pas en soi de bannir un terme que beaucoup de gens utilisent sans arrêt (y compris dans les politiques européennes) ; la question n’est pas de l’ordre d’une police du langage. Mais il s’agit d’adresser à la société française, dans toutes ses composantes, un signal tout à la fois explicite (par les orientations politiques) et implicite (par le choix de termes appropriés) d’un renouvellement en profondeur des cadres politiques.

Principe général 4. Des valeurs fortes : une norme minimale en extensivité, mais maximale en intensivité. Les pouvoirs publics doivent réafrmer de manière intransigeante le postulat de l’égalité, c’est-à-dire, au premier chef et indissociablement : l’égalité politique de droit, l’égalité concrète des droits des citoyens et l’égalité efective de traitement de tous les membres de la collectivité (et non l’égalité des chances). Ils doivent également réafrmer le postulat de la liberté (d’opinion, religieuse…), avec le principe pratique de la laïcité, dans sa dimension inclusive, comme garantie donnée par l’Etat et les institutions d’une approche qui tend vers le respect de la pluralité.

Au-delà, les pouvoirs publics doivent rompre avec une logique extensive de normalisation, et privilégier au contraire l’afrmation d’un socle de valeurs normatives minimum communes (droits de l’homme, droits de l’enfant, doit antidiscriminatoire) qui, lui, doit être défendu sans faille. Le caractère minimal de la norme commune doit s’accompagner de son application intensive et intransigeante.

Principe général 5. Le rôle de l’Etat : une action « par le haut » au service d’une initiative sociale « par le bas». Cette politique publique engage nécessairement d’abord l’Etat, en tant que niveau global de la représentation du Nous inclusif et solidaire. Mais, d’une part, il s’agit d’abord d’autoriser, d’accueillir et de favoriser

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l’intensification des mobilisations sociales constitutives d’un Nous (concret, mobile, pluriel), plutôt que d’organiser de manière systématiquement descendante l’action. La logique « par en haut » doit se concentrer sur les cadres référentiels et organisationnels d’action et sur la sollicitation/facilitation des initiatives. D’autre part, en matière d’organisation du cadre politique, l’Etat doit jouer sa fonction d’intermédiaire, en recherchant sans cesse l’articulation de trois niveaux d’action : un niveau européen (duquel dépendent en grande partie les politiques migratoires, celles de prévention et de lutte contre les discriminations, etc.), un niveau national qui est l’un des niveaux de pilotage des grandes politiques et de grandes institutions, et les niveaux locaux – avec la multiplicité des acteurs et des registres d’action nécessairement concernés par ce type de politique.

Principe général 6. Afrmer un horizon commun, sortir de l’instrumentalisation électoraliste. Cette politique devrait idéalement être dégagée des jeux électoralistes, elle devrait reposer sur un nouveau consensus, non plus celui, indicible, qui fait de l’immigration et des jeunes un problème, mais un consensus explicite, qui la place simultanément comme un socle premier et un horizon commun. En réalité, ces questions sont clivantes et le consensus doit être construit dans le temps ; l’on ne saurait donc attendre tel un préalable un improbable apaisement général pour engager cette politique. Celle-ci doit être engagée ici et maintenant et être assumée en dépit des désaccords. Ces derniers sont l’occasion de montrer un intérêt politique supérieur, tout en prenant acte de l’existence inévitable de conflits. L’enjeu majeur des pouvoirs publics, dans ces conditions, est de garder le cap de l’intérêt commun et de refuser systématiquement l’instrumentalisation de cette question.

Principe général 7. Vers un nouveau service public : des institutions réfexives. Cette politique vise à changer à terme les cadres politiques, cognitifs et symboliques sociétaux. Pour cela, elle doit agir en premier lieu sur les institutions et organisations (entendues au sens large : statut juridique public et privé, indissociablement). Car toute organisation instituée a, par délégation et de fait, une responsabilité première et majeure dans la structuration de la société, dans le respect et la promotion du droit et des valeurs communs, et dans la régulation des rapports sociaux qui traversent et influent sur toute organisation. L’action publique doit ici viser le développement de la réflexivité des institutions , en re-développant un plein souci du service public.

Cette politique s’adresse cependant à tou.te.s les citoyen.ne.s, dans une visée commune de faire société sur un fondement égalitariste, dans la mobilisation des énergies pour relever ce défi, et notamment dans la vigilance commune et démocratique à ce que les institutions respectent les conditions de la délégation qui leur est faite (respect du droit et des valeurs fondamentales).

Principe général 8. Une politique qui vise à changer les « règles du jeu ». Concrètement, cette politique publique a pour objet majeur de travailler sur les normes, autrement dit sur les logiques réelles présidant aux processus de sélection, de diférenciation et de mise à l’écart, dans le fonctionnement concret de la société et de ses organisations instituées. Il s’agit de faire en sorte que ces fonctionnements et logiques de sélectivité ne soient pas concrètement antinomiques avec les valeurs et normes minimum de référence de la société, de manière à ce que ces valeurs communes soient vérifiables en pratique, dans les expériences sociales que nous en avons.

Cette politique doit également viser à favoriser les compromis normatifs concrets, dans les situations de conflit engageant des principes et normes divers. Elle doit ainsi viser à garantir les valeurs fondamentales tout en recherchant en permanence des arbitrages pratiques susceptibles de répondre aux défis concrets.

Principe général 9. Ni public cible ni territoire prioritaire. A contrario, cette politique publique ne cible en aucun cas des publics ni des territoires. Elle ne peut être structurée ni à partir de la politique de la ville ni à partir d’une politique de l’immigration. Elle doit certes prendre en compte le fait que certains groupes et certains territoires sont plus que d’autres objet de discrimination et de disqualification. Cependant, elle n’est pas d’abord organisée par une logique de compensation, mais par une logique d’égalité de traitement. Cela suppose en premier lieu d’agir sur les mécanismes qui privent les personnes, les groupes et les territoires des ressources qui leurs sont nécessaires et des droits qui leurs sont dus.

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Principe général 10. Hiérarchisation des enjeux et articulation des politiques. Cette politique doit être articulée avec toutes les autres, et leur imprimer son exigence propre d’égalité. Elle doit donc aussi s’articuler avec une politique de redistribution permettant d’assurer à ceux (publics comme territoires) qui en ont le plus besoin des ressources leur permettant de vivre décemment. Les politiques de compensation, d’insertion, etc., n’étant que secondes, dans cette approche, il est impératif de veiller constamment à ce que leurs logiques diférentes voire contraires ne se substituent pas à l’approche première de l’égalité.

Principe général 11. Une politique délibérément pragmatique. Cette politique publique doit être pragmatique. Cela signifie qu’elle doit rompre avec une approche idéologique qui est aveugle à la réalité sociale des rapports ethniques et raciaux, qui cristallise sur une représentation idéalisée de la société, et qui stigmatise par conséquent les tactiques identitaires ou politiques des personnes et des groupes minorisés.

Pragmatique ne veut en aucun cas dire sans référence ni fidélité à des valeurs. Le pragmatisme ne se confond pas non plus dans une politique gestionnaire et de gouvernance par la seule efcacité supposée des outils. Cette politique doit à l’inverse être très clairement fondée sur un référentiel et des valeurs (qui font référence pour juger de la pertinence et de l’efcacité), tout en étant toujours soucieuse de prendre en considération la réalité, dans sa complexité et sa multiplicité, comme point d’ancrage et de départ de l’action.

Principe général 12. Une politique qui articule reconnaissance et légitimité. Il s’agit en fait de travailler sur un double principe de reconnaissance et de légitimité :

– Une reconnaissance des personnes dans leurs singularités, leurs expériences et leur droit à conduire leurs vies comme elles le souhaitent – dans le respect des cadres sociétaux minimums communs – et pour cela, il s’agit d’assurer une reconnaissance des problèmes sociétaux qui empêchent l’égalité et contraignent injustement cette liberté (non-droit, inégalités efectives, discriminations, ségrégation…).

– Une légitimité des personnes à être ici chez elles, et comme elles sont ou se sentent être, et en conséquence une légitimité des acteurs et des organisations à agir sur les problèmes qui empêchent la normalisation des statuts sociopolitiques et la réalisation d’une égalité efective des droits et de traitement.

Principe général 13. Dédramatiser l’altérité et décrisper le rapport à l’immigration. La politique publique doit favoriser un climat social pacifié et « familier », pour que chacun puisse se sentir chez soi dans la communauté nationale, et souhaiter en rester partie prenante voire désirer s’y investir activement. Les pouvoirs publics, tout particulièrement, ont la responsabilité de développer un discours inclusif, qui dédramatise l’altérité et qui encourage des sentiments d’équivalences entre des vécus individuels ou collectifs divers (un sentiment de fraternité, si l’on veut).

La normalisation de la situation des « héritiers de l’immigration » (leur reconnaissance comme des Egaux) se distingue de la question du droit de l’immigration. A ce titre, le portage de cette politique globale ne relève pas de la compétence du ministère de l’Intérieur (comme cela a été le cas). En revanche, l’organisation d’un Nous inclusif et solidaire ne peut avoir pour contrepartie une politique d’immigration inhospitalière, tendue vers le soupçon et la précarisation des « immigrés ». Car l’ordre interne de la collectivité fonctionne en lien avec les frontières externes. Un climat social pacifié à « l’intérieur » suppose une décrispation globale de la question de l’immigration.

Principe général 14. Agir avec/dans l’hétérogène et le confictuel. Un climat pacifié ne veut pas dire la négation ou la minimisation des conflits, ni la promotion d’un discours unitaire et éthéré sur « ce qui nous rassemble ». Bien plutôt, c’est le souci de trouver des manières de coopérer qui doit animer la politique publique, c’est-à-dire construire des compromis à partir de nos conflits et nos désaccords. Les conflits sont une opportunité concrète de mettre nos principes communs à l’épreuve, et donc d’éprouver notre capacité collective à reformuler des accords pratiques pour vivre ensemble. L’un des enjeux majeur, pour tout citoyen mais plus encore pour les institutions, est en conséquence l’apprentissage d’un savoir faire avec l’hétérogénéité et dans la conflictualité.

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Principe général 15. Articuler l’action sur les divers rapports sociaux. Cette politique publique ne peut opposer et jouer l’une contre l’autre la question dite des inégalités sociales, celle des discriminations et des ségrégations, et celle de l’antiracisme et de l’antisexisme – entre autres. Elle doit être à la fois globale, spécifique et articulée : globale en prenant simultanément en considération la pluralité des rapports sociaux ; spécifque en reconnaissant la singularité historique et concrète de chacun d’entre eux, ainsi que les diférences entre la question des discriminations et celles du racisme ou du sexisme par exemple ; elle doit être articulée, dans le sens où il faut concevoir un cadre général susceptible de travailler la façon dont ces rapports sociaux se diférencient et se combinent en même temps.

Principe général 16. Combiner contrainte externe et auto-engagement. Cette politique doit reposer sur une articulation indissociable entre une logique de contrainte et une logique d’engagement vérifié en pratique. La contrainte d’abord, car le droit de l’égalité, et celui de la liberté de pensée (opinion, religion…), constituent un socle minimum commun qu’il s’agit de faire appliquer ; le non-respect de ce droit doit logiquement entraîner des sanctions appropriées. Un engagement vérifé en pratique, ensuite, par une incitation forte à des formes d’engagement concrets pour vérifier et réaliser l’égalité ; ces engagements ne peuvent être seulement moraux et de principes, mais ils doivent être pragmatiques (i.e. partir de la réalité telle qu’elle est), concrets, vérifiables et donc évalués et contrôlés.

Principe général 17. Un cadre politique et fnancier à moyen terme. Cette politique publique doit être pérenne et inscrite dans le moyen et long terme. Elle doit, pour cela, bénéficier d’une priorité gouvernementale politique et économique à la mesure de l’importance sociétale de cet enjeu. Une politique de l’égalité doit assurer la pérennité et la légitimité du cadre de travail sur son objet. Elle doit accompagner cet engagement des moyens, ses ressources nécessaires, ainsi que fournir aux acteurs engagés (les professionnels chargés de traduire en pratique cette intention politique, notamment) la légitimité et la valorisation nécessaires pour ce faire. Cela suppose de faire de l’égalité un axe normal et attendu (donc aussi évalué) du travail de chaque institution et de chaque professionnel.

Principe général 18. Ramener toujours au droit commun. Une politique d’égalité n’est pas une politique d’exception – même si les circonstances qui président à son instauration sont assez exceptionnelles par l’ampleur des problèmes et des défis. Elle doit être au contraire une politique guidée par le souci permanent d’assurer le droit commun, dans le double sens du terme : un enjeu de droit, et une banalité des mécanismes.

Ainsi, plutôt que de se singulariser par des dispositifs spécifiques, cette politique veillera à investir prioritairement les dispositifs existants – en comprenant pourquoi ils ne sont parfois pas appliqués et ce qui ne fonctionne pas – plutôt que de produire de nouvelles dispositions et de nouveaux dispositifs qui risquent de rester à leur tour en déshérence, de générer des efets pervers ou de dévier vers d’autres logiques.

Principe général 19. Libérer les énergies créatives et inventives, et s’appuyer sur celles qui sont déjà à l’oeuvre. Elle gagnera donc à investir sur les expérimentations, mais à condition de leur conférer les moyens (de cadre, de temps et d’accompagnement par la recherche, notamment) et d’assurer leur légitimation politique ainsi que leur valorisation pratique. Dans tous les cas, la politique publique doit investir sur une stratégie systématique d’évaluation – en privilégiant une évaluation constructive, réalisée chemin faisant et à même de réorienter l’action en même temps qu’elle dégage des principes, logiques et leviers plus généraux.

Principe général 20. S’appuyer sur la recherche en sciences sociales. Pour étayer et vérifier son pragmatisme et sa pertinence, la politique publique a besoin des savoirs produits et accumulés par les sciences humaines et sociales, concernant tant la connaissance des processus sociaux et sociétaux, que l’analyse des logiques d’action. Ces savoirs doivent être encouragés, financés, valorisés, portés à connaissance et discutés publiquement, afin d’irriguer l’action publique et la société plus généralement.

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 Une approche stratégique de l’action. 7 leviers transversaux pour organiser l’action publique

Plutôt que de proposer une longue liste d’outils et d’actions possibles, nous privilégions ci-après une approche stratégique, en pointant ce qui nous semble être des grands leviers relevant au premier chef de la responsabilité des pouvoirs publics. L’objectif majeur n’est pas, rappelons-le, une action descendante, mais la construction d’un cadre favorable à la pluralité, incitatif et accueillant à l’égard des mobilisations sociales (efectives ou potentielles), mais aussi normatif et prescriptif quand c’est nécessaire à l’égard des organisations instituées.

Levier transversal 1. Le pilotage global de la politique nationale tournée vers les organisations instituées.

Celui-ci suppose d’être rattaché au plus haut niveau de l’Etat. Concernant son administration globale, il s’agit d’en faire une compétence directement assurée par le Premier ministre au titre de l’interministérialité. Elle doit se traduire dans un plan d’action interministériel, avec des objectifs clairs et des moyens adaptés.

Sur ce volet, la politique doit s’inscrire et s’ancrer dans toutes les organisations et institutions, et elle doit traverser et se décliner dans tous les dispositifs et les actes. Cela signifie premièrement que le pilotage interministériel doit correspondre à une exigence expresse à l’égard de chaque ministère et administration, et non une inscription flottante qui caractérise trop souvent l’interministérialité. Cela signifie ensuite que chaque ministère a non pas la responsabilité d’initier des outils et dispositifs spécifiques, mais qu’il est redevable de montrer que tous les axes de travail engagés et chaque dispositif prend en considération la vérification et la réalisation de l’objectif d’égalité. Autrement dit, cette dimension doit être systématiquement nommée, prescrite, organisée et évaluée. Elle doit être incorporée non seulement dans les actes de l’administration (son action externe), mais aussi toujours dans son fonctionnement interne : gestion des ressources humaines ; cadres et organisation de l’action ; principes, règles et normes ; systèmes professionnels et action des agents. Sur ces deux registres, interne et externe, chaque ministère doit décliner un plan d’action avec des objectifs explicites évalués aux diférents niveaux.

Levier transversal 2. L’engagement et la diffusion dans toutes les organisations instituées. La politique publique doit être systématiquement investie dans les diférents secteurs d’action et auprès des diférentes catégories d’acteurs concernés. Il s’agit bien entendu des collectivités locales et territoriales, de chaque organisme public ou parapublic, de toutes les entreprises, les associations, etc. Chaque acteur est concerné potentiellement à trois niveaux :

– dans son fonctionnement interne (normes du travail, ressources humaines, rapports de travail, etc.) ; – dans sa production de biens et de services externes ;
– dans sa production extérieure de normes (réglementation, appels d’ofres, etc.).

Sur le plan de l’engagement, la politique publique doit difuser le plus systématiquement possible. Pour ce faire, la gouvernance gagnerait à investir tout particulièrement les relais potentiels que sont les réseaux et collectifs susceptibles de difuser et de se réapproprier les normes et logiques de cette politique publique : partenaires sociaux, groupements intermédiaires, réseaux ou associations professionnels74, etc. Ces réseaux et collectifs sont en efet souvent bien placés pour assurer tout à la fois : une expertise globale des enjeux et des fonctionnements du secteur ou du métier ; une stratégie adaptée et pragmatique ; un soutien politique, technique et d’expertise pour mettre en œuvre ces politiques ; une capitalisation et une valorisation des expériences ; une difusion d’information dans les milieux professionnels.

Levier transversal 3. Une stratégie efcace de contrainte et de sanction par/avec le droit. Sur le plan de la contrainte, il s’agit de clarifier, d’activer et de développer une politique de contrôle, assortie d’une répression et

74 Par exemple, dans les domaines de l’éducation et de l’emploi : Conseil national et Unions ou Associations régionales des missions locales, Unions régionales des entreprises d’insertion, Réseau national de lutte contre les discriminations à l’école, Inter-réseaux du développement social urbain, réseaux relatifs à des groupes professionnels (à l’école : chefs d’établissements, conseillers principaux d’éducation, conseillers d’orientation- psychologues…), fédérations des centres sociaux, etc.

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d’une sanction des délits (discrimination directes, mais aussi violences racistes, etc.) et/ou d’une incitation à régler par voie civile ou par voie de médiation les litiges relatifs à l’égalité. Le recours juridique ne constitue pas en soit la politique publique, ce d’autant moins que son efcacité est limitée et qu’il n’est souvent pas un moyen privilégié par ceux qui subissent la discrimination. Par contre, il relève de la collectivité de rappeler, de maintenir et d’assumer la primauté du droit comme socle minimum commun.

Le droit doit jouer d’une part comme limite ultime sanctionnant le plus efcacement possible les délits (donc des situations de discrimination ou de racialisation intentionnelle) ; sur ce plan, un net progrès est à faire. Le droit doit jouer d’autre part plus efcacement comme principe de règlement des litiges, ce qui suppose d’investir sur les juridictions civiles (Prud’homme, tribunal administratif, etc.). Dans un cas comme dans l’autre, la volonté politique de condamner les inégalités et de promouvoir l’égalité suppose d’investir le droit comme marqueur, notamment en recensant et en faisant publicité de toutes les condamnations.

La question doit être incorporée dans la politique des services concernés, et notamment dans une politique pénale. Celle-ci doit prendre appui sur les pôles antidiscrimination des Parquets, en ayant le souci de faire progresser l’usage concret du droit antidiscriminatoire, et d’investir pour ce faire sur la connaissance et la réflexion sur les mécanismes discriminatoires (avec de la formation des agents) et les moyens juridiques d’établir la preuve. Un groupe de travail spécifique au niveau national, autour de ce chantier – gagner en pertinence stratégique dans l’usage du droit antidiscriminatoire – est nécessaire.

Levier transversal 4. Une adaptation pragmatique et stratégique du cadre juridique. Le dispositif juridique antidiscriminatoire est globalement sufsant. Le problème réside plutôt dans les conditions de sa mobilisation, et dans la volonté politique de faire de la loi un outil efcace en matière de discriminations. De ce point de vue, des améliorations – marginales – de la loi semblent pertinentes, et notamment :

– L’introduction des « class action » ou d’un équivalent, autrement dit de la possibilité d’ester collectivement en justice. Cela permettra aux plaignants une meilleure préparation par la mutualisation des moyens, et donc cela agira comme une nécessaire modification du rapport de force. Cela favorisera par ailleurs la reconnaissance du caractère collectif des mécanismes discriminatoires. Deux propositions de lois ont été récemment déposées au Sénat et à l’Assemblée nationale à ce sujet.

– Un renforcement signifcatif des montants des indemnités de réparations pour faits de discriminations dans le droit du travail (article L.1134-4 du code du travail), en plus des dispositions actuelles concernant l’annulation contractuelle et le rétablissement de la victime dans ses droits. Cela permettrait d’accroître le risque financier pour les entreprises ou administrations qui discriminent.

Levier transversal 5. En fnir avec les discriminations légales. De façon nettement moins marginale que les adaptations juridiques précédentes, il s’agit de faire évoluer systématiquement le cadre du droit pour assurer l’égalité, en supprimant les dispositions légales et réglementaires créant des discriminations légales :

– La suppression des conditions de nationalité pour accéder à un emploi, tant dans les fonctions publiques que dans les secteurs public et privé, y compris les nouvelles dispositions comme celles qui font obstacle à l’accès à l’enseignement privé sous contrat (Décret MEN n°2013-767 du 23 août 2013). La réglementation européenne y tend (de l’article 39 du Traité instituant la Communauté européenne jusqu’à la directive 2003/ 109/CE du Conseil du 25 novembre 2003, qui n’a été que partiellement transcrite). La HALDE a également proposé la levée systématique de ces obstacles, à l’exception des emplois liés à la souveraineté nationale ou à l’exercice de prérogatives de puissance publique aux nationaux (Délibération n° 2009-139 du 30 mars 2009).

– La suppression des dispositions légales et réglementaires scolaires discriminatoires, concernant notamment le « voile », conformément au sens des dispositions internationales ratifiées par la France (Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, article 18 notamment) : il s’agit particulièrement de la loi du 15 mars 2004 créant l’article L.141-5 du Code de l’éducation, et des dispositions de la circulaire de rentrée n°2012-056 du 27-3-2012 concernant l’accompagnement aux sorties scolaires. Ces réglementations,

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outre de comporter elles-mêmes de manière implicite une logique discriminatoire, qui joue au final sur la perte de confiance dans l’institution scolaire, servent de justification pour une extension des pratiques discriminatoires dans de nombreux secteurs (entreprises, universités et centres de formation, cantines scolaires, structures de la petite enfance, services publics…).

Levier transversal 6. Une « Cour des comptes de l’égalité ». La réforme qui a conduit a faire disparaître la HALDE dans le Défenseur des droits a eu des efets négatifs sur l’identification et la pertinence de l’objectif politique antidiscriminatoire. Pour des raisons d’efcacité et de lisibilité de la politique publique, il apparaît donc nécessaire de sortir la compétence antidiscriminatoire et de promotion de l’égalité de l’indistinction actuelle. Ceci dit, il ne s’agit pas simplement de revenir à une situation antérieure, qui à bien des égards était insufsante. Par ailleurs, le rôle aujourd’hui joué par le Haut conseil à l’intégration n’est pas favorable à la promotion d’un Nous inclusif et solidaire, à commencer par l’appellation de cet organisme. Il y a donc lieu d’y mettre fin.

Ces réformes architecturales constituent l’opportunité de donner à ces questions le statut qu’elles appellent, en faisant des problématiques d’égalité, de non-discrimination/ségrégation, etc., la prérogative propre d’un nouvel organisme indépendant aux pouvoirs étendus : une sorte de « Cour des comptes de l’égalité ». Le nom proposé prend en considération la triple dimension symbolique de la Cour des comptes qui existe à ce jour en matière de finances et d’économie publiques : l’indépendance réelle et les pouvoirs globaux d’enquête de cet organisme ; son poids politique en matière de formulation de problèmes publics et de recommandations ; l’idée que l’égalité appelle à faire les comptes et mécomptes des voix et des places. Statutairement, il ne s’agit pas nécessairement d’une juridiction administrative (comme l’est la Cour des comptes) ; cela peut être une autorité indépendante (comme l’était la HALDE).

Par contre, cet organisme doit avoir des compétences étendues, reprenant et améliorant celles précédemment dévolues à la HALDE (mission d’information, habilitation à mener auditions et enquêtes, à transmettre des dossiers au procureur, à dresser des procès-verbaux en cas de discrimination prouvée par testing, à proposer des transactions, à faire des recommandations…), mais les complétant par ailleurs par une fonction étendue d’observation et d’interpellation politique :

– une mission d’observation avec habilitation à mener diverses auditions et enquêtes en matière de politique d’égalité et de non-discrimination des ministères et des administrations ;
– une fonction de veille, d’alerte et d’anticipation, avec une capacité de recommandation de toute modification législative, réglementaire ou de stratégie politique en matière d’égalité et de non-discrimination, et avec la capacité de rechercher des techniques et stratégies juridiques permettant d’améliorer l’efectivité du droit ;

– une fonction d’observation globale de l’état des discriminations illégales dans le secteur privé, dans les fonctions publiques75, ainsi que l’évolution des discriminations légales ;
– une fonction d’observation nationale des procédures judiciaires en matière de discrimination, capable de faire remonter, centraliser et analyser l’ensemble des jugements et ainsi dégager les tendances de la jurisprudence, et capable de médiatiser systématiquement l’efet comme les fragilités de la politique publique et des institutions chargées de l’application du droit en la matière ;

– une fonction d’observation nationale de l’ethnicisation et de la racialisation des discours politiques et médiatiques, capable de renvoyer aux professionnels du discours publics et aux citoyens l’image de la façon dont la responsabilité des discours publics est assumée en matière de représentation du Nous inclusif et solidaire ;

– une mission d’animation d’un programme d’études et de recherche en matière d’inégalités, de discriminations et de ségrégation ;
– la remise tous les deux ans d’un rapport, rendu public, faisant les comptes de l’égalité dans la société française.

75 Cela rejoint et inclut la proposition n°1 du rapport d’Alain Touret (2012) sur la discrimination dans la fonction publique.
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Levier transversal 7. Une évaluation nationale tous les cinq ans. La politique publique doit faire l’objet d’une évaluation globale, donc nationale. Nous proposons un rythme d’une fois tous les cinq ans – donc, en temps ordinaires, une évaluation calée sur le rythme du mandat électif du président. Ceci, afin de favoriser l’intéressement politique à faire progresser cette question, et également afin de soumettre régulièrement ces questions au débat public. Cette évaluation nationale doit bien entendu mobiliser des chercheurs et se référer d’une exigence scientifique – on bénéficie sur ce plan en France d’une importante littérature et de normes globalement adéquates. Mais elle ne doit en aucun cas échapper aux citoyens, sans quoi c’est sa logique politique d’explicitation de ses valeurs qui fait défaut (Viveret, 1989). Les citoyens doivent être au cœur d’un dispositif évaluatif qui est l’occasion de repartager les enjeux pour la Cité, et de recréditer la politique publique d’une légitimité, en vérifiant collectivement sa pertinence. Il s’agit donc de mettre en place un dispositif combinant les niveaux locaux et nationaux, multipliant les scènes où se joue l’évaluation, et fondé sur des méthodes de confrontation de la pluralité des points de vue.

 Une stratégie spécifque dans le domaine scolaire et universitaire

Principe école 1. Eviter la scolarisation des enjeux. Si l’école a un rôle à jouer en matière d’égalité, ce n’est pas d’abord par sa fonction éducative. C’est avant tout, comme toute autre institution, parce qu’elle contribue à produire des inégalités, des discriminations, de la ségrégation, de l’ethnicisation. C’est ensuite parce que, lieu accueillant en principe tous les enfants, elle doit réguler les relations et rapports d’altérisation, de racialisation et d’exclusion – qui ne sont jamais à proprement parler des discriminations76. C’est enfin parce que cette institution a pour programme l’éducation et l’apprentissage qu’elle doit assurer l’acquisition de savoirs (sur la discrimination, le racisme, le droit, l’histoire des immigrations et de la colonisation, etc.), la transmission de valeurs, et l’acquisition de savoir-faire et savoir-être propres à favoriser la coopération et régulation des conflits.

Cette hiérarchie des trois niveaux de responsabilités est cruciale, dans la mesure où l’incorporation des valeurs suppose que l’on puisse les expérimenter concrètement, et donc l’on peut apprendre à respecter les autres si l’on se sent soit-même bien-traité et respecté à et par l’école. Cette remarque sur les limites de la scolarisation de l’enjeu antidiscriminatoire vaut plus généralement : d’une part, l’école n’a pas vocation à résoudre tout le problème des discriminations en général (qui se produisent aussi ailleurs), et d’autre part les enfants (et les « générations futures») n’ont pas vocation à régler par leur éducation les problèmes qui engagent ici et maintenant la responsabilité des adultes (et des générations « actuelles »).

Principe école 2. Travailler sur l’expérience socio-scolaire des valeurs. Les remarques précédentes s’appliquent aussi à l’objectif de favoriser une identification positive à un Nous inclusif et solidaire : si l’Education nationale a bien sûr son rôle à jouer à l’égard de cet objectif se socialisation, ce ne sont pas les discours moraux d’ordre prescriptif qui assureront cet enjeu. L’apprentissage doit pouvoir être fondé sur l’expérience. Cela veut dire que l’école doit évoluer plus généralement vers des logiques et pratiques de coopération (et non de concurrence, de distinction, d’élitisme), et vers un principe de responsabilisation (et non, comme trop souvent, vers une logique d’infantilisation77). Cela ne signifie pas, par contre, qu’il faille au préalable que l’école – ou toute autre institution – soit « exemplaire », au sens de jamais humiliante, jamais discriminatoire, etc. Car ce préalable de perfection risque

76 Une discrimination suppose l’exercice d’une fonction de pouvoir, donc une asymétrie instituée propre à une logique de sélection, ce qui n’est par définition pas le cas des élèves (ni des parents) à l’école : la discrimination dans l’éducation, c’est l’afaire des adultes à l’égard des enfants, l’afaire des agents scolaires et des administrations à l’égard des publics, ou l’afaire de l’administration et des hiérarchies à l’égard des salariés.

77 Pour éviter tout malentendu sur le terme de « responsabilisation » : la logique d’infantilisation fait injonction à la « responsabilité » et à « l’autonomie », mais cela renvoie à une forme de contrôle exercé par un discours surplombant sur des publics tenus pour subalternes. Une logique de responsabilisation suppose, à l’inverse, de considérer que les interlocuteurs sont également capables (politiquement) et qu’on les traite donc comme des personnes dignes d’une exigence commune de responsabilité. La responsabilisation, en ce sens, c’est une commune et réciproque exigence démocratique.

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bien de ne jamais être atteint… Et aussi, car la plupart des gens ne croient tout simplement plus à ces discours vertueux. Là où l’institution et ses agents doivent apprendre à « faire exemple » (plutôt qu’à le « montrer »), c’est dans la capacité pratique – et vérifiable – à assumer les limites mêmes de l’école et du travail, et donc à prouver en acte la responsabilité de l’école de nommer, de mettre un terme et de sanctionner les situations d’injustice, d’humiliation, de discrimination, etc. qui s’y produisent. Cette éthique de la responsabilité est en réalité bien plus difcile à tenir que de simples discours, et pour ce faire les agents auront besoin d’espaces appropriés, collectifs et peut-être accompagnés, pour travailler à rendre efective cette exigence.

Principe école 3. Développer un rapport d’opportunité pédagogique. Concernant l’enseignement, l’école doit combiner le respect de la singularité et de la croyance de chaque élève et chaque famille, avec une haute ambition politique de former des citoyens émancipés, donc capables de penser librement par eux-mêmes et respectueux les uns des autres. « Pour cela, note la Ligue de l’Enseignement (2012), l’enseignement ne doit pas s’en tenir à l’apparence de valeurs partagées (…). L’école ne doit rien s’interdire (…) » pour travailler de tels enjeux. Elle se doit au contraire d’investir les interrogations et des problématiques qui sont cruciales pour la construction d’un Nous inclusif et solidaire, et qui taraudent justement souvent les enfants, les adolescents comme les adultes : les religions, les histoires coloniales et migratoires, le racisme et les discriminations, mais aussi la sexualité, les hiérarchies sociales, etc. Ce n’est pas en créant artificiellement des occasions de communier, par exemple face au nazisme78, que l’on fait progresser les valeurs, mais en potentialisant les situations et questions réelles qui meuvent et concernent les enfants. Les conflits et controverses, dans la société comme au sein de l’école, représentent de ce point de vue des opportunités pédagogiques concrètes.

Principe école 4. Développer une culture de l’égalité et de l’atention à la pluralité. Si les enseignants sont souvent convaincus des enjeux antiracistes et favorables en principe à la « diversité culturelle », les rapports d’enseignement sont très largement tournés vers une conception normative des élèves, et vers des attendus homogénéisant à l’égard des classes. L’un des principes forts de la politique publique doit donc être de favoriser et développer chez les agents et dans les équipes une culture concrète de l’égalité et une attention efective au respect de la pluralité. Cela rejoint un objectif général d’apprendre à travailler en contexte hétérogène, ce qui suppose de transformer à terme les référents du métier et d’outiller les professionnels.

Principe école 5. Donner aux enseignants la légitimité et les ressources pour pouvoir faire ce travail. Développer un rapport d’opportunité, un savoir-faire de coopération, une capacité à réguler les conflits, savoir argumenter sur des controverses, ou encore mieux accueillir les parents, etc…. Ces objectifs existent déjà peu ou prou dans l’école, qui est censée former à débattre (en éducation civique), à la connaissance de la colonisation (en histoire), à la prise de responsabilité (délégués élèves, conseils de la vie lycéenne), parfois même à la médiation des conflits… Ou encore, les établissements sont censés avoir des « espaces-parents », les agents travailler en « équipe » et en « partenariat », etc. Seulement, ces objectifs ne sont fréquemment pas appliqués, ou de façon seulement formelle. Imposés « par en haut » mais peu valorisés en réalité par l’institution, voire objets d’une incitation expresse à la prudence (en ce qui concerne les « questions sensibles ») ou à ne pas faire de « vagues », ils se heurtent à des peurs professionnelles autant qu’à un manque concret de savoir-faire pédagogique.

Les agents ne sont pas à blâmer ; ils ne sont pas formés à cela ni pour cela, et ils ne disposent généralement pas des cadres de légitimité ni des espaces professionnels pour élaborer collectivement des pratiques pertinentes sur ce plan. Une politique publique à l’égard de ces questions doit donc investir massivement dans la reconfiguration de la formation professionnelle initiale et continue des agents, en même temps qu’elle agit sur les cadres et structures d’action (la classe, l’établissement…) pour favoriser des dynamiques pédagogiques adéquates.

78 Par exemple en faisant lire la lettre de Guy Môquet (2007), ou en « confiant » aux enfants en dernière année à l’école primaire la mémoire d’un des 11 000 enfants juifs de France tués pendant l’Holocauste (2008)…

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Des leviers d’action dans l’institution scolaire

Levier école 1. Un discours politique et institutionnel autorisant. La nouvelle orientation politique doit d’abord se décliner dans la représentation et dans le discours de l’institution scolaire, en particulier à l’attention de ses agents. Il s’agit notamment de :

– Reconnaître explicitement et nommer les problèmes et les difcultés (un discours clair sur les discriminations, la ségrégation, et la responsabilité de l’institution scolaire dans ces processus d’inégalités) ;
– Rompre avec une logique de stigmatisation et/ou de focalisation sur les publics et sur leurs défauts ou besoins supposés spécifiques pour parler de l’action de l’institution ;

– Développer des arguments et des justifications relatifs à la manière dont l’institution et ses agents sont concernés par ce travail et ont la responsabilité d’agir ;
– Légitimer l’action, en autorisant et incitant à analyser, à penser, à expérimenter sur ces problèmes, ce qui passe notamment par une revalorisation des discours concernant la pédagogie.

Levier école 2. Des logiques d’observatoires : ressources humaines et orientation. Concernant les ressources humaines, il s’agit de mettre en place au niveau de l’administration scolaire un groupe de travail et d’analyse, disposant de la capacité d’observer la situation tant aux niveaux de l’administration centrale que de celles, locales, et jusqu’aux établissements. Ce groupe aura pour fonction d’identifier les éventuels mécanismes d’inégalités de traitement (on connaît à ce jour surtout la part genrée du « plafond de verre », par exemple), et d’identifier des points clés de la discrimination lors du recrutement (dans les établissements, entre autres), de l’afectation des agents, des évolutions de carrière, etc. Cette fonction d’observation doit déboucher sur des préconisations identifiant des leviers d’action pertinents pour agir sur ces mécanismes. Elle doit en conséquence se traduire dans une stratégie d’adaptation de l’administration pour prendre en compte les discriminations (prévention, régulations systémiques, sanction, etc.).

Concernant l’orientation scolaire, une fonction d’observation est déjà dévolue aux centres d’information et d’orientation. Les CIO et les conseillers d’orientation-psychologues sont dans une position intermédiaire, entre l’administration, les familles et les établissements, notamment, et de ce fait ils ont une capacité d’expertise des formes de sélection et de traitement mises en œuvre par l’institution scolaire dans l’orientation et l’afectation des élèves. Il serait pertinent d’activer cette fonction d’observatoire et la capacité d’expertise des professionnels sur la problématique de l’égalité de traitement ; mais cela suppose de former les conseiller.e.s et d’inclure explicitement cet objectif dans la mission des directions79.

Levier école 3. La formation continue de l’encadrement. Les cadres de l’administration (centrale comme locale), les corps d’inspection, les chefs d’établissement, etc. doivent être la cible privilégiée d’une stratégie de formation continue. En efet, la difusion de la politique publique suppose que les professionnels censés garantir que les « règles du jeu » soient claires et respectées sont réellement en capacité de le faire. Cela signifie la capacité de promouvoir un nouveau discours (donc, de changer les cadres symboliques de référence), mais surtout de mettre en œuvre cette logique nouvelle, et pour cela de développer une sensibilité aux problématiques, une expertise professionnelle dans l’analyse des processus (d’ethnicisation, de discrimination et de ségrégation), de développer des savoir-faire de régulation des pratiques, des processus et des organisations… et d’oser le faire.

Cela suppose corrélativement de transformer à terme les rapports de travail au sein de l’institution, qui sont très largement organisés par une conception hiérarchique et autoritaire, laquelle empêche souvent de solutionner réellement les problèmes et de favoriser la mobilisation des équipes.

79 Une recherche-action expérimentale sur les discriminations dans l’orientation scolaire, appuyée sur la compétence d’observatoire d’un CIO, a été conduite dans le 18ème arrondissement de l’académie de Paris, à la demande de la Ville. Elle confirme à la fois le potentiel d’expertise des équipes, mais la faible légitimité de la problématique et donc l’importance d’une formation initiale et continue des professionnels et d’un cadre politique de légitimation pour s’approprier les « lunettes sociales » adéquates.

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Levier école 4. Investir massivement sur la formation initiale des professionnels. Environ 300.000 personnes devront être remplacées d’ici 2025 dans l’Education nationale (soit près d’un tiers des salariés actuels). Cela représente un formidable défi, mais aussi une occasion d’enclencher une stratégie de réforme des pratiques et des modèles pédagogiques. Investir sur la formation signifie d’agir particulièrement sur ses objectifs, ses formes et ses contenus (cf. Levier université 2, concernant la formation en ESPE, pour ce qui est des enseignants). L’investissement attendu sur la formation des enseignants doit en outre être décliné pour tous les autres métiers : conseillers d’orientation-psychologue, conseillers principaux d’éducation, etc.

Cela doit s’accompagner d’une reformulation des enjeux et des référents des métiers, et se traduire dans les logiques d’évaluation du travail. Concernant la formation initiale des enseignants, d’autres pays, comme le Québec ont inclus dans les formations initiales des modules sur l’immigration et la diversité, qui peuvent constituer un point d’appui utile et important pour réfléchir aux objectifs de formation, au référentiel et à l’évaluation de ces savoirs, savoir-faire et savoir-être enseignants80.

Levier école 5. Une grande fonction ressource régionalisée. Les transformations précédentes, visant les métiers et les processus de régulation dans l’institution, doivent s’accompagner d’une mobilisation et d’une difusion de ressources : formation continue, savoirs, expériences pédagogiques, supports et outils professionnels, etc. De nombreux circuits, centre-ressources et pratiques existent déjà (CNDP-CRDP-CDDP, CASNAV, CAREP, etc. sans parler des CDI dans les établissements). Par contre, l’organisation actuelle pose trois questions : 1° celle de la prise en compte des problématiques d’ethnicité et de discrimination, qui reste souvent dans le cercle restreint de difusion d’une revue comme Diversité-VEI ; 2° celle de la cohérence entre plusieurs centres ressources thématiques ou relatifs à des segments spécifiques du système scolaire (ZEP, etc.) ; et 3° celle de l’usage des ressources dans une stratégie d’outillage des professionnels, encadrants comme enseignants ou autres agents locaux.

Nous proposons donc d’expérimenter dans quelques académies une refonte globale de la fonction ressource. Celle- ci ne doit pas avoir pour horizon une réforme gestionnaire de l’ordre de la fusion des structures, mais répondre au contraire à une stratégie politique coordonnée de montée en compétence et d’appui aux professionnels. Cela suppose, dans la méthode expérimentale de gouvernance, de penser et construire avec les professionnels les objectifs intermédiaires et les modifcations structurelles pertinentes pour assurer la coordination régionale d’une fonction-ressource tournée vers le soutien aux pratiques et aux équipes. On peut ainsi imaginer que cette fonction ressource globale combine plusieurs types d’outils mobilisables à destination des établissements, des équipes, et des administrations locales :

– De la formation continue réfexive centrée sur la pédagogie à partir d’objets professionnels (la question de la langue, etc.) et non sur des publics-problèmes, comme cela est mis en œuvre par exemple dans l’académie de Lyon par le Centre Michel Delay (dont l’expérience singulière et reconnue pourrait être difusée) ;
– De la diffusion de savoirs et d’outils pédagogiques actualisés, notamment sur les questions d’enseignement de l’histoire et d’éducation civique, autour des questions d’ethnicité, de discrimination, de religions, etc. Il s’agit en particulier de rendre plus accessibles des savoirs qui, pour une part, existent déjà y compris dans d’autres réseaux (revues comme les Cahiers pédagogiques, universités, etc.)81

– Des Equipes mobiles de réfexivité, pour accompagner les équipes et intervenir dans les établissements confrontés à des situations problématiques mettant en jeu par exemple des rapports ethniques, des discriminations ou du racisme. Ce type de situations est fréquent dans toutes les académies, et cela génère des tensions et conflits d’autant plus durs que les professionnels sont peu armés face à ces questions et que les équipes

80 Au Québec, ces cours sont obligatoires et s’articulent autour de certaines des 12 compétences du référentiel développé par le Ministère de l’Éducation, pour évaluer la formation théorique et pratique (en stages). L’université du Québec à Montréal a en outre adopté une 13è compétence spécifique à la dimension « interculturelle » et a construit, en adéquation avec celle-ci, une formation et une grille d’évaluation pour accompagner le travail des « superviseurs » assurant sur le terrain le suivi des stages professionnels des futurs enseignants;

81 De ce point de vue, les CRDP ou CDDP sont pris dans un injonction à l’autofinancement, qui impacte l’objectif d’accessibilité des ressources (coût) et qui les conduit à privilégier la valorisation des productions internes.

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sont peu régulées. Cela nécessite alors la mobilisation d’une expertise collective pour résoudre les problèmes et progresser. Cette stratégie d’action suppose par contre de former des formateurs en capacité d’aider les équipes à travailler sur les processus de régulation des conflits, à développer de l’analyse des pratiques et de l’analyse institutionnelle afin de les aider à appréhender les tensions et les problèmes professionnels et institutionnels en relation avec les rapports sociaux et les mécanismes d’ethnicisation, de discrimination, de ségrégation, d’inégalités .

Levier école 6. Un travail spécifque sur des enseignements clés. Les programmes d’histoire représentent un enjeu important pour prendre en compte la pluralité de la société et favoriser une identification à un Nous inclusif. Les programmes récents, de 2008, représentent de ce point de vue une régression vers le « roman national », en comparaison de ceux de 2002. Les futurs renouvellements des programmes gagneront donc à s’inspirer de l’esprit de ceux de 2002 (quant à un décloisonnement, à la prise en compte de l’histoire du genre ou celle de minorités, etc.). Ceci dit, il faut se garder d’une tendance forte à la sacralisation des programmes – qui constitue une des dimensions du problèmes pour l’école. D’une part, les programmes français d’histoire sont globalement assez ouvertes (comparativement à d’autres pays), et ils ont évolué de façon importante depuis les années 198082. D’autre part, la réforme des programmes ne règle rien en soi, quelle que soit la qualité des contenus, si elle n’est pas accompagnée d’une adaptation des pratiques pédagogiques aux nouveaux contenus, et d’une évolution des rapports des enseignants à la discipline. Une stratégie d’accompagnement est nécessaire – nous avons de ce point de vue en France des exemples dont on peut s’inspirer, parmi lesquels l’accompagnement du programme de français « Lire et écrire, cycle 3 » de 2002.

Un nouveau « panthéon » pour une histoire plurielle. D’un côté les travaux historiens montrent avec force que la structuration de la société (comme de la langue, etc.) repose toujours sur des porosités et des échanges multiformes et incessants avec d’autres sociétés. Mais de l’autre, l’histoire enseignée se réfère à des figures incarnées qui demeurent très largement des « grands hommes » mâles, blancs et hétérosexuels, pour ainsi dire. Il y a donc un enjeu fort à faire évoluer le « panthéon » des figures censées incarner les grands mouvements, les époques et les dynamiques plurielles de la société. Contrairement à une théorie du « reflet » héritée des médias (« représenter la société » selon l’idée que les consommateurs s’identifient par homophilie), l’enjeu n’est pas celui de proposer à chaque catégorie d’élève un représentant supposé de « son origine », mais de proposer à tous les élèves (et de donner à tous les enseignants les supports nécessaires pour) une représentation plurielle et réaliste des hommes, des femmes, des enfants et des collectifs qui ont vraiment « fait l’histoire ». La mise en place d’un groupe de travail national composé notamment d’historiens, d’enseignants, d’élèves et de parents permettra d’avancer en ce sens. Ce groupe pourrait être chargé de proposer une pluralité concrète de figures historiques, de produire des supports pédagogiques pertinents (du genre de l’ABCD de l’égalité des genres, actuellement développé), et de faire des propositions en direction par exemple des éditeurs de manuels, de revues, etc.

Un investissement sur la langue. La question de la langue et des langages est un levier important, à la fois parce qu’il s’agit d’un domaine de compétences très déterminant dans la vie sociale en général, et parce que cela représente l’un des vecteurs concrets de la pluralité. L’un des problèmes réside dans le statut dévalorisé des langues des migrants et ou des « langues et cultures d’origine » des élèves (qu’elles soient nationales ou régionales). Un efort particulier est à faire pour développer les Langues vivantes en question (notamment ; l’arabe, le turc, etc.), et ce ni dans une stratégie ethnique (qui consisterait à développer l’ofre là où l’on pense qu’il y a des publics « d’origine ») ni dans une stratégie de distinction (ou l’enseignement de l’arabe au lycée Henri 4, par exemple, sert des stratégies de contournement de la carte scolaire). Il faut à la fois banaliser la pluralité des langues et encourager leur réappropriation potentielle par tous les élèves, en tant que véhicules donnant l’accès à des univers et rapports cognitifs constitutifs d’une pluralité de civilisations, qui font notre richesse, notre histoire et notre culture commune83.

82 Dans d’autres matières aussi, l’évolution est notable. Il faut se rappeler par exemple que jusqu’en 1988, les programmes de biologie du secondaire (Terminale C ou D) abordaient le thème des « races »…

83 L’école ne doit pas avoir peur des polémiques racistes, comme celle déclenchée dans une école du Sud de la France suite à l’apprentissage par les Rapport du groupe « Mobilités sociales » Page 76/93

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Levier école 7. Faire alliance avec les publics de l’école. Sur ce plan, il est difcile de ne pas faire dans les vœux- pieux, tant la question de « l’ouverture de l’école » est un poncif des propositions de réforme depuis les années 1970 au moins. Il faut néanmoins insister sur le fait que la question du rapport qu’entretient l’institution scolaire avec ses publics – élèves et parents – est centrale. Les mécanismes de discrimination trouvent en efet souvent leur justification professionnelle ou institutionnelle dans un souci de « gérer » des publics pensés comme extérieurs voire comme menace pour l’intégrité de l’école « républicaine ». La problématique du « voile » en est une illustration parmi d’autres ; aussi le changement de réglementation en la matière (cf. Levier transversal 5) ne trouvera pleinement son sens que dans la capacité de l’institution scolaire à regarder les parents autrement que comme un risque, et les élèves autrement que comme des objets à éduquer. Il faut sur ce plan :

– Construire un discours politique et institutionnel qui change la représentation du rapport scolaire et du rapport au savoir de l’école, en plaçant au centre des attentions et des interactions non pas les élèves mais les enjeux d’apprentissage. Ce sont eux qui peuvent être éventuellement objet commun d’un travail coordonné entre élèves, parents et enseignants. Car, comme le dit Yves Reuter, « ce n’est pas l’enfant qui est au centre, c’est l’élève et son rapport au savoir. C’est l’élève qui apprend, nul autre ne peut le faire à sa place »84.

– Travailler dans la formation des enseignants sur le sens de l’institution et du métier et sur des manières de travailler en coopération (cf. Levier école 5).

– Favoriser les expérimentations conduisant à la coopération et la régulation des conflits entre enseignants, élèves et parents autour du fonctionnement de l’école (en travaillant avec les publics sur les discriminations, notamment) et autour des apprentissages (sans focaliser sur les parents « immigrés »85 ou ceux de « classe populaire »). Les conflits sont d’autant plus inévitables qu’il existera toujours des « malentendus » sur le sens et le fonctionnement de l’école ; ceux-ci ne seront jamais résolus par les dispositifs de normalisation qui cherchent à influer en amont sur la manière des parents de se comporter vis-à-vis de l’école et de la scolarité de leurs enfants. Il ne s’agit donc pas de « donner aux parents les codes » de l’école pour qu’ils s’y conforment par avance, mais de leur « donner les clés » (ce qui suppose, métaphoriquement, qu’ils soient en capacité d’entrer dans l’école) afin qu’ils puissent élaborer dans l’interaction avec les agents scolaires des stratégies plus efcaces en fonction de leur attentes propres. De ce point de vue, l’information stratégique sur les mécanismes réels d’orientation et d’afectation, au- delà d’une communication de l’ONISEP sur la forme l’architecturale des circuits possibles, est un exemple des points de crispation/des enjeux stratégiques qu’il est nécessaire de travailler.

– Sensibiliser les élèves et les parents à la discrimination et au droit, et constituer localement des pôles de vigilance face à la discrimination. Il s’agit d’autoriser et de solliciter la parole sur ces processus, afin d’avancer ensemble dans l’exigence d’une prise en compte de ces mécanismes. Contrairement aux peurs qui s’expriment fréquemment, les expériences (comme celle du Collectif « Vivre ensemble l’égalité de Lormont », ou celles d’associations de parents d’élèves mobilisées sur les phénomènes de maltraitance et d’humiliation des élèves en Belgique) montrent que le développement de l’attention aux discriminations et autres formes de maltraitance scolaire ne se fait pas contre l’institution, mais au contraire dans la construction d’une exigence commune d’une école réellement émancipatrice. Parler des problèmes avec les publics n’afaiblit pas l’école ; c’est au contraire le silence et l’aveuglement qui minent la confiance.

Des leviers d’action dans les formations supérieures

Levier université 1. Une production de savoirs externe et interne. L’une des fonctions de l’université est bien de produire du savoir. Or, si la connaissance des processus de discrimination progresse, cela demeure un axe

enfants de la chanson en arabe du film Azur et Asmar. L’institution scolaire est forte de sa capacité à faire des choix éducatifs au nom de « l’intérêt général », et cela passe aujourd’hui par la valorisation et la réappropriation de la pluralité, même s’il n’y a pas de consensus sur ce plan.

84 http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/pages/86_icem_des%C3%A9colesfreinetsurlaloupedel%27universit%C3%A9.aspx

85 Comme le fait le dispositif « Ouvrir l’école aux parents pour réussir l’intégration » du ministère de l’Intérieur, qui, sans cela, semble montrer des efets plutôt intéressants de modifications de l’investissement réciproque école-parents (ceci dit sous réserve d’une évaluation, qui est en cours).

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important de travail. Par exemple, nous ne savons rien ou presque des mécanismes de discrimination, de racialisation, etc. dans l’enseignement supérieur, dans l’orientation scolaire, ou encore dans de nombreux secteurs et domaines du monde du travail.
– Les pouvoirs publics doivent favoriser en général des enquêtes et recherches qualitatives et quantitatives permettant une meilleure compréhension, tant des mécanismes d’inégalités de traitement et de discrimination, que de la manière dont fonctionnent les dispositifs et politiques censés les combattre.

– La question des discriminations doit être inscrite dans les obligations de recherche et d’objectivation des Observatoires de la vie étudiante des universités (nous disposons de l’exemple de l’enquête statistique menée dans le Nord-Pas-de-Calais), et de façon équivalente dans les cahiers des charges des grandes écoles.
– Il est nécessaire de faire un bilan critique des dispositifs dits de « discrimination positive » dans les grandes écoles et/ou dans les Préparations aux grandes écoles. Car, s’agissant par exemple de l’Institut d’études politiques de Paris récemment étudié, plusieurs travaux ont montré que l’ouverture limitée de l’accès à l’entrée de l’établissement se payait par la suite de mécanismes sociaux discriminatoires puissants à l’intérieur de celui-ci. Si bien que les trajectoires professionnelles des diplômés ne sont pas les mêmes selon qu’on a bénéficié ou pas de la discrimination positive. Cette connaissance afnée permettra plus généralement de prendre de la distance avec une stratégie de gouvernance par les outils, qui montre partout ses limites.

Levier université 2. Les ESPE et la formation initiale des futurs enseignants. La responsabilité de former les futurs enseignants du primaire et du secondaire repose en large part sur les universités ou les Pôles recherches de l’enseignement supérieur, à travers les Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). L’enjeu est d’intervenir sur les objectifs, les contenus et les formes pédagogiques. Il faut notamment apprendre à coopérer, à construire pédagogiquement des situations d’apprentissage à partir des opportunités, à développer une attention à la pluralité des rapports aux savoirs et aux mécanismes de production des inégalités, etc. Un objectif majeur devrait être celui de développer un savoir-faire d’enseignement en situation hétérogène (entendue non pas comme hétérogénéité de « cultures étrangères » mais plus généralement comme l’inverse de la représentation d’une classe homogène), dans la mesure où l’on sait que le tri par niveaux à des fins d’homogénéisation des groupes (classes de niveaux) a des efets très inégalitaires, tandis que l’inverse n’est pas vrai. Du point de vue disciplinaire, la formation gagnera à mobiliser de façon articulée des références et des ressources de l’ordre de :

– la pédagogie et la didactique, avec des savoir-faire pratiques pour organiser la classe et les savoirs, pour développer la coopération, pour réguler les conflits, etc. ;
– la psychosociologie, et l’analyse des processus de catégorisation, de stéréotypage, d’attendus et de projections (type efets « Pygmalion »), etc. ;

– la sociologie (des inégalités scolaires, des rapports sociaux de genre et d’ethnicité, etc.) ;
– le droit (droits de l’enfant, droit antidiscriminatoire, etc.) ;
– l’histoire (notamment celle de l’institution scolaire et du métier, pour permettre aux professionnels de se situer et d’inscrire leur positionnement professionnel et leur travail dans une perspective).

Levier université 3. Le développement des formations en sciences sociales. Il existe à l’heure actuelle peu de formations en sciences sociales, notamment au niveau master, qui prennent les discriminations et les rapports ethniques pour objet de recherche ou qui conduisent à des carrières dans les institutions publiques ou de la société civile, de professionnels spécialisés en matière de luttes contre les discriminations et d’inégalités. C’est pourtant une condition essentielle à toute politique publique dans ce domaine, afin d’accompagner les dispositifs existants et futurs, d’en comprendre et d’en accepter l’esprit et d’en permettre le développement. Le soutien aux formations existantes et l’incitation à développer l’ofre peut être un levier important.

Levier université 4. L’accès à l’enseignement supérieur. Malgré les successives « massifications » du système scolaire, plus de la moitié d’une classe d’âge demeure exclue de l’accès à l’enseignement supérieur. Compte-tenu du poids de la formation dans l’accès ultérieur au monde du travail, il y a là un mécanisme inégalitaire indirect à

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travailler. Plusieurs pistes de travail méritent d’être explorées :

– Un travail sur les mécanismes d’autocensure, en investissant l’action en amont dans les bassins territoriaux principaux de recrutement. Un levier possible, expérimenté par exemple par l’université Paris 8 avec l’association AFEV, consiste à intervenir par une information élargie (à la fois générale, sur l’université et ses voies, et stratégique, sur les obstacles et usages possibles de l’ofre) dans les parcours des étudiants y compris dans les activités associatives ou civiques périphériques. Par ailleurs, l’ouverture aux parents des collégiens et des lycéens des établissements universitaires, au-delà même des journées portes ouvertes, pourrait favoriser cette « mise en relation ». Cela met en jeu plus généralement les stratégies d’accompagnement à l’orientation.

– L’investissement étudiant dans des associations pourrait être reconnu, au même titre que l’investissement syndical à l’heure actuelle, dans des stratégies de validation des acquis permettant de convertir en diplômes des expériences de terrain.

 Une stratégie spécifque dans le domaine de l’emploi et du travail

Sur le plan de la mobilisation des entreprises, on a jusqu’ici privilégié la difusion d’outils et de cadres d’engagements moraux, tels que le Label diversité ou l’Accord national interprofessionnel relatif à la diversité dans l’entreprise. Ces dispositifs comprennent des éléments pertinents (notamment, nous l’avons dit, le fait que le Label repose sur un contrôle de l’engagement, ce qui a un efet d’entraînement vers une progression des exigences). Mais d’une part il est préférable d’agir sur des leviers généraux susceptibles de concerner potentiellement tout le système-travail, plutôt que de nourrir une fétichisation des outils ; d’autre part ces dispositifs ont des limites importantes, au premier rang desquels le fait que la discrimination ethnico-raciale est à peu près systématiquement banalisée puis occultée. En outre, les principes politiques sur lesquels ils se fondent mériteraient d’être clarifiés, particulièrement pour l’Accord national interprofessionnel86 (élaboré en 2006, c’est-à-dire au moment du retour de « l’intégration » et du discours entrepreneurial sur la « diversité » et « l’égalité des chances »), sans quoi le problème risque grandement d’être dévié ou enterré derrière un engagement formel et flou. Les propositions suivantes se concentrent donc sur de tels leviers généraux, visant à donner aux acteurs sociaux (syndicats, SPE, etc. des normes, des cadres et des ressources plus efcaces).

Levier Travail 1. Une obligation étendue en matière de négociation des partenaires sociaux. Il existe dans les entreprises de plus de 50 salariés une obligation de négociation, notamment sur l’égalité femmes/hommes. Cette obligation implique la négociation entre partenaires sociaux et la formulation d’objectifs de progression, d’actions permettant de les atteindre et d’indicateurs chifrés d’évaluation. Des pénalités sanctionnent les entreprises concernées qui ne sont pas couvertes par un accord collectif ou un plan d’action sur l’égalité professionnelle. Récemment encore, ces obligations ont été renforcées (loi du 26 octobre 2012 portant création des emplois d’avenir, décret n° 2012-1408 du 18 décembre 2012, circulaire du 18 janvier 2013), et les pouvoirs publics insistent sur plusieurs axes stratégiques : priorité à la négociation collective, augmentation du nombre de domaines d’actions concernés (dont les rémunérations efectives)…

86 Outre qu’il est de fait peu appliqué et qu’il concerne peu la discrimination ethnico-raciale, l’Accord national comprend des ambiguïtés importantes, qui jouent comme un message paradoxal. Il pose par exemple comme principe que « les entreprises ont toujours permis l’intégration de populations d’origine étrangère et ont fait cohabiter entre elles des personnes de diverses origines. Elles contribuent au respect des principes républicains qui ne laissent pas de place au communautarisme ». Cette manière de présenter les choses occulte l’ordre du problème, en ne nommant pas clairement la responsabilité des entreprises dans la production de discriminations (celles-ci sont seulement posées comme un « problème de société »). Cela conduit à un discours moral (on parle d’« éthique », de « respect rigoureux des droits de l’Homme » et « d’égalité des chances ») au détriment d’une référence à la loi antidiscriminatoire. Ce qui fait de l’ Accord national une sorte de Charte de la diversité-bis (il est d’ailleurs aujourd’hui difusé par le site consacré à la Charte de la diversité) qui substitue à application de la loi un engagement d’abord moral. En outre, la référence au « communautarisme » montre une confusion qui laisse la porte ouverte aux logiques de crispation (sur les demandes religieuses, par exemple). L’usage d’un cadre tel que l’Accord national supposerait une réécriture, afin de clarifier au préalable le sens de l’engagement commun, en posant clairement que l’application du droit ne relève pas d’un tel accord (elle relève du droit commun), et donc que l’accord proprement dit porte sur un engagement supplémentaire.

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Il semble logique de s’appuyer sur ces dispositions pour l’étendre aux diverses discriminations, et particulièrement à celles d’ordre ethnico-raciale. Cela permettrait en outre d’unifier une stratégie, face à un risque de lourdeur, parfois exprimé par les acteurs concernés, avec la multiplication de règles et de cadres distincts par critère (plan « senior », handicap… L’alignement et la systématisation d’une obligation de négociation sur la base des avancées de l’égalité femmes/hommes a par ailleurs été expérimentée (par exemple, le travail entamé avec le groupe Adecco dans le cadre du projet EQUAL AVERROES), ce qui en fait un levier assez aisément utilisable.

Levier Travail 2. Une obligation étendue des rapports de situation comparée. Un autre élément des dispositifs actuellement en usage peut être difusé, qui permettrait d’avancer dans la connaissance et dans l’évaluation des discriminations au travail, et de constituer un outil important pour l’engagement des institutions concernées ; les rapports de situation comparée. Le « Guide » rédigé par le Défenseur des droits et la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), « Mesurer pour progresser vers l’égalité des chances », rappelle utilement les cadres d’usage de telles statistiques et donne divers exemples de manière d’appréhender la question de façon anonyme, par exemple à partir d’une codification des prénoms – donc sans recourir aux patronymes. Dans le même sens, la norme AFNOR « Politique des ressources humaines pour la promotion de la diversité et la prévention des discriminations – Mesurer les efets d’une politique diversité », qui existe depuis 2012, incite à mettre en place des outils de mesure de type testing ou statistiques patronymiques pour s’assurer de l’absence de discriminations à raison de « l’origine étrangère réelle ou supposée », et propose des fiches techniques pour favoriser cela.

Levier Travail 3. Conditionner l’accès aux marchés publics aux entreprises respectueuses du droit antidiscriminatoire, par le développement de clauses antidiscriminatoires pour tous les critères. Diverses collectivités ou entreprises (comme la ville de Paris, le conseil régional du Limousin), ont intégré dans leurs règlements de consultation pour des marchés publics une « clause Diversité » ou anti-discrimination, qui est incitative d’un engagement des prestataires en faveur de l’égalité87. Des expérimentations sont actuellement en cours au niveau d’autres collectivités (Lyon, Nantes-Métropole…) 88 pour aller vers une démarche plus contraignante. Une opportunité est par ailleurs donnée par le projet de loi-cadre pour l’égalité entre les femmes et les hommes, actuellement en discussion. Celui-ci prévoit en efet l’interdiction de soumissionner aux marchés pour les candidats ne pouvant justifier du respect d’obligations légales en matière d’égalité, avec une application proportionnée. Cela concerne trois cas : la condamnation pour un délit de discrimination au titre de l’article 225- 1du code pénal; la condamnation pour une infraction au titre de l’article L.1146-1 du code du travail (discrimination dans l’emploi sur les critères du sexe, de la situation de famille ou de la grossesse) ; et la méconnaissance de l’obligation de négociation sur l’égalité professionnelle (art. L.2242-5 du code du travail). On peut là encore envisager sur cette base une extension à tous les critères de discrimination, dont notamment ceux relatifs à l’origine, le faciès, la religion, etc.

Dans le même sens, on peut conditionner la labellisation des organismes de formation professionnelle à un engagement sur la discrimination.

Levier Travail 4. L’organisation du Service public de l’emploi face aux discriminations. Le rôle du SPE et plus largement des intermédiaires à l’emploi est déterminant pour agir efcacement sur les discriminations. En matière de gouvernance, cet objectif doit être inclus dans les dialogues de gestion et, pour les intermédiaires concernés inscrits dans les Conventions pluriannuelles d’objectifs, pour rendre l’action contractualisée, évaluable, et en flécher les financements. L’action doit se faire simultanément dans cinq directions :

87 Elle est ainsi formulée, pour la Ville de Paris : « Les candidats retenus dans le cadre du marché devront s’engager, au titre de l’exécution du marché, dans une démarche d’amélioration continue de la qualité de ses pratiques sociales en matière de prévention des discriminations, ainsi que de promotion de l’égalité des chances et de la diversité. La promotion de la diversité s’entend comme l’ensemble des moyens permetant de garantir l’égalité réelle de traitement entre tous les individus dans le domaine de l’emploi, indépendamment de leurs diférences. Elle regroupe des actions de lute contre les discriminations et de promotion de l’égalité des chances ».

88 Avec le soutien financier de la sous-direction de l’accueil et de la prévention des discriminations (DAAEN), et avec l’expertise d’ISM-Corum et du Migration Policy Group.

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– public : informer, en formalisant systématiquement l’engagement dans l’ofre de services et sur les supports de communication (dossier d’accueil, plaquette, afches, signatures électroniques…) ainsi qu’en incluant cette question dans les stratégies d’entretien dès l’amont ; mettre en place des ateliers thématiques permettant aux publics de s’approprier le droit et d’exprimer et conscientiser les discriminations vécues ; orienter vers des dispositifs de permanences juridiques (à l’exemple de ce qui est mis en place par le réseau des missions locales en région PACA).

– équipes, en interne : définir des objectifs et des moyens adaptés contractualisés et évalués ; difuser des normes (le droit notamment) et des procédures auprès de tous les agents ; inclure l’objectif anti-discriminatoire dans la gestion des ressources humaines ; former les personnels à tous les niveaux ; faire vivre de manière continue une dynamique de réflexion et d’information dans les équipes (actualisation des connaissances, veille, échanges et analyses de pratiques, etc.), cette fonction pouvant être gérée par des référents rattachés directement aux directions.

– entreprises : information sur le droit et la discrimination ; règles et conditions explicites de prise d’ofre ; interpellation sur les logiques de recrutement, avec l’organisation de formations du type « Objectiver ses critères de recrutement » (exemple de celle pilotée par l’association régionale des missions locales de PACA, qui est en outre animée par des juristes pour apporter une « sécurisation » juridique des recrutements). Promouvoir d’autres méthodes de recrutement, du type par simulation – méthode utilisée pour les primo-arrivants concernés par le Contrat d’accueil et d’intégration – dans tous les métiers et secteurs89. L’enjeu est ici d’inciter le SPE à accroître son rôle de régulation du marché de l’emploi en observant, conseillant, ou intervenant sur les normes de recrutement.

– prescripteurs et partenaires: coordination locale quant aux stratégies de réponse à la discrimination (procédures,…), contributions aux dispositifs existant (plans locaux de lutte contre les discrimination, observatoires, réseaux de vigilance…), etc.

– niveaux de coordination : groupes de travail dédiés permettant de mutualiser les expertises et les ressources à l’échelle régionale (fonctions possibles d’évaluation, d’observation, de pilotage, d’organisation de la formation des agents, d’adaptation des normes et des cadres d’action…) ; groupes de travail équivalents aux échelles nationales (par exemple au Conseil national des missions locales).

Levier Travail 5. Favoriser des réseaux locaux de vigilance face aux discriminations. La mobilisation locale autour des discriminations doit aussi être plus généralement tournée vers une logique de vigilance et d’intervention régulatrice face aux discriminations (et de sanction en cas de persistance du délit). Les réseaux locaux du SPE, à l’échelle des bassins, devraient ainsi développer une compétence d’observatoires locaux et d’alerte institutionnelle à l’égard des situations ou mécanismes discriminatoires.

Levier Travail 6. Une politique d’inspection du travail. Il s’agit de réévaluer la priorité de cet objectif d’égalité et de fixer des orientations explicites et évaluées. En termes stratégiques, il s’agit notamment d’investir sur la formation des agents et sur leur capacité de construire des moyens d’attester des mécanismes discriminatoires directs et indirects. Il s’agit en outre de se rapprocher des organisations syndicales, pour faire avancer la crédibilité et l’efcacité du droit du travail en la matière. Cette stratégie peut s’inscrire dans l’axe de travail existant au niveau de la Direction générale du travail (ministère), relatif à l’efectivité du droit.

89 Le rapport Deloitte (2010), qui fait la même proposition, remarque que ce dispositif bute sur deux situations : le recrutement des cadres et l’embauche dans les TPE/PME. Il propose deux adaptations pour pouvoir étendre cette approche : pour les cadres, recourir à des « centres d’évaluation », d’inspiration anglo-saxonne ; concernant les PME/TPE, fédérer les besoins de recrutement semblables, dont l’identification pourrait relever du rôle de Pôle Emploi.

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VI. Bibliographie et indications de lecture

Pour ne pas alourdir le texte, les travaux de référence qui soutiennent les analyses précédentes n’ont pas été systématiquement pointés dans le corps de l’écrit. Seules les sources précisant les extraits explicitement cités ont été indiquées. Néanmoins, même si la mise en perspective, les formulations et les liaisons analytiques sont de notre fait, les informations avancées précédemment sont systématiquement étayées par la recherche.

La longue bibliographie ci-après témoigne de l’importance des travaux accumulés sur nos questions depuis au moins une vingtaine d’années. Lors de l’animation du groupe de travail sur le thème des « Mobilités sociales », nous avons eu constamment en arrière-plan de nos discussions, et/ou dans les échanges d’informations et les diverses contributions reçues, des références explicites ou implicites aux résultats d’enquêtes, aux analyses ainsi qu’aux questions soulevées entre autres par les travaux scientifiques ou les productions institutionnelles indiquées ci-dessous.

Cette histoire et certains de ces travaux étant souvent peu connus, malgré une abondante circulation et production de documents dans les administrations concernées, nous avons choisi d’indiquer en gras des textes que nous conseillons vivement à la lecture des hauts fonctionnaires, membres des cabinets et cadres des administrations, afin qu’ils/elles puissent se réapproprier sérieusement les connaissances accumulées par la recherche depuis une trentaine d’années. En efet, l’enjeu de formation et de réflexion des acteurs sur ces problématiques étant crucial pour opérer une transformation en profondeur de la politique publique, ces indications se veulent être une contribution à cet objectif.

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Annexes
 Letredemissiondugroupedetravail«Mobilitéssociales»

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 Liste des participants au groupe de travail

– Abderrahmane DJELLAL, Adjoint au maire de Grenoble chargé de l’emploi, de l’économie, de la recherche, de l’insertion et de la formation professionnelle
– Alice TAKACS, Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE)
– Aline CREPIN, Association nationale des directeurs et directrices de ressources humaines (ANDRH)

– Amine SOUSSI, Mission locale de l’Etang de Berre,
– Anna PERESSON, ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social – Rapporteure du groupe de travail
– Anne GALLOT, « A compétence égale »,
– Anne MAURAGE-BOUSQUET, Ministère des droits des femmes
– Béligh NABLI, cabinet de la ministre déléguée à la réussite éducative – co-responsable du groupe de travail
– Bruce ROCH, Association française des managers de la diversité (AFMD)
– Caroline BOULY, principale adjointe de collège
– Claude RAOUL, Confédération français des travailleurs chrétiens (CFTC)
– Corinne DOSSETTO, Directrice adjointe de la mission locale de l’Etang de Berre
– Danielle TARTAKOWSKY, présidente de l’Université Paris VIII Saint-Denis
– David TACAIL, Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE)
– Elise LEGALL, Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP)
– Elodie CORRIEU, Union patronale et artisanale (UPA)
– Fabrice DHUME, sociologue, chercheur à l’Institut social et coopératif de recherche appliquée (ISCRA), chercheur associé à l’Unité de recherche « Migrations et sociétés » (URMIS) – co-directeur du groupe de travail,
– Fathi TLILI, Force ouvrière (FO)
– Françoise LORCERIE, Directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut de recherche et d’études sur le monde arabo-musulman (IREMAM, Aix-en-Provence)
– Georges TISSIE, Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)
– Hakim HALLOUCH, Responsable du pôle « Diversité » à Science Po Paris
– Jean-Luc PRIMON, Maître de conférences à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, chercheur à l’URMIS, président de l’Observatoire des discriminations en région Provence-Alpes-Cote d’Azur
– Jean-Pierre MARTIN, Conseiller technique lutte contre les discriminations à la Direction des services départementaux de l’Education nationale (DSDEN) de l’Isère
– Juvénal LIMOAN, Collectif « Vivre ensemble l’égalité » de Lormont
– Khalid HAMDANI, Directeur de l’Institut Ethique et Diversité – co-directeur du groupe de travail,
– Laurent JEANPIERRE, chargé de mission « Université et société », Université Paris VIII Saint-Denis
– Mahrez OKBA, Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail et de l’emploi (DARES)
– Majda CHERKAOUI, Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE)
– Marie DALBERTO-HUSSENOT, Direction de l’accueil, de l’accompagnement des étrangers et de la nationalité (DAAEN), ministère de l’Intérieur
– Michel LAFAY, ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social – Rapporteur du groupe de travail
– Mohamed YAZID, Collectif « Vivre ensemble l’égalité » de Lormont
– Nabil BOUGHRIBA, Collectif « Vivre ensemble l’égalité » de Lormont
– Nicolas CHARLES, chargé de mission au département Travail-Emploi, Commissariat général à la stratégie et à la prospective – Services du Premier ministre

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– Nicolas HAMEL, directeur des partenariats à l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE) – Nicole BREJOU, chefe du département « Partenariats » à Pôle Emploi
– Odile MENNETEAU, Mouvement des entreprises de France (MEDEF)
– Ommar BENFAID, Confédération française du travail (CFDT)

– Pascal BERNARD, Association nationale des directeurs et directrices de ressources humaines (ANDRH)
– Patrick AUBERT, Direction de l’accueil, de l’accompagnement des étrangers et de la nationalité (DAAEN), ministère de l’Intérieur
– Régis GUYON, Délégué « Education et société », Centre national de documentation pédagogique (CNDP)
– Sandra DESMETTRE, cabinet du ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social – co-responsable du groupe de travail
– Sandrine JAVELAUD, Mouvement des entreprises de France (MEDEF)
– Sébastien BOMPARD, Président d’« A compétence égale »,
– Serge FRAYSSE, Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE)
– Stéphane KUS, Institut français d’éducation (IFE), Réseau national de lutte contre les discriminations à l’école
– Sylvie FROMENTELLE, Vice-présidente de la Fédération des comités de parents d’élèves (FCPE)
– Thierry BERTRAND, ministère de l’Education nationale, Direction générale à l’enseignement scolaire (DGESCO) – Rapporteur du groupe de travail
– Yannick PROST, ministère délégué à la Ville
– Zahra BOUDJEMAI, chargée des questions de suivi de la scolarisation des enfants Roms à la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL)

Le groupe de travail a en outre bénéficié de l’appui de Claire ZERHOUNI (H2COM) pour la retranscription des échanges

 Auditions et contributions spécifques

Le groupe « Mobilités sociales » a fait le choix d’un travail principalement en interne, en mobilisant les expériences et expertises de ses membres. Il a également recouru pour ce faire à la littérature scientifique (voir la bibliographie ci- avant) et à diverses contributions particulières. Les quelques auditions réalisées ont été centrées délibérément sur la sollicitation de points de vue et d’expérimentations permettant de réfléchir aux stratégies d’action publique, aux difcultés et conditions de pertinence de l’action publique.

Personnes auditionnées

– Mehdi Thomas ALLAL, chef de cabinet de l’adjointe au maire de Paris en charge de l’égalité femmes-hommes, maître de conférences à Sciences-Po Paris
– Mamadou DISSA, directeur, et Dominique REVEL, chargée de la lutte contre les discriminations à la mission locale de Villeurbanne

– Laurence UKROPINA, coordonnatrice du plan académique de lutte contre les discriminations, Rectorat de l’académie Nancy-Metz,
– Yves REUTER, Professeur des universités, Université de Lille 3.

Contributeur.e.s spécifiques

– Eric CEDIEY, Directeur d’ISM-Corum
– Benoit FALAIZE, Historien, Université de Cergy-Pontoise
– Gwénaële CALVES, Professeure de droit public à l’université de Cergy-Pontoise
– Lucienne SIUDA / Bazarine, Une immigrée de la troisième génération raconte, éd. Bazarine, 2012

Rapport du groupe « Mobilités sociales »

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