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« Le « sauvetage » de l’Irlande : 67,5 € milliards de prêts, 89,5 milliards transférés aux banques » par ATTAC – Une escroquerie qu’il faut dénoncer et faire stopper en Irlande … et ailleurs !

 » Le 15 Décembre 2013, l’Irlande est devenue le premier pays à sortir d’un programme de «sauvetage» de la Troïka – Commission européenne, Banque centrale européenne (BCE) et FMI. Au moment où les élites politiques européennes sablent le champagne en l’honneur du « succès » irlandais, Attac publie une étude inédite à partir de chiffres officiels jusqu’ici dispersés. Alors que l’Irlande a reçu 67,5 milliards € de prêts pour son renflouement depuis la fin de 2010, le pays a transféré un montant total de 89,5 milliards € à son secteur financier au cours de la même période. 55,8 de ces milliards sont tombés dans les poches des banques créancières, toutes étrangères et certaines françaises. L’étude confirme que la situation économique et sociale de l’Irlande demeure désastreuse: ces milliards n’ont en rien profité aux Irlandais, broyés par la politique d’austérité infligée à leur pays pour payer ces dettes illégitimes.

L’étude publiée aujourd’hui par le réseau des Attac d’Europe a été coordonnée par Attac Autriche et Attac Irlande.

voir aussi :

www.attac.at/uploads/media/backgroundmaterial_ireland_english.pdf  :

Les résultats en détail.

– 18,1 milliards € ont été utilisés pour recapitaliser directement les banques irlandaises .

– 55,8 milliards € sont allés aux créanciers de l’Etat irlandais . € 37,5 milliards ont servi à rembourser des obligations gouvernementales à échéance et € 18,3 milliards pour payer les intérêts sur les obligations en circulation .

− 1,6 milliards € ont été dépensés par la National Asset Management Agency (NAMA ), une structure de défaisance garantie par l’Etat , pour acheter les mauvais actifs immobiliers détenus par les banques irlandaises .

– 14 milliards € ont été utilisés jusqu’à présent pour la liquidation de la Compagnie de liquidation des banques irlandaises ( IBCR ) , la fusion de deux banques nationalisées en faillite . 12,9 milliards entre eux ont été utilisés par l’AMNA pour acheter le reste des actifs de l’IBCR . Un autre 1,1 milliard a été versé aux créanciers de la banque à la suite d’ une garantie du gouvernement .

 » Au cours de son soi-disant sauvetage, l’Irlande a mis plus d’argent dans le secteur financier qu’elle n’a reçu de prêts pour son renflouement « , conclut Dominique Plihon d’Attac France ,  » la population irlandaise s’est lourdement endettée pour sauver le secteur bancaire européen « .

La Troïka aggrave les erreurs du gouvernement irlandais

Dans la période qui a précédé le programme de renflouement , la population irlandaise a été écrasée par ce qui est de loin le plus grand programme de renflouement des banques de la zone euro. Entre 2008 et 2010 , 76,5 milliards € de fonds publics ont été transférés directement ou indirectement à des institutions financières irlandaises (1).  » Le gouvernement irlandais a poursuivi une politique de renflouement des banques à durée indéterminée – et la Troïka a encore aggravé ce cours « , critique Lisa Mittendrein, d’Attac Autriche.

La BCE a contraint l’Irlande à rembourser les hedge funds

L’influence de la Troïka est également visible dans les détails de la politique de gestion de la crise irlandaise : les banques irlandaises nationalisées doivent rembourser tous ses créanciers , même ceux qui ne sont pas couverts par la garantie de l’État . Une expertise commandée par le Parlement européen montre que la BCE a forcé le gouvernement irlandais à prendre cette mesure en menaçant de suspendre le financement d’urgence des banques irlandaises . Et cela bien que le remboursement intégral des obligations non garanties ne fasse pas partie du mémorandum de sauvetage, et malgré la demande du FMI que ces créanciers subissent des pertes (« haircut »). Ce faisant , la BCE a protégé les investisseurs les plus spéculatifs tels les hedge funds. Ils avaient prêté de l’argent aux banques irlandaises à des taux élevés quand il était déjà clair que celles-ci étaient sur le point de s’effondrer ou d’être secourues par l’État (2) . Le rapport conclut que la BCE a sans doute outrepassé son mandat et recommande de ne pas l’inclure dans de futures Troïkas (3). «Par le chantage et la coercition, la BCE s’est assurée qu’au bout de cinq ans de renflouement des banques, les spéculateurs auront perçu 6 Md € de fonds publics  » , selon Plihon (4) .

Le Who’s Who des profiteurs

L’identité des détenteurs d’obligations non garanties est tenue secrète par les élites politiques . L’ex- courtier et blogueur Paul Staines a divulgué une liste incomplète des créanciers d’Anglo Irish , la plus grande banque irlandaise en faillite. Elle comprend de grandes institutions financières internationales telles que Allianz , Barclays , Crédit Suisse , Deutsche Bank , Goldman Sachs , HSBC et Société Générale (5). En Octobre 2013, le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a ainsi commenté la situation irlandaise : « l’Irlande a fait ce qu’elle avait à faire … et maintenant tout va bien « (6). Lisa Mittendrein fustige cette attitude : « Les seuls qui vont très bien sont les élites financières européennes. C’est le gratin du secteur bancaire qui a été sauvé, pas le peuple irlandais. L’Irlande est tout sauf une success story ».

Le pillage du Fonds national des retraites

La population irlandaise paye les sauvetages répétés du secteur financier par une austérité brutale. L’Irlande co- financé son «sauvetage» par € 17,5 milliards , dont 10 milliards € dont ont été pris à au NPRF, le fonds de pension public, mis en place au départ pour garantir les retraites irlandaises à l’avenir. L’argent du fonds a été utilisé pour la recapitalisation directe des banques (7) . À la fin de 2013, le gouvernement a décidé de transformer entièrement le NPRF en un fonds d’investissement , la protection des pensions futures n’étant « plus une priorité » (8) . En outre , la population a été durement touchée par six années de mesures d’austérité : la TVA a été augmenté à 23%, les allocations familiales ont été baissées , les allocations de chômage pour les jeunes divisées par deux (9) et les frais de scolarité ont triplé, à 2500 euros (10). Au total, la facture sociale s’élève à plus de 28 milliards € depuis 2008 pour l’Irlande (11) .

Le taux d’émigration le plus élevé dans l’UE

Les conséquences sociales de l’austérité sont désastreuses : près d’un tiers de la population est en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale (12) , une personne sur dix souffre de la faim (13) . Bien que le revenu disponible du décile le plus pauvre de la population ait chuté de 26%, le revenu du décile supérieur a augmenté de 8% , ce qui montre bien les choix sociaux faits par la politique de gestion de crise (14) . Parmi les 18 – 24 ans, une personne sur deux envisage de quitter le pays , tandis que 300 000 personnes ont déjà émigré dans les quatre dernières années (15) . En 2012 ,

l’Irlande a connu le plus fort taux d’émigration nette dans toute l’UE . Seulement six ans avant elle avait le plus haut d’immigration nette du continent (16) .

La dette publique continue d’augmenter

Contrairement à la fable du brillant redressement irlandais, l’économie irlandaise est loin d’avoir récupéré : le PIB d’aujourd’hui est de 12,6% inférieur à celui d’avant la crise (17) . Le taux de chômage, actuellement à 13 %, est encore deux fois plus élevé que lors de la période pré- crise . Parmi les jeunes, 27% sont sans emploi (18) . Le secteur bancaire est loin de remplir sa tâche principale , l’alimentation de l’ économie réelle avec un crédit abordable : la moitié des demandes de crédit des petites et moyennes entreprises au dernier trimestre ont été rejetées par les banques (19) . La dette nationale , qui avait explosé de 25 à 91% du PIB entre 2007 et 2010 à la suite des sauvetages bancaires (20), s’est encore accrue sous le contrôle de la Troïka et a atteint 124% en 2013 selon les prévisions actuelles (21) .

La dette illégitime au cœur de la crise

« Nos résultats montrent que l’objectif principal de la politique de gestion de crise menée par les élites politiques est de sauver le secteur financier européen et les fortunes sous-jacentes des plus riches », conclut Mittendrein: « pour atteindre cet objectif , ils sacrifient la prospérité de toute la société et acceptent d’énormes taux de chômage, la pauvreté et la misère ». Après que € 670 milliards d’aide directe de l’État ont été donnés aux banques européennes depuis 2008 (22) , d’autres centaines de milliards sont actuellement canalisées vers le secteur financier par des pays comme l’Irlande ou la Grèce. Le fait que ce n’est pas le peuple ou l’État irlandais qui a été sauvé, mais les élites financières européennes , est confirmé par Andy Storey, sociologue et économiste à l’University College de Dublin et militant d’Attac Irlande : « l’argent que les contribuables européens ont prêté à l’Irlande a été en grande partie détourné vers le remboursement de la dette privée socialisée dont les citoyens ordinaires – en Irlande ou ailleurs en Europe – n’auraient jamais du avoir la charge. La dette illégitime est au cœur de cette crise  » .

Un changement radical de politique est urgent

Un changement de cap radical est urgent dans la politique de gestion de la crise européenne . «Nos gouvernements doivent cesser de dépenser d’énormes sommes d’ argent public pour sauver un secteur financier sans scrupules  » , demande Mittendrein. Au contraire , une réglementation stricte est nécessaire : les banques jugées « trop importantes pour faire faillite » doivent être démantelées de sorte qu’elles ne puissent plus mettre en danger des sociétés entières . A moyen terme , le secteur bancaire doit se limiter à sa tâche essentielle : la gestion des dépôts et des prêts , sans servir des intérêts privés mais le bien-être public. Il faut stopper ces politiques d’austérité, qui visent à détruire les systèmes de protection sociale et de soins de santé et qui menacent de la pauvreté des centaines de millions de personnes en Irlande et en Europe. Elles doivent laisser la place à des programmes d’investissement public et à une coordination européenne des politiques fiscales et économiques dans l’intérêt de la population. Par le biais de l’allègement de la dette et d’un impôt sur la fortune coordonné à l’échelle internationale, les créanciers et les riches doivent prendre le fardeau de la crise. « La taxe européenne sur les transactions financières doit être rapidement adoptée en suivant le projet de la Commission européenne amendé par le récent accord CDU-SPD : le gouvernement français doit renoncer à en affaiblir la portée. Le coût de la crise doit être payé par ceux qui en sont responsables », souligne Dominique Plihon.

Non au  » pacte de compétitivité « 

Aujourd’hui il faut éviter une nouvelle aggravation de ces politiques. Klaus Regling , directeur général du FESF et du MES, les fonds de renflouement de la zone euro, a qualifié la fin du programme d’aide à l’Irlande d’ « énorme succès pour l’Irlande et la zone euro dans son ensemble », prouvant la réussite de la politique de gestion de la crise ( 24 ). Les élites politiques envisagent actuellement d’adopter un «pacte de compétitivité» qui étendrait le modèle irlandais à l’ ensemble de l’UE : tous les États devraient s’engager à des mesures néolibérales telles que la réduction des protections du travail , la baisse des salaires, des privatisations… Leur mise en œuvre serait garantie par des contrats entre les États et la Commission européenne , qui les surveillerait et ferait adopter des primes ou des pénalités. «  Le pacte de compétitivité signifierait « troïka pour tout le monde  » , conclut Lisa Mittendrein ». Son adoption a été repoussée de décembre 2013 à juin 2014 ; mais nous devons stopper définitivement ce pacte d’appauvrissement, pour initier un virage à 108° dans la politique de gestion de crise européenne  » .

Dominique Plihon, Attac France, 06 82 22 27 11

Lisa Mittendrein, Attac Autriche

+43 664 21 21 680

lisa.mittendrein(at)attac.at

Andy Storey, Attac Irland, University College Dublin

+ 353 8765 43 872

andy.storey(at)ucd.ie

Notes

(1) Une liste complète et une évaluation du sauvetage des banques irlandaises est en ligne à
www.attac.at/bailout-ireland.

(2)Karl Whelan (2012): The ECB’s Role in Financial Assistance Programmes, http://www.karlwhelan.com/EU-Dialogue/Whelan_June2012.pdf, p. 9.

(3) Ibd., p. 14.

(4) Central Bank of Ireland (2011): Clarification – Senior Debt and Subordinated Debt Issuance by Irish Credit Institutions, 1 April 2011, http://www.centralbank.ie/press- area/press-releases/Pages/Clarification -SeniorDebtandSubordinatedDebtIssuance.aspx

(5) Guido Fawkes’ Blog (2010): Anglo-Irish Bondholders Should Take the Losses, 15 October 2010, http://order-order.com/2010/10/15/anglo-irish-bondholders-should-take-the- lossesis-the-ecb-forcing-ireland-to-protect-german-investments.

(6) The Irish Times (2013): Schäuble pours cold water over idea of ESM relief for Ireland, 16 October 2013, http://www.irishtimes.com/business/sectors/financial-services/sch %C3%A4uble-pours-cold-water-over-idea-of-esm-relief-for-ireland-1.1561748

(7) European Commission (2011): The Economic Adjustment Programme for Ireland, http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/occasional_paper/2011/pdf/ocp76_en.pd f, p. 39.

(8) NPRF (2013): Ireland Strategic Investment Fund, http://www.nprf.ie/ISIF/IrishStrategicInvestmentFund.htm

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(9) Oxfam (2013): The true cost of austerity and inequality. Ireland case study,

http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/cs-true-cost-austerity-inequality-iceland- 120913-en.pdf, p. 23

(10) Channel 4 (2013): Irish Students take to the streets to protest against cuts, 1 October 2013, http://www.channel4.com/news/irish-student-protest-demo-cuts-austerity- ireland

(11) The Economist (2013): Ireland: The eight austerity budget, 19 October 2013, http://www.economist.com/news/europe/21588110-government-end-economic-emergency- sight-eighth-austerity-budget

(12) Eurostat (2013): People at risk of poverty or social exclusion by age and sex, http://epp.eurostat.ec.europa.eu

(13) Mandate/Unite (2013): Hungry for Action. Mapping Food Poverty in Ireland, http://unitetheunionireland.files.wordpress.com/2013/12/hungry-for-action1.pdf, p. 2.

(14) Central Statistics Office (2012): Survey on Income and Living Conditions (SILC) 2010, http://www.cso.ie/en/media/csoie/releasespublications/documents/silc/2010/silc_2010.pdf, p. 11.

(15) BBC (2013): 300.000 Irish people emigrate in four years, 9 May 2013,

http://www.bbc.co.uk/news/uk-northern-ireland-22461030

(16) The Irish Times (2013): Ireland has highest net emigration level in Europe, 21 November 2013,
http://www.bbc.co.uk/news/uk-northern-ireland-22461030
.

(17) Eurostat (2013): GDP and main components – Current prices, http://epp.eurostat.ec.europa.eu

(18) Eurostat (2013): Unemployment rate by sex and age groups – quarterly average, http://epp.eurostat.ec.europa.eu

(19) The Irish Times (2013): Small firms ‚denied bank credit’, 2 December 2013, http://www.irishtimes.com/business/small-firms-denied-bank-credit-1.1614285

(20) Eurostat (2013): Government deficit/surplus, debt and associated data, http://epp.eurostat.ec.europa.eu

(21) European Commission (2013): Autumn forecast 2013, November 2013, http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/european_economy/2013/ee7_en.htm, p. 59.

(22) Der Standard (2013): Bankenrettungen kosteten EU-Staaten 670 Milliarden, 22 April 2013, http://derstandard.at/1363708829426/Bankenrettungen-kosteten-EU-670-Milliarden-Euro

(23) EFSF (2013): EFSF financial assistance for Ireland ends with successful Irish exit, 8 December 2013, http://www.efsf.europa.eu/mediacentre/news/2013/efsf-financial- assistance-for-ireland-ends-with-
successful-irish-exit.htm

Sources de l’étude

(1) EFSF (2013): Frequently Asked Questions,

http://www.efsf.europa.eu/attachments/EFSF%20FAQ%202013-07-16.pdf

(2) European Commission (2013): Economic Adjustment Programme for Ireland, Autumn

2013 Review, http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/occasional_paper/2013/op167_en.htm

p. 39.

(3) National Pensions Reserve Fund Commission (2013): Annual Report and Financial Statements 2012, http://www.nprf.ie/Publications/2013/AnnualReport2012.pdf, p. 30.

(4) NTMA (2013): Annual Report 2012,

http://www.ntma.ie/download/publications/NTMAAR2012webEN.pdf  , p. 31.

(5) Eurostat (2009) Letter to the Irish Statistical Office, 19 October 2009, http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/government_finance_statistics/documents/Irish_le tter_19_10_2009.pdf

(6) NAMA (2013) : NAMA Bonds, http://www.nama.ie/about-us/how-we-fund-our-work/.

(7) Standard & Poors (2010): Explaining Standard & Poor’s Adjustments To Ireland’s Public Debt Data,

http://www.standardandpoors.com/ratings/articles/en/eu/?assetID=1245228020314 .

  1. (8)  NAMA (2013): IBRC, http://www.nama.ie/about-us/ibrc/
  2. (9)  International Monetary Fund (2013): Ireland. Ninth review under the extended

arrangement. Ireland Country Report 13/93, http://www.imf.org/external/pubs/ft/scr/2013/cr1393.pdf , p. 5.

(10) Eurostat (2013): Quarterly non-financial accounts for general government, 19 December 2013,
http://epp.eurostat.ec.europa.eu

(11) European Commission (2013): Economic Adjustment Programme for Ireland – Autumn 2013 Review, http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/occasional_paper/2013/op167_en.htm , p. 66.

(12) NTMA (2011): Annual Report 2010, http://www.ntma.ie/download/publications/NTMA_Annual_Report_2010_English.pdf , p. 19.

(13) Department of Finance (2010): Technical Note on Accounting Treatment of Promissory

Notes, 4 November 2010, http://www.finance.gov.ie/documents/publications/reports/2010/noteprommissory2010.pdf .
(14) Department of Finance (2013): Irish Stability Programme April 2013 Update, http://www.finance.gov.ie/documents/publications/reports/2013/spufin2013.pdf , p. 20.

(15) NTMA (2011): Annual Report 2010, http://www.ntma.ie/download/publications/NTMA_Annual_Report_2010_English.pdf , p. 29.   »

NON A TAFTA ( ou TTIP – projet de libre échange entre U.E et USA ), manifestation à Nice place du Palais le 24 novembre à partir de 13h

 

Ce mouvement est à l’initiative du collectif citoyen des engraineurs, rejoignons-les on est tous concerné !!! Si vous n’agissez pas, l’Etat va continuer de nous entuber. Ce traité de libres-échanges entre les USA et l’UE va nous priver encore plus de nos libertés. Les multinationales vont gagner encore plus de pouvoir. Il faut agir tous ensemble main dans la main le 24/11 et dire NON à TAFTA.

 » Négocié depuis le mois de juillet 2013, TAFTA, l’accord commercial trans-atlantique ou Trans-Atlantic Free Trade Agreement (aussi connu sous le nom de TTIP, Transatlantic Trade and Investment Partnership ou Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement) est un projet d’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis. Il concerne des domaines aussi variés que l’accès aux médicaments, la sécurité alimentaire ou le règlement des différents privés-publics. Les négociations, menées par un petit groupe de fonctionnaires non élus, sont censées durer au moins jusqu’à fin 2014.

Malgré le rejet de l’accord commercial ACTA en 2012 et les mises en garde de la société civile, les membres du Parlement européen se sont exprimés en faveur du renforcement de la protection des droits d’auteur, des brevets et des marques dans le mandat autorisant la Commission européenne à négocier TAFTA. En outre, ils ne se sont pas opposés à la tenue de ces négociations dans l’opacité, et n’ont pas exigé leur suspension en réaction à l’espionnage par la NSA des négociateurs européens.  »

 http://www.laquadrature.net/fr/TAFTA

Retraite : les travailleurs du nucléaire exclus du compte pénibilité, une double peine, et un scandale, pour Denis BAUPIN, Député EELV (Europe Ecologie les Verts)

« LE PLUS. A partir de 2015, les salariés exposés à des facteurs de pénibilité bénéficieront d’un compte personnel de points, à convertir en formation, temps partiel ou départ anticipé à la retraite. 10 critères ont été retenus. L’exposition aux rayonnements ionisants, qui touche les travailleurs du nucléaire, n’en fait pas partie. Pour Denis Baupin, député EELV, c’est un scandale.

L’examen du projet de loi sur les retraites a été l’occasion pour les députés de débattre des « facteurs de risque professionnels » à prendre en compte dans le cadre du « compte personnel de prévention de la pénibilité » créé par la loi et prévu pour tout salarié exposé à des conditions de travail pénibles et permettant d’accumuler des points pour un départ anticipé à la retraite.

Le projet de loi renvoie au décret du 30 mars 2011 qui liste un certain nombre de facteurs de risques au titre de l’environnement physique agressif : bruit, agents chimiques dangereux, températures extrêmes, activités exercées en milieu hyperbare…

La pénibilité spécifique des travailleurs du nucléaire n’y étant pas prise en compte, j’ai déposé un amendement en ce sens.

Oui, l’exposition aux rayonnements ionisants est un danger

 Comment peut-on refuser de remédier à une discrimination dont sont victimes les travailleurs du nucléaire [1], mis à l’écart d’une disposition valable pour toutes les expositions professionnelles à des cancérogènes ?

Toutes les données épidémiologiques montrent que l’exposition aux rayonnements ionisants, même en respectant les limites des normes professionnelles, présente des risques de cancers et de leucémies supérieurs à ceux que représente l’exposition aux autres substances cancérogènes [2]. Une étude, publiée en 2005, sur les risques de cancer après exposition à de faibles doses de rayons ionisants – menée sur une cohorte de travailleurs du nucléaire dans 15 pays – montre que les salariés exposés, même à des doses inférieures à 20 millisieverts par an (soit le maximum autorisé pour les travailleurs du nucléaire), présentaient deux à trois fois plus de risques de cancer que la population non exposée.

Il y a peu, le 27 août dernier, EDF a été condamnée pour « faute inexcusable » pour avoir exposé un de ses salariés – mort depuis des suites d’un cancer broncho-pulmonaire – à des rayonnements ionisants, tout en ayant respecté la réglementation en vigueur. Ce jugement, appelé à faire jurisprudence, est très clair : tout en reconnaissant que « les mesures prises par EDF et son respect de la réglementation existant en ce domaine sont incontestables », le tribunal considère que celles-ci « ne tendent qu’à limiter le risque et ne peuvent l’exclure. »

« Bêtes à doses »

Dit autrement, quand bien même toutes les précautions seraient prises en termes de protection et de suivi des travailleurs nucléaire – ce qui reste à prouver, tout particulièrement en ce qui concerne les sous-traitants – le risque existe bel et bien.

J’ajouterai qu’aux risques inhérents à l’exposition aux rayonnements ionisants, il convient d’intégrer également au titre des facteurs de pénibilité le stress induit par le risque nucléaire – bien mis en évidence par le film « Grand Central » – tout particulièrement pour les sous-traitants.

80% des activités sur une centrale nucléaire sont menées par des sous-traitants. Ces personnels sont parfois mal formés, ont des conditions de travail très difficiles et se voient confier les tâches les plus dangereuses ; ce sont les plus exposés à l’irradiation et ceux qui connaissent de nombreuses maladies professionnelles. Sans d’ailleurs pouvoir bénéficier d’un suivi médical digne de ce nom, notamment du fait d’un changement régulier de région et d’employeur. Le surnom dont ils s’affubleraient eux-mêmes – les « bêtes à doses » – en dit long.

« Nous réalisons 80 % des opérations de maintenance des centrales nucléaires, nous encaissons plus de 80% des irradiations, nous n’avons pas accès aux visites médicales EDF, nous sommes victimes de la majorité des accidents de travail très souvent non déclarés dans les centrales nous sommes prestataires, pas esclaves » résume ainsi l’association Ma zone contrôlée, qui tente de faire entendre la voix des sous-traitants et que je soutiens [3].

Un débat escamoté à l’Assemblée nationale

Prendre en compte la pénibilité spécifique des travailleurs du nucléaire dans la future réglementation, quoi de plus logique ? La réponse tombe jeudi 10 octobre en séance à l’Assemblée nationale : c’est non. Ou plutôt un très laconique « avis défavorable » du gouvernement, en réponse à mon amendement, qui s’est vu ainsi rejeté sans autre explication…. mais à deux voix près. Comment interpréter ce refus et surtout ce silence ?

Les rayonnements ionisants avaient déjà « miraculeusement » disparu de la liste des expositions aux cancérogènes pouvant ouvrir droit à une retraite anticipée dans la version finale du décret sur la pénibilité du 30 mars 2011, alors qu’ils y figuraient bien dans la version de décret présentée aux partenaires sociaux. Le gouvernement de l’époque les avait retiré en catimini ce qui avait conduit un syndicat (la CGT), ayant découvert le pot aux roses, à diffuser un communiqué de presse au titre évocateur « Farce ? Pour le gouvernement, l’exposition aux rayonnements ionisants n’est plus cancérogène ». Et le syndicat de pointer  fort justement la « conséquence d’un formidable lobbying exercé par les industriels du nucléaire, au moment même où le monde entier s’interroge sur la santé de ces travailleurs qui interviennent sur le site de Fukushima. »

Difficile de ne pas voir derrière ce blocage tout le poids d’un tabou savamment entretenu par l’industrie nucléaire. Évoquer les risques de la radioactivité, les conditions de travail des salariés du nucléaire, n’est pas compatible avec la vision idyllique véhiculée depuis des décennies d’un nucléaire sûr, propre, sans danger, maîtrisé.

Pour les travailleurs du nucléaire, particulièrement les sous-traitants, c’est bien la double peine qui reste en vigueur : la radioactivité et le stress, mais pas la reconnaissance de la pénibilité induite.

La retraite de milliers de personnes en dépend

L’enjeu est bien au-delà de la question (essentielle !) de la possibilité offerte – ou non – à certains travailleurs d’un départ anticipé à la retraite. Cette omerta est lourde de conséquence pour la santé et la survie de plusieurs milliers de personnes. Que l’on soit pour ou contre le nucléaire, on ne peut indéfiniment faire fi de la réalité et banaliser à ce point l’atome, au nom de la sacro-sainte image de l’industrie nucléaire.

C’est parce que je ne peux m’y résoudre que j’ai interpellé cette semaine, par une question écrite, la ministre des Affaires Sociales et de la Santé pour qu’elle dise très clairement s’il est bien dans l’intention du gouvernement d’intégrer dans la liste des facteurs de risques professionnels l’exposition aux rayonnements ionisants auxquels les salariés du nucléaire sont exposés et si tel n’était pas le cas d’en expliquer les raisons. A suivre.

[1] 320.000 salariés en France sont exposés aux rayonnements ionisants, dans l’industrie nucléaire, mais aussi dans l’industrie non nucléaire et dans le secteur médical.

[2] Voir http://www.inrs.fr/accueil/risques/phenomene-physique/rayonnement-ionisant.html ; http://www.asso-henri-pezerat.org/wp-content/uploads/2012/03/A_Thebaud-Mony_Nucl%C3%A9aire_colloqueBruxelles_2mars2012.pdf(page 5) ; http://www.terraeco.net/Quels-risques-pour-les,16396.html

[3] Site de l’association Ma zone contrôlée. A voir également, le site de l’association Santé sous-traitance Nucléaire-Chimie.

Question n° 43-00496

M. Denis Baupin alerte Mme la ministre des affaires sociales et de la santé sur l’absence de l’exposition aux rayonnements ionisants dans les facteurs de risques professionnels listés par le Décret n° 2011-354 du 30 mars 2011 (relatif à la définition des facteurs de risques professionnels) au titre de l’environnement physique agressif. 320 000 salariés en France exposés aux rayonnements ionisants, dans l’industrie nucléaire, mais aussi dans l’industrie non nucléaire et dans le secteur médical sont aujourd’hui mis à l’écart d’une disposition valable pour toutes les expositions professionnelles à des cancérogènes. Pourtant, toutes les données épidémiologiques montrent que l’exposition aux rayonnements ionisants, tout en respectant les limites des normes professionnelles, présente des risques de cancers et de leucémies supérieurs à ceux que représente l’exposition aux autres substances cancérogènes. Or, au titre de la loi sur les retraites, le facteur de risques professionnels sera pris en compte dans le cadre du « compte personnel de prévention de la pénibilité » prévu pour tout salarié exposé à des conditions de travail pénibles et permettant un départ anticipé à la retraite. C’est pour remédier à cette lacune que Denis Baupin a déposé un amendement au projet de loi sur les retraites à l’Assemblée Nationale en octobre 2013. Il a été rejeté sans explication. M. Denis Baupin demande à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé s’il est bien dans l’intention du gouvernement d’intégrer dans la liste des facteurs de risques professionnels l’exposition aux rayonnements ionisants auxquels les salariés du nucléaire sont exposés et si tel n’était pas le cas d’en expliquer les raisons.  »

 

 

 » L’écologie, une nouvelle prospérité  » par Pascal CANFIN ministre du Développement (EELV – Europe Ecologie Les Verts )

A lire en entier dans Libération :

http://www.liberation.fr/terre/2013/09/11/l-ecologie-une-nouvelle-prosperite_931155

« Il était bien sûr possible de laisser sans réponse la nouvelle charge de Pascal Bruckner contre l’écologie (1). Après tout, la pertinence de l’analyse de celui qui a soutenu la guerre de George W. Bush en Irak, fondé une revue proche des thèses des néoconservateurs américains et soutenu Nicolas Sarkozy est relative. Mais, bien au-delà de son auteur, cette tribune s’inscrit dans une offensive idéologique qui cible l’écologie. J’ai jugé qu’il était de ma responsabilité de ne pas la laisser passer.

Cette offensive se fonde en premier lieu sur une remise en cause des données scientifiques en matière environnementale. Les écologistes noirciraient le tableau. Cette ligne de communication n’est pas nouvelle. Elle est suivie méthodiquement par les lobbys industriels quels que soient les sujets.

Les groupes qui nient aujourd’hui le réchauffement climatique utilisent les mêmes arguments que ceux qui niaient hier le caractère cancérigène de la cigarette, de l’amiante, des particules diesel… Ce sont eux qui sont dans la négation des résultats scientifiques. En matière de santé publique, comme de lutte contre le changement climatique, les écologistes ne demandent qu’une chose : que les analyses des scientifiques soient enfin entendues.

Il y a donc une contradiction absolue, qui ne semble pas émouvoir notre philosophe, à faire l’éloge de la science… tout en jetant aux oubliettes les conclusions des scientifiques.

Le second argument réside dans le fait que les écologistes seraient, par nature, opposés à tout progrès. Sans doute Pascal Bruckner n’a jamais entendu parler de la vache folle, de l’amiante, de Tchernobyl, de Fukushima, de l’augmentation du nombre de cancers liés aux pesticides, chez les agriculteurs notamment… Ni lu Rabelais pour qui, déjà, «science sans conscience n’est que ruine de l’âme».

L’obscurantisme est bien du côté de ceux qui croient aveuglément que toute invention est bonne. Et la raison du côté de ceux qui veulent des innovations utiles. Car l’écologie appelle bien une nouvelle révolution qui porte en elle des myriades d’innovations qui demandent de l’intelligence et de la science. … « 

 » Les plus riches ont pris le pouvoir à l’échelle mondiale  » par Emmanuel TODD … à lire ou relire cet été car toujours d’actualité hélas !!

« __ La crise de la zone euro n’a pas été fondamentalement créée par la nonchalance des débiteurs, mais par l’agressivité des prêteurs » Emmanuel TODD

Article à lire en entier dans Le Point__ :

« Annulons la dette du Vieux Monde ! »

« La crise de la zone euro n’a pas été fondamentalement créée par la nonchalance des débiteurs, mais par l’agressivité des prêteurs »

« La vérité de cette période n’est pas que l’État est impuissant, mais qu’il est au service de l’oligarchie »

Le Point : Les États sont-ils en guerre contre « les marchés » ?

Emmanuel Todd : Ne soyons pas dupes de ces concepts mystificateurs, Bruxelles, les marchés, les banques, les agences de notation américaines : ces faux nez camouflent la prise du pouvoir politique, à l’échelle mondiale, par les plus riches. Sous couvert de protéger l’argent des petits épargnants, les marchés, ce sont tout simplement les plus riches jouant avec les États. Les riches ne se battent pas contre les États, ils se battent pour les contrôler encore mieux (voir L’État prédateur, de James Galbraith). Il suffit d’observer les parcours de certains individus entre la haute administration, les firmes américaines, Bruxelles et, désormais, les gouvernements pour comprendre qu’ils y parviennent. Si une même caste contrôle les marchés et les États, l’opposition entre les uns et les autres n’a plus aucun sens.

Vous êtes bien léger avec l’argent des petits épargnants !

Je refuse de céder au chantage. Lorsqu’ils partaient à la conquête de villes, les Mongols utilisaient des otages comme boucliers humains. Le groupe des plus riches fait exactement la même chose : ses otages, ce sont les petits épargnants.

« La faute aux riches ! » : n’est-ce pas sommaire ?

Que cela vous plaise ou non, l’accumulation excessive d’argent dans les strates supérieures de la société est l’une des caractéristiques de la période. La baisse, ou la stagnation, des revenus des gens ordinaires est allée de pair avec la hausse des revenus des 1 % les plus riches et, à l’intérieur de ce petit groupe, des 0,01 % les plus riches.

Quant à l’État, il faut reconnaître son ambivalence et s’appuyer sur la partie raisonnable du marxisme pour comprendre ce qui se passe. L’État est à la fois l’incarnation de l’intérêt général et l’expression de la classe dominante. L’État social d’après-guerre, l’État gaulliste, et quoi qu’en ait dit le Parti communiste, agissait surtout au nom de l’intérêt général, il gérait une croissance pour tous. Aujourd’hui, l’État est prioritairement un État de classe. Le capitalisme financier contrôle à nouveau les États.

La situation serait-elle meilleure si les riches étaient moins riches ? Autrement dit, le problème est-il moral ou économique ?

Mon analyse n’a aucune visée morale. Depuis 1990, l’ouverture des échanges et la libéralisation des flux financiers ont effectivement provoqué un fantastique accroissement des inégalités. À ce sujet, je rends hommage à l’école Piketty, dont il semble que les travaux comparatifs à l’échelle mondiale aient été décisifs dans l’émergence actuelle de la thématique des 1 % aux États-Unis et au Royaume-Uni. Aussi opaque que puisse paraître le système, on peut approcher sa réalité en analysant la façon dont un groupe social contrôle une partie importante des ressources. Dans ces conditions, la question essentielle n’est pas celle des marchés en tant que tels, mais celle de l’oligarchie et de son rapport à l’État. Il faut donc identifier cette oligarchie et analyser sa structure, son mode de vie, sa composition.

S’agit-il d’un groupe hors sol, d’ »élites mondialisées », expression qui faisait bondir tout le monde il y a dix ans ?

Encore une fantasmagorie de l’époque ! On croit que le libre-échange globalisé a engendré une oligarchie transnationale. Parce qu’on fait abstraction des facteurs culturels, on ne voit pas qu’il existe plusieurs oligarchies dont les relations sont structurées par d’implacables rapports de forces. La spécificité de l’oligarchie française, c’est sa proximité avec la haute administration. Ses membres ont souvent étudié dans de grandes écoles – sans forcément être des héritiers -, parlent en général très mal l’anglais, sont incroyablement français dans leurs moeurs et n’en finissent pas de se faire rouler par les vrais patrons, l’oligarchie américaine. La soumission à Standard & Poor’s et Moody’s est une soumission à l’oligarchie américaine. Quant à l’oligarchie allemande, nouvelle venue dans le système de domination, elle s’habitue ces jours-ci à traiter les Français comme de simples vassaux. Le charme singulier de l’oligarchie chinoise est son étroite intrication avec le Parti communiste. La plupart des analystes passent à côté de cette hétérogénéité. La gauche nourrit l’illusion d’une égalité au sommet, alors que l’inégalité caractérise autant le haut que le bas de la structure sociale mondiale.

Si les États ne s’endettaient pas, ils ne s’appauvriraient pas et n’enrichiraient personne en remboursant leur dette.

Cette idée est complètement à côté de la plaque parce qu’elle méconnaît le mécanisme réel de l’endettement. On analyse la dette publique à partir du point de vue d’un emprunteur qui serait coupable d’avoir dépensé sans compter. Les peuples doivent payer parce qu’ils ont vécu à crédit. Or ce ne sont pas les emprunteurs qui sont, fondamentalement, à l’origine de la dette, mais les prêteurs, qui veulent placer leurs excédents financiers. Marx l’avait très bien vu dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, les riches adorent la dette publique ! Un État qui s’endette est un État qui, grâce au monopole de la contrainte légale, permet aux riches d’obtenir une sécurité maximale pour leur argent.

Donc, ce n’est pas la faute des gouvernements, puisqu’on les a poussés à emprunter ?

Sauf que ce sont leurs choix fiscaux qui les ont conduits à se mettre dans la main des plus riches. Dans Les dettes illégitimes, François Chesnais montre bien comment, en France, les ultrariches ont bénéficié d’une baisse de leurs impôts qui leur permet de prêter à l’État les ressources dont il s’est lui-même privé. Sans oublier l’auto-interdiction pour l’État de fabriquer de la monnaie, établie par la loi Pompidou dès 1973, mais rendue idéologiquement formidable par le mythe supplémentaire d’une Banque centrale européenne à Francfort, supposée être hors de portée de l’État français. Chaque année, les Français se voient ainsi ponctionner, à travers la TVA et les impôts directs, 250 milliards d’euros, dont près de 50 milliards d’intérêts, qui vont à des gens qui ont déjà trop d’argent. Les deux tiers sont d’ailleurs étrangers, parce que la fête est mondiale, les riches Français pouvant en contrepartie se gaver de la soumission des États et des peuples. Voilà ce que cache le discours alarmiste et moralisateur sur l’endettement abyssal, la faillite du pays et la nécessité de sauver le triple A. Derrière l’apparente logique libérale du système, l’État devient une machine à rançonner les populations au bénéfice des plus riches.

L’impôt est aussi le fondement de la démocratie. Quand ils rechignent à s’en acquitter, comme en Grèce, les citoyens sont-ils des victimes ?

Je ne peux que me répéter : on a poussé les Grecs à s’endetter afin de pouvoir mieux les étrangler. Regardez votre téléviseur : sans cesse des publicités nous incitent à emprunter. Les banques, pardon, les riches, aiment prêter. Et les usuriers aiment saisir les biens si l’on ne peut rembourser. Privatiser les biens de l’État grec, par exemple.

Ne seriez-vous pas un peu complotiste ? Même si « on » les a poussés, le dealer est-il le seul coupable de la dépendance du drogué ?

Le monde de l’oligarchie est un monde de pouvoir et de complots. En aidant l’État grec à trafiquer ses comptes, Goldman Sachs s’est comporté en usurier. Maintenant, ce qu’on appelle « aider » les Grecs, c’est les maintenir en état d’être rançonnés. La crise de la zone euro n’a pas été fondamentalement créée par la nonchalance des débiteurs, mais par l’agressivité des prêteurs.

Cette oligarchie, la définiriez-vous comme une classe sociale et, en ce cas, est-elle dotée d’une conscience de classe ?

L’oligarchie se comporte comme une classe sociale, mais en même temps on sent en elle de l’irrationalité et même un vent de folie collective. Du coup, je me demande s’il faut recourir à l’analyse marxiste de l’idéologie ou à la psychiatrie. Pourtant, un groupe social privilégié n’est pas nécessairement décadent et irresponsable. À la différence des nobles français du XVIIIe siècle, attachés à l’exemption fiscale, les classes supérieures anglaises acceptaient une pression fiscale élevée. Elles ont conquis le monde. L’oligarchie actuelle est à mille lieues de cet exemple. Il serait préférable, si ce terme ne renvoyait aux slogans antisémites, de parler de ploutocratie. Gardons en tout cas à l’esprit que l’oligarchie, pouvoir d’un petit nombre, diffère de l’aristocratie, qui est celui des meilleurs.

Ces oligarques ont plus à perdre que les autres catégories. L’irrationalité explique-t-elle tout ?

La conduite des acteurs hésite entre rationnel et irrationnel. Le point de départ de la crise de 2008, c’est l’accaparement par la Chine et d’autres, grâce à leurs bas salaires, d’une part croissante de la production mondiale, qui entraîne, dans les pays riches, une compression des revenus, donc une insuffisance de la demande. Le résultat, c’est que les salaires évoluent à la baisse, alors que le volume de la production mondiale augmente. C’est dans ce contexte que les États-Unis, puissance monétairement dominante, découvrent le mécanisme fou du crédit hypothécaire. Les ménages américains ne s’endettent pas seulement pour acheter une plus grande maison, mais pour continuer à consommer des produits chinois. Et à la veille de la crise de 2008, le déficit commercial américain s’élève à 800 milliards de dollars. Le système est étonnant : les États-Unis, forts de leur statut impérial, font de ce déficit un régulateur keynésien à l’échelle mondiale. Ainsi, l’endettement est appelé à compenser l’insuffisance de la demande. Bien entendu, le mécanisme du crédit finit par imploser et les revenus comme les importations par s’effondrer. Dans ce contexte, les plans de relance concoctés par le G7, le G8 et le G20 sont une réaction rationnelle. On célèbre le triomphe de Keynes et le retour de l’État.

Voilà qui n’aurait pas dû vous déplaire !

Le problème, c’est qu’il s’agit d’un keynésianisme des riches. La relance n’est pas financée par la création monétaire – la planche à billets -, qui ne coûterait rien à l’État, mais par l’endettement, qui permet de sécuriser l’argent des nantis sans apporter la moindre réponse de fond à l’insuffisance de la demande. Ce pseudo-keynésianisme encourage la croissance chinoise, booste le CAC 40 et accélère les délocalisations en Europe. À l’arrivée, le fameux « retour de l’État » n’est rien d’autre que l’instauration d’un socialisme des riches. L’État doit sauver les riches, nom de code : « les banques », parce que les banques, qui contrôlent aussi les moyens de paiement des citoyens, comme l’a très bien dit Frédéric Lordon, ont pris l’État en otage pour le compte de leurs riches actionnaires. Si on avait opté pour leur nationalisation, on aurait pu garantir les économies des gens ordinaires, indemniser les petits actionnaires et sanctionner les coupables. La vérité de cette période n’est pas que l’État est impuissant, mais qu’il est au service de l’oligarchie.

Si la relance profite aux riches – les prêteurs -, l’austérité bénéficiera-t-elle aux pauvres ?

Ce qui est certain, c’est que le discours antirigueur, incarné par exemple par Martine Aubry, est complètement archaïque. Les gouvernements ont fini par comprendre que les politiques de relance ne relançaient que l’économie de la Chine et des pays émergents. Mais ils refusent toujours la moindre mesure de protectionnisme national, sectoriel ou européen. Dans ces conditions, la rigueur peut apparaître comme un refus passif de contribuer à la croissance de la Chine, une troisième voie que je qualifierai de « protectionnisme des imbéciles ». Voilà la triste vérité, nous sommes gouvernés par des imbéciles. Les gens qui sont aux commandes doivent être tenus pour responsables de leurs actes. Cela dit, je ne suis pas mélenchoniste : je crois qu’il faut des élites pour gouverner. Il ne s’agit pas de les pendre, mais de les ramener à la raison. Baroin et Pécresse, l’incompétence au sommet, sont sans doute sincèrement convaincus que le retour à l’équilibre budgétaire donne la solution de tous nos problèmes. Toutefois, il n’est pas exclu que les gouvernements aient inconsciemment fait un autre choix : si la relance est impossible et le protectionnisme impensable, la réduction des dépenses budgétaires dans les pays déficitaires est le seul moyen de mettre à genoux les pays exportateurs excédentaires, en gros l’Allemagne et la Chine, pour les obliger à entrer dans un processus de négociation.

La fascination française pour le modèle allemand va de pair avec la montée de la germanophobie.

De même que l’antisémitisme et le philosémitisme constituent deux versions d’un excès d’intérêt, pathologique, pour la question juive, la germanophobie et la germanolâtrie sont deux façons de prendre l’Allemagne trop au sérieux, ce qui contribue à aggraver le problème. Au début de son quinquennat, Nicolas Sarkozy avait une position assez antiallemande et faisait preuve d’une certaine souplesse doctrinale en économie. Le maintien de François Fillon à Matignon et la nomination d’Alain Juppé au Quai d’Orsay ont consacré le retour de la droite orthodoxe et de ses vieilles lunes économiques et moralisatrices. C’est alors que le gouvernement et une bonne partie des élites françaises ont adopté un discours germanolâtre, dangereux pour les Allemands eux-mêmes. Privés d’un partenaire sympathique mais critique, ils se sont enfermés dans l’admiration de leur propre modèle. L’urgence aujourd’hui n’est pas de les flatter, mais de les arrêter.

Vous n’allez pas entonner l’air de la bête immonde ? Cela fait cinquante ans que la puissance allemande va de pair avec une démocratie solide.

Je ne qualifierai pas forcément de démocratique un pays qui pratique l’union nationale plus volontiers que l’alternance et où, grâce à une prédisposition anthropologique à la discipline, les sociaux-démocrates ont pu mener une politique de compression acceptée des salaires. L’Allemagne a mené une stratégie parfaitement égoïste d’adaptation au libre-échange, en délocalisant hors de la zone euro une partie de la fabrication de ses composants industriels, en pratiquant contre la France, l’Italie et l’Espagne la désinflation compétitive, puis en utilisant la zone euro comme un marché captif où elle a pu dégager ses excédents commerciaux. Cette stratégie commerciale est la poursuite d’une tradition autoritaire et inégalitaire par d’autres moyens.

Vous jouez à nous faire peur ?

Je ne joue pas, mais vous devriez avoir peur. Les pays passés sous le contrôle des technocrates ou menacés sont la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, pays de démocratie récente. D’ailleurs, c’est pour les sécuriser dans un espace démocratique qu’on les a intégrés à l’Europe et à la zone euro. Or, aujourd’hui, loin de stabiliser ces démocraties fragiles, les mécanismes bureaucratico-monétaires les renvoient en accéléré aux pires moments de leur instabilité passée. Oui, l’heure est grave. Le risque de voir resurgir l’Italie du fascisme, la Grèce des colonels, l’Espagne de Franco, le Portugal de Salazar est bien réel. Vous voulez que je vous fasse peur ? En démographe, je vois réapparaître l’opposition des années 1930 entre l’Europe nord-occidentale des démocraties libérales, où la fécondité tend vers 1,9 ou 2 enfants par femme, et l’Europe autoritaire, fasciste ou communiste continentale, où la fécondité est ultrabasse, avec 1,3 à 1,5 enfant. Mais que faire si les Allemands sont réfractaires à toute négociation sur la capacité d’intervention de la BCE ? Devrons-nous mourir pour l’euro ? N’exagérons pas ! S’il est angoissant de voir l’Allemagne mettre à genoux ses partenaires tout en s’enivrant de l’admiration que lui vouent les droites européennes, il ne s’agit pas de tomber dans la psychose. Souvenez-vous que les Allemands ne voulaient pas entendre parler de l’euro et qu’ils n’ont cessé, après sa création, de menacer de sortir de la zone euro. Aujourd’hui, le gouvernement et le patronat ont compris que la fin de l’euro mettrait l’Allemagne au tapis, puisqu’elle seule serait dans l’impossibilité de dévaluer. En réalité, les Allemands sont plus souples qu’on ne l’imagine. Mais ils ne comprennent que la négociation franche et brutale.

Au fait, pourquoi tenez-vous tant à l’euro ?

Je ne tiens pas particulièrement à l’euro. Je dis qu’en régime de libre-échange l’euro est condamné. Je ne prédis pas l’avenir ici, je décris le présent. De toute façon, l’enjeu immédiat n’est pas l’euro, mais la crise de la dette. Soyons clair : les dettes souveraines ne seront jamais remboursées. Même les emprunts allemands commencent à être suspects. Nous avons deux possibilités : la planche à billets et le défaut sur la dette, qui serait selon moi préférable, ayant la netteté d’une opération chirurgicale. Le défaut sur la dette marquera le début de la reconquête de l’État par l’idéal démocratique, un État aujourd’hui pillé et rançonné par l’oligarchie financière.

Oui, mais, pour les « otages », petits épargnants français, retraités américains, ce défaut négocié ressemblerait fort à une spoliation assumée.

Mais ce sont les prêteurs qui nous spolient ! Pourquoi laisserait-on les prédateurs engloutir ce qui reste du patrimoine national ? Quant aux otages, les petits épargnants, en France, c’est pour les protéger que la nationalisation des banques est indispensable. Et cessons de pleurnicher sur le petit retraité américain, l’Amérique vit à crédit sur le dos du monde depuis des années. Et ce ne sont pas de petits retraités qui détiennent les deux tiers de la dette publique française. De plus, un défaut sur la dette de la France entraînerait des défauts en cascade des autres nations. Dans cette redistribution générale, les défauts s’annuleraient pour l’essentiel les uns les autres. Quelques nations seraient perdantes. À l’arrivée, je vous garantis que les plus coupables – nations ou individus – seront le plus sévèrement punis.

On peut comprendre que nos dirigeants aient la trouille, non ?

Plus le naufrage idéologique et intellectuel de la société est évident, plus les gens d’en haut s’enivrent de leur discours de domination, plus ils exigent la mise en vente des biens publics et la baisse des salaires. Et le pouvoir se réfugie dans une sorte de déni munichois : non contents d’avoir mis en place un système stupide, des gens supposés être modérés et compétents nous laissent en état d’impréparation pour gérer son effondrement. Ne nous laissons pas intimider, une société développée, dotée d’un haut niveau éducatif et technologique, est parfaitement capable de s’adapter après un effondrement systémique de cet ordre. Nous traverserons une année très difficile, mais très vite la libération des énergies et des ressources permettra un nouvel avenir. La délégitimation d’élites médiocres et corrompues sera une nouvelle jeunesse pour notre pays, un coup de balai moins douloureux que celui de 1940, un coup de balai sans la Wehrmacht !  »

Propos recueillis par Elisabeth Lévy

Parution dans Le Point en décembre 2011.